** Bill Bonner a abaissé le drapeau d’Alerte au Krach hier et nous avions déjà sorti l’étendard "ne restez pas vendeur" dès lundi.
A la question "quels pourraient être les signes précurseurs d’une reprise ?", nous avions suggéré lundi dernier de surveiller les volumes : "leur effondrement pourrait traduire un renoncement des vendeurs, ou la fin des liquidations à tout prix face à des acheteurs qui prennent la fuite dès qu’un carnet d’ordre se garnit de quelques lignes à la vente".
Même le pessimisme à peine voilé de Warren Buffett nous avait mis la puce à l’oreille. Le Sage d’Omaha affirmait que le "Pearl Harbor financier" avait fait voler en éclats toutes les références en matière de crise boursière et de vitesse de propagation des forces récessionnistes.
La chute de l’économie américaine du "haut de la falaise" — pour reprendre un autre de ses aphorismes — s’est très concrètement traduite par l’évaporation d’une part non négligeable de sa fortune personnelle, soit 23 milliards de dollars selon le magazine Baron’s. Il rechute ainsi à la seconde place mondiale du classement des milliardaires derrière son complice Bill Gates, qui remonte sur la plus haute marche du podium. La troisième place est occupée par le magnat des télécoms mexicain, Carlos Slim.
** Si Warren Buffett admettait de nouveau lundi s’être trompé sur la gravité de la situation ainsi que sur le timing, cela confortait la thèse selon laquelle le comportement d’investisseur par la valeur de moyen ou long terme est mort tandis que le "suivi de tendance" triomphe. La preuve est faite qu’il est suicidaire de rattraper en vol le couteau qui tombe.
Sauf qu’une entreprise cotée n’est pas un ustensile de boucherie… ou alors, à l’extrême limite, "un couteau sans manche dont on aurait perdu la lame" pour reprendre un célèbre aphorisme surréaliste — qualificatif qui s’appliquait parfaitement au cours des actions en début de semaine.
Un marché n’est jamais aussi proche d’un retournement que lorsque l’ensemble des opérateurs ne sait plus très bien si les cours sont parvenus au-delà de toutes les normes d’excès connues ou s’ils sont justifiés par une réalité dont la gravité a été systématiquement sous-estimée.
** Ceux qui perdent de l’argent en s’obstinant à l’achat n’ont qu’à s’en prendre à leur propre aveuglement — ou alors c’est qu’ils n’ont pas lu nos Chroniques de l’automne 2006 et surtout celles publiées depuis le 27 février 2007, suite à la faillite retentissante de la banque californienne New Century Financial.
La banque a été la première victime de "mauvaises pratiques" déontologiques mais aussi et surtout des effets de levier démesurés qu’autorisait le principe comptable du mark to market — le même qui s’applique depuis des lustres à l’évaluation des OPCVM de type SICAV obligataires sur le Vieux Continent.
Quarante-huit heures après Ben Bernanke, le secrétaire d’Etat au Trésor, Timothy Geithner, faisait part aux auditeurs du Congrès et aux médias de réflexions qui vont dans le même sens que celles du patron de la Fed. Les deux ex-complices, qui ont encouragé le gonflement de la bulle du crédit, proposent aujourd’hui de trouver une alternative aux valorisations en temps réel de positions long terme prises sur des instruments obligataires par nature non-liquides en période de stress financier.
Le mark to market est une règle comptable dictée par un souci de transparence et de "véracité de la structure bilancielle" mais qui donne des résultats au mieux absurdes, au pire dévastateurs. En effet, elle fait s’effondrer la valeur de l’ensemble des actifs pour lesquels il n’existe plus de "prix marché", si ce n’est une valeur proche de zéro (15% ou 20% du "pair") alors que le risque lié à la sinistralité réelle justifierait un discount de 25% au maximum. La refonte des règles comptables actuelles pourrait être discutée lors du prochain G20, en plus de la mise en place de nouvelles structures de surveillance et d’assistance aux établissements de crédit.
