Trump torpille le libre-échange, et c’est l’économie mondiale qui prend l’eau.
Le week-end a apporté un flot continu d’annonces tarifaires, accompagnées de leur cortège habituel d’indignation, d’outrage et de moqueries. Les décisions politiques sont souvent discutables. Mais il reste généralement une part d’ambiguïté : peut-être que cela fonctionnera, peut-être pas.
Il est rare, en revanche, de voir une décision aussi grossière, aussi unanimement risible, que libéraux et conservateurs s’en retrouvent à rire de concert.
Hier, nous avons quitté le navire à Southampton, avant de prendre la route de l’Irlande.
Southampton est un port gigantesque : des milliers de camions, voitures, conteneurs et grues bordent les quais. C’est un centre d’expédition où transitent des millions de tonnes de marchandises. Presque tout ce que l’on achète en Angleterre passe probablement par là.
Mais avec les nouvelles taxes commerciales de Trump, les araignées vont bientôt tisser leurs toiles sur les grues immobiles, et les conteneurs vides se convertir en locations Airbnb.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un mot sur nos huit jours en mer…
Qu’avons-nous appris ?
Le Queen Mary II, en vérité, n’est pas tant un moyen de transport qu’une activité de loisir flottante. La plupart des passagers à bord étaient des vétérans de la croisière. L’un poursuivait vers les fjords norvégiens. Un autre s’était engagé pour 100 jours autour de l’Amérique du Sud. Un couple venu de Toronto avait déjà fait le tour du monde.
« Bonjour, nous sommes Canadiens », ont-ils lancé en prenant place.
« Ce n’est pas grave, avons-nous répondu. On vous pardonne de nous avoir arnaqués toutes ces années. »
L’homme a eu une seconde d’hésitation, un éclair de perplexité, puis le sourire est revenu.
« On ne parlera pas de votre président, promis », a-t-il conclu.
Tous ceux que nous avons croisés étaient aimables et souvent surprenants. Un homme venu de l’Oregon travaillait sur des écluses. Un Irlandais avait été clown dans un cirque. Un professeur de l’université George Mason nous a fait un petit cours sur les origines du christianisme.
Si nous avions été seuls, nous aurions probablement lu davantage. Mais mon épouse Elizabeth est une adepte de l’amélioration personnelle. Résultat : cours de danse, théâtre, conférences… et conversations avec nos voisins. Impossible de rester seul : à bord, tout est fait pour encourager les rencontres et les découvertes.
La vie à bord est simple. Tout est à portée de main, pensé pour être plaisant et distrayant. Il y a toujours quelque chose à faire et toujours quelqu’un pour le faire avec vous. Dans nos vies ordinaires, nous allons rarement au théâtre. Nous n’écoutons pas de jazz en club.
Mais sur le Queen Mary II, c’est ce que les gens font. Alors, nous l’avons fait aussi.
Nous avons même suivi un cours de jive, entourés d’une trentaine de couples de plus de soixante ans. C’était beau à voir.
Mais voilà, nous sommes rentrés à la maison, de retour dans le monde réel. Et dans ce monde-là, on parle des tarifs douaniers de Donald Trump. Trump, c’est Barnum et Bailey réunis, Smoot et Hawley en un seul homme. Un « Grand Chef », comme on dit – et, comme tous les Grands Chefs, il est sujet à de grandes erreurs.
USA Today rapporte :
« Donald Trump a déclaré dimanche soir : ‘Parfois, il faut prendre des médicaments pour réparer quelque chose.’ Ces remarques sont tombées alors que les marchés dévissaient. Le Dow Jones a perdu près de 1 000 points en séance nocturne, laissant présager un lundi agité à Wall Street. »
Difficile, à ce stade, de dire si son « médicament » relève de l’antibiotique ou de la trépanation.
Fortune cite Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor :
« ‘Jamais une heure de rhétorique présidentielle n’a coûté aussi cher à autant de gens.’ Il poursuit : ‘Ma meilleure estimation de la perte causée par cette politique tarifaire est désormais proche de 30 000 milliards de dollars – soit 300 000 dollars par famille de quatre personnes.’
Selon lui, le discours de Trump a déjà fait fondre 6 000 milliards sur les marchés. Et si l’on extrapole à l’économie réelle, la perte serait dix fois plus élevée. ‘C’est probablement la politique économique la plus destructrice de toute l’histoire des Etats-Unis’, conclut-il. »
Vendredi, Stephen Miller tentait sur les plateaux de détourner l’attention de cette débâcle :
« Ces pays nous volent depuis des années… des décennies. »
Mais en quoi un ouvrier bangladais, payé une bouchée de pain pour fabriquer un pantalon qui coûte 50 dollars aux Etats-Unis – contre 100 dollars s’il était cousu sur place – est-il en train de « nous voler » ? Est-ce le tailleur qu’on doit accuser ? Ou son gouvernement, qui le laisse faire ?
Et si le Bangladesh, dans un élan protectionniste mal inspiré, taxe les Cadillac à 50%, est-ce une raison pour punir le tailleur et faire grimper le prix des pantalons pour les Américains ?
Les étrangers n’achètent pas ce type de voitures. Ce n’est pas à cause des droits de douane : c’est parce qu’elles sont immenses, gourmandes en carburant et conçues pour les grands boulevards américains, pas pour les ruelles bangladaises. Et soyons honnêtes : combien d’Américains sont prêts à coudre des chemises pour 1,50 $ de l’heure ?
