▪ "C’est incroyable, les Etats-Unis font exactement les mêmes erreurs que le Japon," m’a dit hier un ami.
Voyons… dans les années 80, les dirigeants d’entreprise japonais pensaient qu’ils allaient diriger le monde. Les investisseurs le pensaient aussi. Ils se sont développés. Ils ont fait des opérations. Les prix sont montés en flèche et ils se sont tous pris pour des génies.
Dans les années 80, tout le monde voulait être japonais. Les consultants en gestion utilisaient des mots japonais pour décrire des idées communes. Par exemple, au lieu de dire que les entreprises doivent toujours essayer d’améliorer leurs performances, ils parlaient de "kaizen" comme s’il s’agissait du secret de la réussite. Et les économistes américains ont encouragé l’administration Reagan à adopter une "politique industrielle" — parce que le Japon en avait une. Les entreprises japonaises faisaient envie au monde entier. Le Japon était la deuxième plus grande économie du monde. En croissance et en prix des actions, il était numéro un.
▪ Mais en réalité, le Japon ne connaissait pas le secret qui rendrait cette réussite éternelle. Il profitait seulement de ce qui se produit juste avant une chute. La Bourse s’est effondrée à Tokyo en 1989. L’économie japonaise est entrée en récession. Au début, les experts ont pensé que ce serait temporaire. Ils ont encouragé les investisseurs à profiter des opportunités d’achat des entreprises japonaises à des prix incroyablement bas. Ils pensaient que l’industrie japonaise était imbattable. Elle se remettrait en un rien de temps, disaient-ils.
Mais l’industrie japonaise ne s’est pas remise. Elle a subit une longue récession qui a duré, année après année, avec une déflation en va-et-vient et plusieurs rebonds boursiers.
A chaque fois que les actions remontaient, elles retombaient juste après. A chaque fois que l’économie commençait à reprendre sa croissance, elle rechutait aussi sec. Cela a continué pendant les 20 années suivantes, jusqu’au mois de mars de cette année, quand les actions de Tokyo ont atteint le point le plus bas de tout le marché baissier. Une génération d’investisseurs a presque été balayée. Sur deux générations ils n’avaient rien gagné. Des fortunes colossales avaient été effacées.
▪ Qu’ont fait les autorités japonaises pendant ces deux dernières décennies ? Elles se sont battues contre la correction pas à pas, avec la tentative de relance fiscale et monétaire la plus audacieuse jamais tentée jusqu’à ce jour. Les taux d’intérêt sont en effet tombés à zéro. Et les dépenses du gouvernement ont explosé, pour créer les plus gros déficits de l’histoire du Japon.
Aujourd’hui, la dette nationale du Japon approche des 200% de son PIB – un record en temps de paix. Si elle continue à grossir de cette façon, elle atteindra les 300% du PIB en seulement quelques années.
▪ Ca vous rappelle quelque chose ? Ca devrait. Le taux d’intérêt des Etats-Unis est désormais à zéro. La Fed dit qu’elle va le laisser à ce niveau "le temps qu’il faudra". Et les déficits ont atteint des niveaux vertigineux – 13% du PIB. A ce rythme, le ratio dette/PIB des Etats-Unis va atteindre les 100% en seulement quelques années. Et si cela continue, il atteindra même les 200% peu de temps après – au moment où les recettes fiscales réduites à cause de la récession vont croiser les dépenses du gouvernement augmentées par les plans de relance.
Mais attendez… les politiques ont dit qu’ils ne laisseraient pas les choses se passer comme ça. Ils vont renverser la vapeur. L’économie va reprendre sa croissance. Les recettes fiscales vont augmenter. Les prix vont remonter.
Hé mais…c’est exactement ce que disaient les Japonais !
Jusqu’à maintenant, les Etats-Unis font presque à l’identique ce que les Japonais ont fait : renflouer des entreprises zombies et relancer l’économie du mieux qu’ils peuvent.
▪ Mais s’ils font la même chose que ce qu’a fait le Japon, les Etats-Unis ne vont-ils pas obtenir les mêmes résultats que les Japonais ?
C’est là que cela devient intéressant. Parce que l’économie américaine n’est pas exactement comme l’économie japonaise. Le Japon avait une bonne réserve d’épargne, et un bilan d’opérations positif. Il pouvait maintenir des dettes gouvernementales énormes et "ne les devoir qu’à lui-même". En d’autres termes, il pouvait financer ses dettes gouvernementales avec l’épargne de son propre peuple. Il n’avait pas à s’inquiéter que les étrangers refusent d’acheter ses obligations, ou décide brusquement de les vendre.
La dette du gouvernement américain est différente. Les Etats-Unis n’épargnent pas suffisamment pour financer leurs propres déficits. Ils dépendent donc de la bonté des étrangers. Si ces étrangers perdent un jour confiance en la capacité et la volonté des Etats-Unis à rembourser leur dette, ils vont larguer le dollar comme on largue une copine agaçante. Et quand ils le feront, c’est tout le système monétaire mondial qui va s’effondrer.
▪ Mais supposez que les taux d’épargne augmentent aux Etats-Unis – disons, à 10% du PIB, comme avant les années de la bulle. Cela ferait 1 400 milliards de dollars d’épargne disponible pour financer les déficits du pays.
Et supposez que la chute continue comme nous le pensons, avec une autre grosse frayeur dans les marchés d’investissement. Les gens vont se réfugier dans… oui, vous l’avez deviné : les bons du Trésor américain. Cela ôtera la pression qui pèse sur le dollar et permettra aux Etats-Unis de financer ses dépenses sans dépendre des étrangers. La récession/dépression sera désagréable…mais supportable. Et Bernanke va s’apercevoir qu’en affaiblissant le dollar, il a plus à perdre qu’à gagner. Dans ce cas, la chute à la japonaise pourrait durer encore de nombreuses années – comme au Japon !