Par Emmanuel Gentilhomme (*)
Des métaux "verts" qui vont avoir le vent ne poupe
Un trait commun des différents métaux high tech est leur participation à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous vous avons assez parlé des platinoïdes (platine, palladium, rhodium, ruthénium…) sans qui les pots d’échappements catalytiques n’existeraient tout simplement pas. Les raffineries pétrochimiques ont également un besoin vital de ces excellents catalyseurs.
Mais ce n’est pas tout ! L’éclairage de nouvelle génération par diodes électroluminescentes — les fameuses LED — ne se conçoit pas sans gallium. Non seulement la qualité de la lumière produite par les diodes se rapproche de celle de la lumière blanche, mais une LED consomme moitié moins d’énergie qu’une ampoule à incandescence… Notre spécialiste du BRGM attend cette rupture technologique pour 2010. Christian Hocquard note que la technologie thin film alliant cuivre, indium, gallium et sélénium permettra de porter le rendement énergétique des panneaux solaires jusqu’à 40%. Contre un peu plus de 30% pour ceux de la génération 2005.
Le stockage d’énergie induit par les voitures électriques n’est pas sans conséquence pour les batteries et les métaux qui sont dedans comme le cobalt, qui taquine son record de 1978 en s’échangeant aux environs de 50 $ la livre. La raison ? "Les batteries lithium-ion sont en réalité des batteries lithium-cobalt-ion", indique notre spécialiste, et la Chine en demande de grandes quantités.
Enfin, les superalliages utilisés par les turbines aéronautiques et énergétiques consomment du rhodium et du ruthénium qui permettent de monter en température : en améliorant la combustion, ces métaux rares limitent les émissions de CO2.
Non sans malice, Christian Hocquard note que les systèmes de vision de nuit infrarouge, si appréciés des militaires, ont besoin de germanium. Une autre manière de donner dans le vert — tendance kaki — pour ce métal rare qui est aussi utilisé dans l’imagerie médicale.
Mais aussi des métaux énergético-stratégiques…
En 2007, le National Research Council américain a identifié 11 métaux rares comme critiques pour l’économie et la sécurité des Etats-Unis. Premiers sur les rangs : l’indium, les platinoïdes, les terres rares et le niobium, un métal utilisé dans les superalliages d’acier.
Pour quelles raisons ? "Etre en pointe sur les matériaux avancés est un avantage compétitif décisif pour maintenir l’avance technologique des pays développés. Ces matériaux utilisent en priorité de petits métaux high tech. Leur importance stratégique vient du fait qu’ils sont associés à l’énergie, à travers les nouvelles énergies, la diminution des consommations et la réduction des émissions", explique Christian Hocquard.
Des métaux critiques car ultra-concentrés géographiquement !
"Ces métaux high tech à finalité écologique sont en fait doublement ‘critiques’ : d’une part pour nos approvisionnements et d’autre part pour le risque que ferait peser leur pénurie pour l’économie de nos industries high tech", ajoute-t-il.
Voilà comment le métal high tech devient critique : 90% du niobium provient du seul Brésil, 90% du béryllium des Etats-Unis, 85% des terres rares, 82% de l’antimoine et 75% du tungstène de Chine, 80% du platine d’Afrique du Sud, 70% du tantale d’Australie, 65% du palladium de Russie, 65% du rhénium des Etats-Unis, 40% du cobalt du Congo-Kinshasa et de Zambie…
Selon Christian Hocquard, les industriels utilisent de si faibles quantités de ces métaux — deux grammes d’indium dans une télé à écran LCD — qu’ils ne perçoivent pas le risque qui leur est associé, d’autant qu’ils considèrent que l’essentiel de la valeur ajoutée se concentre sur la conception, l’assemblage et le marketing. Ils délèguent la fabrication des composants à des sous-traitants, qui assument le risque d’approvisionnement. M. Hocquard n’y va pas par quatre chemins : "l’industriel n’a plus aucune perception du risque [que représente le] métal dans ses produits".
Les conseils du bon docteur Hocquard
Il conseille donc aux groupes manufacturiers de diversifier leurs approvisionnements, de passer des contrats d’achat à long terme, de couvrir leur risque par des produits financiers, et de viser à l’intégration verticale, comme ces sidérurgistes russes qui contrôlent leurs propres mines.
L’économiste du BRGM n’oublie pas les gouvernements : il plaide pour des stocks stratégiques "intelligents", comme celui sur le rhénium. Il souhaite également que l’Etat encourage le recyclage, et pousse ses géants économiques à contrôler la production des matières premières qui sont stratégiques pour elles.
Il insiste également un autre goulet d’étranglement pour ces métaux : les usines de raffinage de ces minerais dont le traitement métallurgique est complexe. Par exemple, une seule société dispose des installations et du savoir-faire indispensables au traitement du molybdène et du rhénium : la chilienne Molymet.
Des menaces : les Chinois et les investisseurs !
Sur les métaux rares, les entreprises en position dominante sont fréquentes. Quand ce ne sont pas des Etats : "en raison de capacités de raffinage de métaux de base en forte croissance, la Chine importe de plus en plus de minerais et de concentrés, de sorte que la majorité des petits métaux en sous-produits seront de plus en plus produits en Chine". Actuellement, la Chine se dote d’énormes raffineries de cuivre et de zinc qui lui donnent la capacité de traiter massivement les sous-produits qui en découlent.
Pour parfaire l’ensemble, la Chine a récemment "instauré des quotas d’exportation sur tous les petits métaux où elle est traditionnellement exportatrice avec une position dominante (terres rares, tungstène, antimoine, bismuth)", précise Christian Hocquard.
Menace ultime, selon le BRGM : les investisseurs. "Les ETF sont spéculatifs. En jouant sur des stocks faibles, ils amplifient artificiellement un déséquilibre offre-demande, jusqu’à induire de vraies pénuries", critique Christian Hocquard, qui s’emporte contre le mimétisme des investisseurs qui se positionnent sur les matières premières via des ETF gagés sur des stocks de métal physique. Passe encore pour les "grands" métaux comme l’or ou l’argent. Mais dans le cas des ETF platinoïdes, Christian Hocquard s’interroge : "est-il raisonnable de considérer les petits métaux comme une classe d’actif ?".
Bonne question pour les investisseurs et les citoyens que nous sommes…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement.