J’aimerais parler aujourd’hui du rôle de l’Arabie Saoudite en tant que producteur de pétrole "résiduel", et de ce que cela signifie. Nous savons tous ce qu’est l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole). Je ne sais pas exactement combien de membres comporte l’OPEP, mais ils doivent être 15 ou 20 : il s’agit de la plupart des grands producteurs de pétrole dans le monde, sauf deux. Ces exceptions sont la Russie et les Etats-Unis, soit deux des plus grands producteurs d’énergie. Or, ni l’un ni l’autre n’est membre de l’OPEP. Les Etats-Unis n’en font pas partie, la Russie n’en fait pas partie.
Donc l’OPEP a son importance, mais pas totalement, voyez-vous, puisque vous avez ces deux acteurs principaux qui n’en font pas partie. L’OPEP a la réputation de tricher, et elle entraîne dans son sillage une quantité de petits joueurs, mais ces derniers ne comptent pas vraiment. Donc je ne donnerais pas trop d’importance à l’OPEP car l’Arabie Saoudite est unique au monde. L’Arabie Saoudite dispose de deux avantages. C’est l’un des principaux producteurs de pétrole dans le monde, c’est donc un acteur majeur quoi qu’il arrive. Ca, c’est le premier avantage.
Son deuxième avantage, c’est qu’elle possède des réserves énormes, ce qui signifie qu’elles ne vont pas se tarir de sitôt. Ce qui n’est pas le cas de certains pays, par contre. Et le plus important, c’est que le coût d’extraction du pétrole saoudien est le plus faible de tous. Car il ne s’agit pas simplement d’avoir du pétrole. C’est intéressant, d’avoir du pétrole. Mais du pétrole, il y en a partout dans le monde. Tous ces discours concernant le pic ou la pénurie de pétrole ne riment à rien. Nous nageons dans le pétrole. Mais la question qui se pose est la suivante : est-il économique ? Combien cela coûte-t-il d’extraire ce pétrole ? L’Arabie Saoudite est le producteur dont les coûts de revient sont les plus faibles.
Elle a donc trois avantages : une production colossale, des réserves colossales, et des coûts de production extrêmement bas. Laissons tomber l’OPEP. Lorsque vous disposez de ces trois avantages, vous pouvez facilement contrôler les cours du pétrole dans le monde.
Vous pouvez en extraire plus : cela fait baisser les cours. Vous pouvez en extraire moins : cela fait grimper les cours. Ou alors, vous maintenez un juste équilibre et les cours restent là où ils sont. L’Arabie Saoudite est la seule à pouvoir le faire. Les Etats-Unis disposent d’importantes réserves mais leur coût de revient est plus élevé. Pour la Russie, c’est pareil : elle dispose d’importantes réserves mais son coût de revient est plus élevé. Et si l’extraction vous revient à 80 $ le baril, vous n’allez pas pouvoir faire chuter les cours à 50 $ parce que vous perdrez trop d’argent. Pour pouvoir vendre à 50 $, il faut produire à 10 $. C’est évident, si mon coût de revient est de 10 $, je peux faire chuter le cours à 15 $ et je gagne toujours de l’argent. Je n’en gagne peut-être pas autant que je le souhaiterais, mais j’en gagne tout de même. Alors, l’Arabie Saoudite est la seule au monde à disposer de ces trois avantages et, donc, de la faculté d’augmenter ou de baisser le prix du pétrole.
▪ Que fait l’Arabie Saoudite à présent ? Et pour quelle raison ?
En fait, elle vise un cours se situant entre 50 $ et 60 $ le baril. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première, c’est que l’Arabie Saoudite veut que les producteurs de pétrole de schiste mettent la clé sous la porte, car ils inondent le monde de pétrole. Nous en avons parlé encore au sujet du volume d’endettement et des obligations pourries (junk bonds) que les producteurs de pétrole de schiste ont générés. Mais d’où vient tout ce pétrole de schiste ? Il vient du Dakota du Nord, du Texas, du Canada et d’autres endroits disposant de cette nouvelle technologie. Comment ont-ils fait ? Avec énormément d’argent emprunté, énormément de junk bonds, mais ils l’ont fait en supposant que le baril de pétrole se vendrait entre 80 $ et 130 $. Voilà d’où est venu tout ce pétrole.
L’Arabie Saoudite a constaté que certaines de ses parts de marché disparaissaient, que le monde était submergé de pétrole, et elle s’est dit que plutôt que d’extraire encore plus de pétrole (ce qui serait perdu d’avance et à son détriment), il valait mieux viser un cours donné, ne plus extraire de pétrole, et faire baisser un peu ce cours. Mais c’est assorti d’un plan d’optimisation. Ils se sont dit : "bon, quel est ce cours ? Quel est le cours théorique qui ferait mettre la clé sous la porte aux producteurs de pétrole de schiste, mais qui ne nous affecterait pas trop ? Evidemment, si on tombe à 10 $, les producteurs de pétrole de schiste ferment boutique mais on se suicide car notre baril nous coûte 10 $. A 80 $ le baril, les producteurs de pétrole de schiste préservent leur activité car leurs coûts sont inférieurs à ce cours. Alors quel est le chiffre magique ?"
Eh bien, le chiffre magique, si l’en est un, c’est 60 $. Les marchés ne sont jamais aussi précis, donc la fourchette se situe entre 50 et 60 $. Ces jours ci, le pétrole a rebondi autour de 55/60 $. Vous savez qu’il a été plus bas. Il a touché les 40 $. C’est un rebond normal car les marchés sont volatils et que les gens jonglent avec leurs positions. Ainsi, l’Arabie Saoudite a eu ce qu’elle voulait : elle ne veut pas que le cours descende plus bas.
Le problème, c’est que lorsque les cours passent de 100 à 45 $, cela représente une chute monumentale, spectaculaire, en très peu de temps. Cela agite beaucoup de monde. On se dit que si le cours est tombé de 100 à 40 $, alors il va tomber à 20 $. Mais il ne va pas tomber à 20 $, ni à 30 $, ni à 35 $. Le cours a atteint son plancher et il va se maintenir dans la fourchette des 50 à 60 $, et il ne va pas remonter à 100 $ pour autant. Il peut y avoir des exceptions, cependant. Il pourrait se produire un énorme choc géopolitique. Une guerre meurtrière pourrait éclater. Peut-être que quelqu’un va essayer de fermer le détroit d’Ormuz.
Là, on constaterait des pics journaliers, et le contexte serait volatil. Je ne nie pas la volatilité. Mais cela n’arrive pas par hasard. Il ne s’agit pas de se dire : "oh, voyons où en est le pétrole, je me demande bien ce qu’il va se produire maintenant !"
En fait, vous êtes en mesure de comprendre ce qu’il se passe en vous fondant sur ces dynamiques de marché que je viens de décrire. Et ainsi, ce à quoi on peut s’attendre, à quelques exceptions près, c’est que le pétrole se négociera entre 50 et 60 $ le baril pendant un certain temps, c’est-à-dire cette année et l’année prochaine, car ce cours est suffisamment bas pour tuer les producteurs de pétrole de schiste mais pas assez pour affecter l’Arabie Saoudite plus que nécessaire. Pour l’Arabie Saoudite, c’est toujours rentable. Ils engrangent toujours des bénéfices sur les forages pétroliers et, en réalité, leur budget est excédentaire. Pour certains autres pays, ce n’est pas le cas car ils ont besoin de plus d’argent pour être excédentaire, mais ça, c’est leur problème.
Avec ce type de géopolitique, l’Arabie Saoudite fait d’une pierre deux coups : elle frappe également l’Iran qui a besoin de beaucoup d’argent pour semer le trouble partout dans le monde, notamment autour du programme nucléaire, mais aussi pour subventionner les chiites en Syrie et partout dans le monde, ainsi que pour son entreprise de déstabilisation en Libye et ailleurs. Et donc l’Iran déploie une politique étrangère d’envergure car le pays est l’un des plus grands exportateurs de déstabilisation et de terrorisme. Mais les Saoudiens disent : "bon, ça, c’est votre problème. Cela ne nous concerne pas et le cours du pétrole nous convient tel qu’il est".
Jim Rickards
Pour la Chronique Agora
[NDLR : Jim aborde également les thématiques de l’Etat islamique, des tensions géopolitiques et de la sécurité, dans son briefing : découvrez-le dans son intégralité en cliquant ici.]