L’immobilisme de l’Etat actionnaire est nuisible aux entreprises comme en témoignent les tristes péripéties de La Poste et Bpifrance.
Nous avons vu que l’Etat-actionnaire est souvent contraint de laisser la priorité à l’Etat-stratège dans la gouvernance de ses entreprises.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à l’immobilisme, un poison qui tue à petit feu. Même si, dans ce cas, l’Etat ne détruit pas immédiatement la rentabilité des entreprises administrées, il diminue leur capacité d’adaptation.
Dans un monde où les progrès technologiques sont de plus en plus rapides, où la concurrence est devenue mondiale et les cycles croissance/récession sont de plus en plus courts, les entreprises doivent pouvoir réagir rapidement aux changements d’environnement et être capables de revoir leur business model.
L’immobilisme de l’Etat-actionnaire s’est particulièrement illustré dans le cas de La Poste. La Société Anonyme est détenue aux trois-quarts par l’Etat, et au quart par la Caisse des Dépôts et Consignations.
Avec l’essor des communications électroniques, elle est soumise à une baisse continue du volume de courrier. Sa réponse stratégique ? Une hausse continue du prix du timbre postal. Vous avez pu le constater : un envoi en lettre prioritaire est passé de 0,58 € en 2010 à 0,85 € cette année. Cela représente une hausse de 46% en moins de sept ans tandis que l’inflation était à sur un plancher historique.
Connaissez-vous beaucoup d’entreprises privées qui, face à une érosion de leur marché, font exploser leur prix à la hausse ?
La conséquence immédiate est que particuliers comme entreprises réduisent autant que possible leurs envois postaux.
Sans faire d’hypothèses hasardeuses sur le pourquoi du choix de cette stratégie, nous pouvons toutefois déplorer que la direction ait opté pour un cercle vicieux.
Si l’objectif n’est pas de fournir le meilleur service au meilleur prix, pourquoi ne pas simplement fixer le prix du timbre à 20 €, voire 50 € ? Le groupe La Poste redeviendrait immédiatement rentable même avec un effondrement du trafic postal.
La Poste est également très peu compétitive sur l’envoi des petits colis, une activité en plein essor avec la démocratisation du e-commerce. Les achats en ligne sont en croissance continue ; le groupe aurait pu être un acteur de référence en mettant à profit son réseau de bureaux de Poste, sa flotte de véhicules et ses employés.
Au lieu de jouer sur ces atouts historiques, La Poste a multiplié les fermetures de guichets, réduit les horaires d’ouverture et a conservé une grille tarifaire d’un autre âge.
Moralité, ce sont les acteurs privés du transport qui se sont engouffrés dans la brèche de l’e-commerce en proposant des services moins chers et en transformant les magasins de quartiers en points de retrait ouverts soirs et week-end.
Voilà comment un fleuron national se retrouve has-been à force de ne pas évoluer.
Bpifrance ou le symbole des mauvaises habitudes
Ce tour d’horizon des investissements de l’Etat ne serait pas complet sans évoquer le cas de Bpifrance. Faisant suite à Oseo, la banque publique d’investissement créée fin 2012 « favorise l’innovation, l’amorçage, le développement, l’internationalisation, la mutation et la transmission des entreprises ».
En pratique, elle entre au capital des entreprises de façon minoritaire pour une durée de sept à dix ans. Elle est devenue, très rapidement, le passage obligé des start-ups dans les secteurs d’avenir (actuellement : innovation, santé).
Dans un pays où les charges qui pèsent sur le travail et les entreprises sont fortes, ce type de fonctionnement pose problème. Pourquoi l’Etat, qui prend d’une main avec les divers prélèvements, financerait-il en parallèle certaines entreprises en priorité ? Pourquoi ne pas laisser le marché faire son travail de sélection des entreprises utiles ?
Pire encore : les financements publics se révèlent souvent être des cadeaux empoisonnés même pour les structures qui en bénéficient. Les chiffres montrent que les subventions d’Etat ont tendance à retarder les faillites des start-ups. Tant que les subventions et participations sont là, l’insolvabilité des entreprises est masquée par l’argent facile. Lorsque la source se tarit, le taux de défaut rejoint alors le taux de défaut habituel des entreprises.
Au final, la sanction finit toujours pas tomber pour les entreprises non rentables. Pour autant, elles ont pu engloutir force argent public durant leurs premières années de pseudo-activité.
Les derniers chiffres de performance des fonds dédiés à l’innovation et financés par Bpifrance font froid dans le dos. Les fonds en phase de maturité ont des multiples d’investissement de l’ordre de 0,4. Leur performance est donc très négative.
Ce n’est un secret pour personne, le financement de l’innovation est une activité risquée.
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L’expérience prouve que Bpifrance a également de grandes difficultés à dénicher les pépites rentables et se retrouve à essuyer de larges pertes. Quelle différence avec les fonds privés ? Ses investissements hasardeux sont faits avec l’argent public…
Les errements de l’Etat-actionnaire : un secret de polichinelle
Considérer comme ambigu et souvent contre-productif le positionnement de l’Etat-actionnaire n’est pas qu’une marotte d’analyste libéral. La très sérieuse Cour des Comptes, dans son dernier rapport de janvier 2017 sur l’Etat-actionnaire, pose un diagnostic similaire.
Si vous avez un peu de temps devant vous, je vous conseille la lecture de cet excellent papier, disponible gratuitement sur le site Internet de la Cour. Il a été rédigé avec un pragmatisme bienvenu et trop rare en cette période électorale où les promesses en l’air rivalisent avec les idéologies les plus déconnectées de la réalité.
La mission de la Cour est de « s’assurer du bon emploi de l’argent public [et] en informer le citoyen ». Les analyses de ce contre-pouvoir salutaire sont souvent pertinentes et plutôt équilibrées dans leur conclusion. En tant que contribuable, nous pouvons nous féliciter que cette structure existe et mène avec sérieux sa mission de surveillance de l’usage des deniers publics.
Malgré la qualité de ses rapports, force est de constater que les gouvernements en place (quelque soit leur bord politique) ne se sentent pas particulièrement engagés par les conclusions qui y figurent. Il est difficile pour toute organisation de réduire volontairement sa voilure, et l’Etat ne fait pas exception à la règle.
Il faut nous rendre à l’évidence : le fonctionnement actuel de l’Etat-actionnaire n’a que peu de chances d’être bouleversé dans les prochaines années. Il serait illusoire de retenir notre souffle et d’espérer un quelconque revirement quel que soit le résultat des prochaines échéances électorales.
Le pragmatisme nous impose donc de considérer l’Etat-actionnaire comme un état de fait du marché français. Les investisseurs particuliers que nous sommes n’ont pas plus de poids sur la stratégie d’investissement de l’Etat que sur les décisions des banques centrales.
Ce constat posé, la question habituelle demeure : pouvons-nous en profiter ? L’arrivée (ou le maintien) de l’Etat au capital ayant tendance à tirer les actions vers le bas, est-il tout de même possible de dégager des plus-values ?
La réponse est, paradoxalement, oui. La mauvaise gestion de l’Etat conduit in fine à la création de belles opportunités.