** Dans un piège à souris, on met du vrai fromage. Mais ça ne suffit pas, évidemment. Sauf pour les souris trop sûres d’elles et impatientes. 10 banques américaines disent ne plus avoir besoin des prêts du TARP. Cet événement, c’est du vrai fromage, mais ce n’est pas tout. Alors pourquoi ne pas laisser une autre souris investisseuse prendre la première bouchée ?
– Beaucoup d’investisseurs professionnels — généralement de mauvais investisseurs professionnels — aiment à dire que la Bourse "regarde vers l’avenir", comme si les marchés pouvaient jeter un oeil sur le futur et ajuster le cours actuel des actions en fonction de ce qu’ils ont vu. Par conséquent, le fait que les actions bancaires aient doublé durant les 90 derniers jours a fait déclarer à certains : "aha, le secteur financier est en rémission !" Plus les actions bancaires montent, plus ces gens-là pensent que "le pire est passé"… et plus ils sont convaincus qu’ils devraient continuer à surenchérir sur les actions bancaires.
– La vérité, c’est que les marchés ont déjà du mal à voir le présent, alors il leur serait encore plus difficile de voir l’avenir. Aux Etats-Unis, le rebond actuel de la Bourse a entraîné un gain de 40%. Aucune Loi Absolue des Marchés Financiers ne dicte que ce rebond finisse rapidement. Néanmoins, si l’on en croit des éléments récents provenant du secteur financier américain, le pire n’est peut être PAS encore passé.
– "Les pertes, dans le système bancaire américain, vont certainement dépasser la totalité du capital réel du système", a prévenu le gestionnaire de fonds de couverture Igor Lotsvin, le mois dernier à Pasadena, en Californie, à l’occasion du congrès financier Value Investing. "Cela n’arrivera sûrement pas à toutes les banques. Mais les 1 000 milliards de dollars de fonds réels restant [dans le secteur bancaire] ne suffiront pas. Les pertes vont être subies par presque toutes les catégories de capitaux… et le commercial [prêts immobiliers] est le prochain sur la liste. Nous voyons le même genre de problème se produire avec les cartes de crédit… Cette crise bancaire ne ressemble à rien que nous ayons vu auparavant".
– "Et n’oubliez pas", continue Lotsvin : "le plus gros de cette crise s’est produit avant que les gens ne commencent à perdre leur emploi. D’un point de vue historique, le taux d’emploi est le premier facteur de la qualité du crédit. Les gens sont dans l’incapacité de payer leurs hypothèques pour trois raisons principales : soient les taux d’intérêt ont grimpé en flèche, soit vous avez perdu votre emploi, ou bien vous êtes tellement en retard dans les remboursements de votre hypothèque que ce n’est même plus la peine de rembourser, même si vous avez l’argent. Pour l’instant, nous voyons surtout des augmentations de taux d’intérêt qui font que les gens ne peuvent plus rembourser. Nous n’avons pas encore assisté au taux de chômage élevé et à la baisse vertigineuse du prix des maisons, qui bouleversent les remboursements d’hypothèques".
** Mais les prêts immobiliers ne sont qu’une petite partie de ce qui inquiète Lotsvin. Des signes de détresse apparaissent dans presque toutes les catégories de prêt bancaire — y compris ces catégories qui jusqu’à maintenant s’en sortaient bien.
– Le marché des hypothèques subprime semble minuscule à côté de toutes les autres catégories de prêt réunies. Donc si un marché des hypothèques subprime relativement petit peut suffire à créer la plus grosse crise du crédit depuis la Grande Dépression… que se passera-t-il lorsque les catégories de prêt plus importantes commencent à avoir de sérieux problèmes ?
– "On peut tromper les investisseurs", conclut Lotsvin, "on peut tromper les contribuables, on peut tromper les gestionnaires de fonds d’investissement plusieurs fois… mais la loi de l’offre et de la demande ne se laisse pas tromper. L’offre de stocks en détresse est tellement importante qu’on ne peut pas tout mettre sur un bilan… l’offre d’actifs en détresse est astronomique".
** Le gestionnaire de fonds de couverture Jason Stock, qui a également fait une apparition durant le congrès, approuvait avec la prudence de Lotsvin. "Nous pensons que le secteur bancaire est terriblement sous-capitalisé", a affirmé Stock. "Nous nous attendons à ce que les prêts commerciaux mangent une bonne partie du capital. Nous pensons que le nombre de d’actionnaires lambda pourrait diminuer massivement — voire disparaître complètement dans un grand nombre de banques".
– "Quand nous regardons ce vers quoi nous nous dirigeons", continue Stock, "et nous avons regardé à quel niveaux sont les taux de défauts de paiement dans les différentes catégories — l’immobilier commercial, les prêts professionnels et les prêts de consommation — ces parties du gâteau vont encore subir d’importantes détériorations".
– Stock s’inquiète particulièrement des prêts immobiliers commerciaux, qui représentent environ un tiers de tous les prêts dans le secteur bancaire. "Beaucoup de ces prêts ont été accordés par des [banques] qui accordaient à tout le monde et à n’importe qui des prêts se montant à 90%, à 95% ou à 100% de leur valeur patrimoniale", explique Stock, "et elles offraient aux emprunteurs des prêts immobiliers pour lesquels ils ne remboursaient que les intérêts pendant cinq ans, une pratique qui ne se faisait pas dans les périodes normales du secteur bancaire".
– "Donc quand ces prêts arrivent à échéance, et qu’il n’y a pas le financement nécessaire à leur remboursement, c’est un gros problème… Beaucoup de ces banques rallongent les prêts. Et si les prêts arrivent à échéance, au lieu de les déclarer comme étant des prêts ‘à problème’, tout le monde dit : ‘vous savez quoi, nous ferions mieux de donner une ou deux années de plus à l’emprunteur’, en espérant que le cash flow suffira à financer le prêt. Mais il arrive un stade où ces prêts doivent être refinancés… et nous pensons qu’il n’existe qu’un montant limité de capital disponible au prêt — surtout lorsque le nantissement consiste en des propriétés vides et délabrées".
– En d’autres termes, cher investisseur, préparez-vous à d’autres pertes sur les prêts et d’autres baisses de valeur pendant encore un certain temps. En attendant… méfiez-vous du fromage.