Sa vocation serait de prévenir les dérapages puis de participer aux premiers secours en cas d’accident… une sorte d’arbitre de champs (l’homme en noir) doublé de "l’homme à l’éponge magique" que connaissent bien ceux qui fréquentent les terrains de sports ou suivent les rencontres sportives depuis le fauteuil de leur salon.
** Misant sur un arbitrage plus équitable et le traitement des petits bobos avant que la douleur ne dégénère, Wall Street a passé hier soir la surmultipliée.
Les deux grands indices "larges" — le S&P 500 et le Nasdaq Composite — ont flambé de 4% en moyenne. Le Dow Jones affichait quant à lui une hausse de 3,5%. Pour l’anecdote, le seul titre en repli au sein du Dow Jones a été Microsoft avec -0,6%.
Le même genre de scores avait été observé une semaine auparavant ; la grosse différence provient de ce qu’il s’agit cette fois d’une accélération raisonnée et progressive des cours et non d’un rebond réflexe découlant d’une vague de rachats à découvert aux origines indéterminées.
Pour des vendeurs à découvert qui misaient une nouvelle fois sur l’incapacité des indices américains à aligner plus de deux séances de hausse, la poursuite du mouvement de reprise sous forme d’une progression linéaire durant plus six heures de cotations constitue un véritable supplice. Supplice qui, lorsque les écarts dépassent les 3,5%, ne laisse en plus pas d’autre issue que de déboucler les positions short dans les pires conditions.
Beaucoup de commentateurs évoquaient les chiffres moins mauvais que prévu publiés hier. En effet la règle du mark to market uniforme n’étant pas encore abolie, Wall Street devait puiser — si possible — son optimisme dans les chiffres macro-économiques du moment.
L’occasion s’est présentée avec les ventes de détail aux Etats-Unis en février. Elles ont subi un effritement limité à 0,1% seulement (contre -0,5% anticipé), et la bonne surprise réside dans leur nette progression, hors secteur automobile (à hauteur de +0,7%). En rythme annuel, cela donne une contraction sans précédent de -8,6% mais les experts redoutaient un chiffre supérieur à -9%, avec la perspective d’un score de -10% d’ici fin mars.
L’autre bonne surprise provenait des stocks des entreprises, lesquels ont diminué de 1,1% en janvier, après un repli de 1,6% en décembre (chiffre révisé après une baisse de 1,3% en première lecture). Cela pourrait s’avérer suffisant pour que la production manufacturière reparte après des mois de déstockage — seul le compartiment automobile demeurerait durablement affecté.
Au-delà des chiffres macro-économiques, Wall Street considère que dans beaucoup de dossiers, les rumeurs alarmistes ont été sur-anticipées. General Electric a ainsi bondi de plus de 12,7% hier, bien que la note de sa dette de long terme ait été dégradée par l’agence de notation Standard & Poor’s de "AAA" à "AA+".
** A la veille du week-end, Wall Street s’apprête à connaître sa première semaine positive depuis le 9 février. Le mois de mars a également cessé d’être négatif alors que le Nasdaq enregistre son plus fort rebond (+12% d’un seul élan) depuis fin novembre. Le bilan hebdomadaire s’avèrerait positif de 10,4% si la situation se figeait au niveau des cours de clôture de vendredi. Il est cependant parfaitement envisageable qu’après 35 séances de repli sur une série de 45 (entre le 6 janvier et le 9 mars), le stock de journées placées sous le signe de la hausse ne soit pas épuisé.
Qu’il dure 24 heures de plus et ses chances de se poursuivre augmenteront encore.
Pour illustrer la situation telle que nous la percevons, voici une courte histoire dont beaucoup de nos lecteurs devineront la chute avant la fin du premier paragraphe. Lors d’une soirée poker no limit à Las Vegas, un des participants s’aperçoit qu’il a égaré son portefeuille copieusement garni de liquide.
Il file tout droit vers le micro d’ambiance et déclare : "j’offre 500 $ à la personne qui me ramène un portefeuille probablement perdu à proximité du bar vers 21h30". Aussitôt, une voix s’élève du fond de la salle : "j’offre 700 $ !", puis une autre près de la table de black jack surenchérit à 1 000 $… etc.
Philippe Béchade,
Paris