Dans le monde, le commerce international représente plus de 33 000 milliards de dollars par an, avec un taux de droits de douane moyen d’environ 2%. On échange des gobelets en carton, des T-shirts, des voitures, du pétrole, du ciment… tout ce que vous pouvez voir sur les quais de Southampton.
Et voilà que Trump débarque et impose des droits allant de 10% à 49%. Quelle rigueur intellectuelle a présidé à ce choix ? Quel raisonnement économique ? C’est l’une des surprises du week-end.
La Maison-Blanche vient de démolir des décennies de politique de libre-échange sur la base d’une arithmétique de niveau « primaire ».
Le principe est simpliste : les autorités fédérales considèrent que si un pays vend plus qu’il n’achète, il y a injustice. Alors elles prennent le déficit brut – disons 50% du volume des échanges – et fixent un droit de douane à la moitié de ce chiffre. Voilà comment le Bangladesh se retrouve avec une taxe de 24%.
Pourquoi 24 ? Pourquoi la moitié ? Mystère. Aucun économiste sérieux n’a pu expliquer la logique de cela.
Ces taxes n’ont rien à voir avec des médicaments. Ni avec un commerce « déloyal ». Elles sont purement punitives. Plus un pays réussit à exporter vers les Etats-Unis – autrement dit, à proposer de meilleurs produits à meilleur prix – plus il est sanctionné. Et les sanctions, bien sûr, sont payées par les consommateurs américains.
Le département d’Etat lui-même l’admet à demi-mot :
« Il est possible que la Maison-Blanche réduise certains droits, sous la pression des pays concernés. Mais le libre-échange ne reviendra sans doute pas. Le système qui se met en place repose sur le protectionnisme, les tensions et les tractations. »
Pas plus d’emplois, contrairement à ce qu’a promis Trump. Juste plus de turbulence. Pour tout le monde. Et pour longtemps.
Le libre-échange est mort.
Bienvenue dans l’ère où les politiciens, les lobbyistes et les donateurs trafiquent les prix, pendant que les autres paient la facture.
4 commentaires
Mais non, mais non, ce n’est pas la fin du monde. Trump va mettre fin aux magouilles de ces groupes devenus obèses et faire revenir l’argent chez lui ! Ceux qui paieront la facture seront les Européens, et la France en particulier
La politique protectionniste de Trump sera-t-elle bénéfique aux peuples des USA ? Personne ne le sait et certainement pas après 3 mois de pouvoir de Trump. La seule certitude est que cette politique suscite des contrariétés très haut placées.
C’est un fait pourtant que Trump n’est absolument pas responsable de la misère populaire qu’on aperçoit aux USA depuis plus d’une dizaine d’années. Une misère qui s’étale dans les rues de beaucoup de grandes villes américaines. Les classes moyennes qui, même en travaillant, ne parviennent plus à se loger et vivent dans la rue ou dans leurs voitures. Une pauvreté qui est beaucoup plus répandue et publique qu’en Europe.
En Europe, pour prendre un exemple dans le domaine des transports routiers, la loi de quelques « Grands Marchands » impose aux chauffeurs routiers européens une vie d’enfer qui n’est dictée que par le profit d’un tout petit nombre d’entreprises. Toute une population de chauffeurs salariés est exploitée par quelques grands capitalistes, dans des conditions qui ont empirées au cours des 30 dernières années.
La chanson économiquement et politiquement correcte en Occident est « A bas le Protectionnisme ». La loi concurrentielle du Profit doit s’imposer.
Le profit pour quelques uns, mais manifestement pas pour le profit pour tous.
Le grand capital mondialiste a imposé sa loi à la société occidentale depuis l’effondrement communiste au début des années 1990. Résultat ? Les peuples occidentaux s’appauvrissent quand les élites s’enrichissent. Les peuples occidentaux rencontrent des difficultés alors que les population de l’Inde, de l’Asie du Sud Est, de la Chine… connaissent un progrès matériel.
Cette situation n’est évidemment pas due à Trump qui ne gouverne que depuis trois mois et qui lors de sa précédente présidence n’a rien pu faire, sauf empêcher la guerre contre la Russie pour une prétendue démocratie en Ukraine. Mais les élites capitalistes occidentales, malgré tous les bienfaits de la concurrence qu’elles vantent, sont nécessairement à l’origine de ce recul de la prospérité. Elles refusent de le reconnaître et dominent les médias occidentaux pour imposer les idées qui les enrichissent.
Tout le monde a compris que Trump a été élu contre les élites occidentales. Il existe certainement un motif à cette situation. Plutôt que de condamner Trump il vaudrait mieux chercher à déchiffrer pourquoi il a été élu.
Cette analyse est très juste !
Bien vu, Monsieur Mazières, « on » se sent moins seul. Après tout la création de monnaie a sans doute alimenté les bourses. On assiste peut être à une énorme contraction de la masse monétaire tant critiquée dans ces publications que nous apprécions. Et si ces petites phrases et ses droits de douane, qui ne rapporteront pas autant que prévu, avait aussi pour effet de réduire le déficit commercial des USA. Et si encore la future balance des paiement permettait d’alléger ces dettes que l’économie US ne peut rembourser. Et si le progrès technique, essentiellement Américains, évitait nécessairement toute crise économique que, logiquement, de telles actions devraient provoquer. Et si Trump se trompe, aux abris…avant le principe d’une date fatidique annoncée dans ces publications que nous aimons beaucoup.