Le dernier rapport de l’AFME n’est pas tendre pour le marché européen des actions dont il souligne la perte d’attractivité par rapport au reste du monde. L’association appelle à un sursaut.
The Association for Financial Markets in Europe (AFME), ou association pour les marchés financiers en Europe, est le porte-parole des principales banques des marchés financiers européens. Ses membres sont des teneurs de marché, assurant la liquidité indispensable au bon fonctionnement des marchés financiers, et garantissant environ 90 % des émissions de dette des entreprises et des Etats européens, et 85 % des émissions d’actions cotées en Europe. Autant dire que les prises de parole de l’organisation sont écoutées. Aussi quand elle nous dit que « l’écart de compétitivité entre les marchés de capitaux européens et mondiaux se creuse », nous lui prêtons une oreille attentive.
La capacité des entreprises à lever des capitaux est limitée en Europe
L’AFME a publié, mercredi 26 novembre 2025, la huitième édition de son rapport annuel intitulé « L’Union des marchés de capitaux : indicateurs clés de performance ». Il fait notamment le point sur l’évolution des marchés de capitaux européens au moyen de neuf indicateurs clés, structurés autour de quatre piliers : l’accès au capital, la capacité de mobilisation des pools d’investissement, la digitalisation et la durabilité dans la finance, ainsi que la fluidité des échanges et l’intégration des marchés.
Le rapport n’y va pas par quatre chemins : « Bien que la plupart des indicateurs de cette année affichent des progrès modestes, notre indicateur de compétitivité mondiale souligne que l’UE continue d’être à la traîne par rapport à ses principaux homologues internationaux. Cet écart structurel limite la capacité des entreprises à lever des capitaux efficacement et restreint l’accès des citoyens à des opportunités d’investissement attractives. »
L’AFME constate que « les émissions obligataires record contrastent avec la faiblesse des introductions en bourse (IPO) ». Si, d’un côté, le financement des entreprises de l’Union européenne (UE) par les marchés a légèrement progressé pour atteindre 13 % du financement total en 2025 (contre 12 % en 2024), principalement du fait de la baisse significative des coûts de la dette, de l’autre côté, « le financement par actions a continué de reculer« .
En effet, les introductions en Bourse ont chuté de 23 % en 2024 en Europe, alors qu’elles ont progressé de 20 à 60 % aux Etats-Unis, en Chine, au Japon et en Australie sur la période. Pour l’AFME, cette baisse est d’autant plus frappante que l’UE présente des fondamentaux favorables, comme des valorisations d’actions supérieures aux moyennes historiques et une volatilité des marchés globalement stable. La fragilité structurelle des marchés européens est confirmée par des départs emblématiques à l’étranger, tels celui de Klarna, l’une des entreprises européennes à forte croissance les plus importantes, qui a choisi de s’introduire en Bourse aux Etats-Unis.
Les entreprises européennes ne font pas qu’expatrier leur IPO, elles ont également recours à un nouveau mode de financement, celui des marchés privés (crédit privé, capital-investissement, business angels, financement participatif en actions). Alors qu’en 2014, les marchés privés représentaient 8 % du total des nouveaux financements bruts provenant des marchés de capitaux, toutes sources confondues (les 92 % restants provenant des marchés publics, notamment des obligations et des actions), cette part a augmenté pour atteindre 20 % du total en 2024.
Le rapport de l’AFME insiste aussi sur un point crucial : la diversification des sources de financement dans l’UE n’a pas modifié le volume des capitaux levés par rapport au PIB. Il est resté le même au cours de la dernière décennie, autour de 3 % du PIB. Aux Etats-Unis, la taille des marchés de capitaux est passée de 6 % du PIB en 2014 à 8 % en 2024.
Plus de particuliers actionnaires pour des marchés plus liquides
Pour l’organisation bancaire, il existe un lien évident entre l’investissement des ménages et la liquidité des marchés. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’écart entre le prix d’achat et de vente des actions aux Etats-Unis qui n’est que de trois ou quatre points de base, tandis qu’en France, il est de dix points de base. L’AFME explique cela par le fait que l’investissement moyen dans les marchés de capitaux atteint les 290 000 $ (environ 250 000 €) par personne aux Etats-Unis alors qu’il n’est que de 50 000 € en France. Le rapport montre qu’une augmentation de 10 % du montant investi par habitant peut permettre de réduire l’écart entre le prix d’achat et de vente d’environ 6 %.
Conclusion : augmenter l’investissement en actions des particuliers permettrait d’accroître la liquidité des marchés européens. Une conclusion qui plaide, sans que l’AFME le dise ouvertement, pour un élargissement du système de retraite par capitalisation !
Mais il ne faut pas croire qu’encourager l’investissement des ménages sur le marché des actions suffise à redonner de la vigueur au marché européen. Adam Farkas, le directeur général de l’AFME, défend l’adoption de « réformes audacieuses, menées dans le cadre de l’Union pour l’épargne et l’investissement (UEI) », notamment afin de « bâtir les marchés intégrés dont les entreprises et citoyens européens ont besoin ».
Pour l’AFME, l’Europe dispose de l’épargne et du potentiel lui permettant de s’affirmer sur la scène mondiale. Encore faut-il qu’elle sache construire un cadre réglementaire clair et cohérent, simplifier les règles superflues et les coûts associés si elle veut vraiment encourager l’investissement et l’innovation et renforcer son attractivité.
Il est dommage que l’AFME ne sorte pas de son cadre. En effet, les problèmes de l’Europe ne se limitent pas aux marchés de capitaux. Si l’Union européenne perd du terrain, et si ses entreprises s’expatrient pour croître, c’est aussi parce qu’elle est un monstre réglementaire qui freine l’innovation. Même si une simplification a été engagée, il n’en reste pas moins que les DMA, DSA, AI Act, DFA ou les règles ESG nuisent à la compétitivité du continent.
Comme le proposent deux chercheurs de l’Institute of Economic and Social Studies (INESS), un think tank libéral slovaque, dans une étude intitulée « Market force. Revitalising the Single Market for the next 30 years« , il convient de « redonner de la vitalité au marché unique pour les 30 prochaines années ».
Pour les auteurs de l’étude, Matej Bárta et Radovan Ďurana, pour que le marché unique retrouve toute sa vigueur, il est nécessaire que l’UE en fasse sa priorité pour les années à venir. Comment ? En facilitant les échanges avec les pays non-membres par la suppression des barrières douanières et réglementaires d’une part, et en évaluant toute nouvelle proposition de législation en fonction de ses implications sur le marché unique d’autre part.
Certes, l’intégration des marchés de capitaux dans un véritable marché unique est indispensable, notamment en supprimant les réglementations qui restreignent le développement des sources de financement non bancaires et en soutenant les systèmes d’épargne retraite par capitalisation. Mais il est aussi nécessaire, selon les chercheurs slovaques, de libéraliser le marché du travail et le secteur des services, de réduire la charge déclarative qui pèse sur les entreprises et de supprimer les réglementations redondantes dans le secteur numérique, ainsi que de rationaliser les politiques vertes. Un programme à rebours de la politique menée par Ursula von der Leyen et son équipe depuis 2019.
