▪ Nous avions entamé notre chronique d’hier en attirant votre attention sur la nécessité de se fixer un cap et de s’y tenir, dans un contexte boursier désormais plus proche du manège à hamsters que des « portes de saloon ».
Les indices sont si prompts à se retourner en tous sens que l’on pourrait les croire manipulés, telle une tranche de bacon, par un cuistot soucieux d’équilibrer la cuisson sur les deux faces. Plus on les fait virevolter, plus elles se gondolent… et lâchent du gras au fond de la poêle.
Et à force de les cuire et des recuire, elles finissent par devenir cassantes. Lorsque la graisse commence à noircir, il devient préférable de jeter le tout dans l’évier et d’actionner le broyeur. Nous ne savons pas exactement à quel moment des préparatifs du repas nous nous situons mais cela commence à sentir le roussi du côté de la cuisine : quelqu’un a dû oublier de retirer le bacon du feu et ça crépite méchamment sur le brûleur.
Nous ne pouvons refermer cette parenthèse culinaire sans adresser une pensée compatissante aux vendeurs à découvert qui se sont fait carboniser jeudi… Ce qui s’est déroulé sur les marchés était en effet carrément imprévisible, qu’ils aient privilégié une lecture fondamentale ou purement technique de l’évolution récente du CAC 40 ou du S&P 500.
L’analyse chartiste nous enseigne que le CAC 40 enregistre sa plus forte hausse depuis le 27 mai, ce qui est déjà une performance remarquable dans l’absolu. Le plus sensationnel, toutefois, c’est que cette envolée survient au lendemain de l’apparition d’une « bougie » de type « étoile filante », réputée baissière dans 75% des cas.
Quelques rares hausses en toute fin de vague baissière moyen terme ont succédé à ce genre de figure sur le CAC 40 au cours de la dernière décennie. Mais jamais un tel cas n’avait été observé dans une zone de cours dite « médiane », c’est-à-dire sans excès de survente indicielle.
Ce qui est encore plus déconcertant, c’est cette hausse linéaire de 3% en l’espace d’une matinée. Il n’y a eu aucun temps d’arrêt au contact des MM25 et MM50 qui gravitent vers 3 530 points, ni au contact des 3 565 points (ex-plancher du 5 février dernier).
En ce qui concerne l’envolée de 135 points par rapport aux plus bas du jour, c’est sans précédent depuis le 18 mai ou le 21 août 2009. Il y avait là encore une différence majeure : il s’agissait d’une forme un peu radicale de continuation de la tendance haussière, contrairement au scénario observé ce 22 juillet.
▪ Avant de revenir sur le film de cette séance extraordinaire à plus d’un titre, précisons que nous ne croyons pas un seul instant que les chiffres du jour justifient une telle flambée. Une coïncidence a voulu que la hausse s’emballe vers 10h30 hier matin, juste après l’indice « flash composite » Markit de l’activité globale dans l’Eurozone : il s’inscrit à 56,7 en juillet contre 56,0 en juin… l’écart de +0,7% reste symbolique.
Il apparaît bien prématuré de valider un retournement de tendance sur la foi d’un seul bon chiffre. Les opérateurs n’ont cependant pas hésité à franchir le pas, en notant que les commandes à l’industrie dans la Zone euro auraient enregistré leur plus forte progression depuis 10 ans au mois de mai (+3,8%). Ce score largement supérieur aux attentes traduirait une accélération de la reprise de l’activité économique.
Il est étrange que personne n’ait relevé que cela s’inscrit en contradiction avec d’autres indices d’activité industrielle publiés plus récemment, qui reflétaient un ralentissement dans le secteur manufacturier en fin de premier semestre, dans le sillage du secteur automobile. Mais cela sert-il à quelque chose de soumettre à la raison critique des statistiques qui mettent en lumière une telle part de subjectivité ?
L’irrationnel règne sans partage. Il est à l’origine des récents retournements du climat boursier en l’espace de quelques heures. Les envolées échevelées succèdent aux coups de blues, comme s’il se produisait un étrange télescopage entre deux logiques économiques diamétralement opposées — avec en prime des évolutions de cours sans lien évident avec l’actualité du jour.
Wall Street semble vouloir tourner la page Bernanke. Le patron de la Fed n’a rien exposé de rassurant pour les marchés mercredi soir devant le Congrès US. Contrairement à ses habitudes, il a renforcé le doute sur la pérennité de la croissance américaine.
▪ Des doutes qui semblent soudain se dissiper grâce à des statistiques… européennes ! Le Nasdaq s’est envolé de 2,6% et le S&P 500 de 2,4% à mi-séance : autant que les places européennes au moment de l’ouverture des marchés américains, et bien avant que ne tombent les premières statistiques US du jour… et elles n’étaient pas toutes roses.
C’est donc la règle du « moins pire que prévu » qui a prévalu. L’indice des indicateurs avancés du Conference Board s’est replié de « seulement » 0,2% aux Etats-Unis en juin. Serait-ce assimilable à de la décroissance positive ?
Dans la même veine, les reventes de logements n’ont baissé « que » de 5,1% le mois dernier, à 5,37 millions d’unités. Les économistes anticipaient un peu moins de 5,2 millions de transactions ; le gonflement de 2,5% des stocks, à quatre millions de logements invendus, est en revanche ignoré. Cette dégradation est plus forte qu’anticipée, alors… à la trappe !
Les investisseurs n’avaient pas bronché lors de la parution des inscriptions hebdomadaires au chômage américain. Elles ont pourtant grimpé de 37 000, à 464 000, alors que le consensus tablait sur 445 000. Il est difficile d’invoquer le fait accompli car ces chiffres sont vraiment mauvais, quelle que soit l’interprétation que l’on en fasse.
Le nombre d’heures travaillées — l’une de nos principales références « dures » — aux Etats-Unis n’a pas progressé et stagne autour de 34 heures par semaine. Il faudrait aller bien au-delà des 35 heures (rendons-les obligatoires, les travailleurs américains y gagneront 3% de salaire !) et même des 40 heures pour que les entreprises recommencent à embaucher.
Vous mesurez ainsi le chemin qui reste à accomplir et vous pouvez mieux comprendre ce que signifie dans la bouche de Ben Bernanke une allusion à un tableau de l’emploi décevant !
▪ Mais oublions ces détails sans importance et réjouissons-nous : Paris a bondi de 3,05% à 3 600,5 points, pour une clôture au plus haut du jour avec 100% de titres en progression. L’Euro-Stoxx affichait quant à lui +2,85%. Les rachats de vente à découvert ont transformé le rebond technique initial en mouvement de panique à la hausse.
Alors, comme nous l’avions indiqué jeudi matin (la suite des événements n’a fait que conforter notre thèse), la véritable explication d’une flambée de 3% résidait dans la rumeur d’une divulgation anticipée des stress tests des banques européennes, avant la clôture des marchés ce vendredi.
Ceci afin de rassurer les investisseurs. En effet, toujours selon les rumeurs, l’immense majorité des établissements de crédit aurait surmonté l’épreuve sans difficulté… alimentant le soupçon que la méthodologie retenue (et demeurée opaque) induisait une écrasante majorité des résultats satisfaisants.