▪ Il y a une dizaine de jours, lorsque j’ai éteint mes écrans avant de prendre une semaine de congé en famille, il était presque aussi difficile de trouver un peu de neige dans les stations alpines que des gérants pessimistes sur les marchés actions.
Pour profiter des joies de la glisse, il n’y avait guère d’autres solutions que de se rendre dans une station située au pied des glaciers — disposant d’un domaine permettant de pratiquer le « ski d’été ».
Compte tenu de l’ensoleillement de la première quinzaine d’avril, passer six heures par jour entre 2 500 et 3 600 mètres d’altitude revenait à bronzer sous une lampe à souder.
Mon fils a échappé aux coups de soleil sur le crâne grâce à l’opacité de son casque en polyuréthane. Mon cuir chevelu, quant à lui, a viré au rouge vif car j’ai commis l’imprudence d’ôter ma casquette durant l’heure de déjeuner dimanche dernier — ce n’était pourtant que le temps de grignoter une saucisse de veau accompagnée de quelques röstis et de copeaux de fromage du Valais.
J’ai dû me résoudre à considérer que mon épouse ne cherchait pas seulement à faire du mauvais esprit en affirmant qu’à l’image de beaucoup d’hommes approchant du cap de la cinquantaine, j’ai tendance à me « déplumer du haut ».
Il faut bien reconnaître que toutes les gamineries du monde, soi-disant pour épater mon fils sur les pistes, ne favorisent pas la repousse… même dans un pays qui compte parmi les premiers producteurs au monde de lotions capillaires et de crèmes régénérantes.
Comme vous l’aurez deviné, nous avons séjourné en Suisse. Nous étions logés dans un vieil hôtel familial à l’ombre du Cervin, envahi de lapins en papier mâché alternant avec des corbeilles remplies de pommes de pin et de gros oeufs en chocolat garnis de noeuds multicolores.
▪ Il y a 45 ans, lors de mon premier séjour helvète durant les congés de Pâques, il y avait les même lapins, les mêmes chalets couleur chocolat noir, les même rideaux à carreaux. Mais il y avait encore 50 centimètres de neige sur les versants nord à 1 500 mètres d’altitude.
La langue terminale des glaciers du Valais descendait 200 mètres plus bas, sans parler de ceux qui ont disparu purement et simplement. Ils n’ont laissé comme seul vestige que quelques remparts de pierraille grise que les lichens s’empressent de conquérir.
Jamais nous n’avons connu, à pareille époque, une température ambiante comprise entre 20° et 25° chaque fin d’après-midi. Le tout avec la sensation d’avoir la peau desséchée par des courants d’air surchauffés en provenance des régions tropicales.
Le « foehn » (le vent qui rend fou) souffle régulièrement sur l’arc alpin à partir du début du printemps. Mais cette année, il s’est invité dès le début du mois de mars, repoussant toutes les dépressions venues du nord-ouest. De ce fait, aucune chute de neige susceptible de blanchir le paysage n’a plus été observée dans la région depuis fin février.
Sur les trois premiers mois de l’année, les précipitations sont les plus faibles observées en 30 ans. Toutefois, il ne faudrait surtout pas conclure qu’il s’agit d’un des effets particulièrement visibles du réchauffement climatique qui touche l’hémisphère Nord.
La diminution de moitié de la masse de la calotte glacière arctique en 50 ans ne prouve rien non plus. Pas plus que des sécheresses chroniques dans les grandes plaines du nord du continent américain ou des incendies dantesques en Russie l’été dernier.
La preuve : nous avons eu le mois de décembre le plus froid et le plus neigeux depuis un siècle. Souvenez-vous des journées à l’ambiance polaire de la fin novembre… et rappelez-vous la paralysie historique de la région parisienne, de la Bretagne et de pratiquement tout le nord de l’Europe due au verglas !
Sauf qu’au même moment, mes cousines du Canada m’envoyaient des photos via Facebook où je pouvais les voir déjeuner en terrasse en pull léger rue Sainte-Catherine, ou arpenter la veste à la main le sommet arboré du Mont Royal. Cela à une époque où les premiers skieurs de fond inaugurent d’ordinaire « en soufflant du blanc » la boucle qui fait le tour du lac aux castors.
Tous ces témoignages, provenant d’une simple observation du monde réel, n’impressionnent pas les « communicants » qui travaillent pour le compte des lobbies pétroliers, industriels ou agricoles. Il ne s’agit là que de fluctuations climatiques bien ordinaires dont la planète nous gratifie tous les 10 000 ans. Ils n’y voient rien que de très « naturel », et surtout pas une incitation à changer le mode de fonctionnement de l’économie.
Le nombre de tornades observées dans le Middle West depuis début mars (pas moins de 250, soit presque trois fois le score d’une année moyenne) ne les impressionne pas davantage. Aucun de ces riches faiseurs d’opinion n’habite l’Oklahoma ou le Kansas.
▪ Wall Street ne voit pas plus fondre les glaciers ou brûler l’Australie que la Fed ne voit poindre d’inflation en lisant le dernier rapport PCE censé mesurer les prix à la consommation aux Etats-Unis.
Wall Street n’imaginait pas un instant qu’une agence de notation oserait menacer l’Amérique de perdre son « AAA ». C’est un peu comme si un restaurant vedette d’un célèbre guide rouge perdait ses étoiles lorsqu’il commence à servir des filets de poisson surgelés en guise de « retour de la pêche » et de la pâtisserie industrielle comme « ronde des desserts ».
Mais le menu que nous propose le Trésor US depuis trois ans — avec ses milliers de milliards de dollars de créances douteuses — est bien pire que « peu goûteux ».
Le poisson du jour empeste l’ammoniac. Les plats de viande confite contiennent autant de chair avariée que de cartilage. Les fromages sont assez plâtreux pour boucher les fissures de la centrale de Fukushima et les îles flottantes coulent à pic au milieu d’un bol de crème anglaise rance.
Seule la batte de base-ball tenue d’une main ferme par le restaurateur au moment de présenter l’addition semblait dissuader les critiques gastronomiques de gratifier l’auberge « Uncle Sam » d’une note à faire fuir un affamé ayant passé trois jours sans manger dans la Vallée de la Mort.
Bravant les menaces de passage à tabac, Standard & Poors a pourtant osé placer ce lundi la note « AAA » des Etats Unis sous « surveillance négative ». En effet, l’agence de notation a de sérieux doutes sur la capacité des Etats-Unis à rétablir les grands équilibres budgétaires d’ici fin 2012.
▪ Les querelles idéologiques (qui n’ont rien à voir avec de véritables enjeux budgétaires) l’emportent largement sur des choix économiques adoptés par les pays européens, soucieux de restaurer la confiance de leurs bailleurs de fonds.
Les mesures d’austérité n’ont jamais eu bonne presse outre-Atlantique, mais ce n’est pas le coeur du problème. Le véritable blocage porte sur le partage de l’effort en vue de rétablir la situation.
Il apparaît plus que jamais déséquilibré puisque les républicains réclament le démantèlement de Medicare, le programme de santé qui profite aux plus défavorisés. Ils souhaitent en outre toujours plus de cadeaux fiscaux (4 200 milliards de dollars sur cinq ans) en faveur des super-riches et des entreprises qui font des bénéfices.
Ils veulent aussi que la prolongation de deux ans des baisses d’impôts de l’ère Bush — consentie par Obama au terme d’un odieux chantage à l’indemnisation des chômeurs de longue durée — devienne permanente.
Paul Ryan, le président républicain de la commission budgétaire du Congrès, propose un abaissement de l’impôt sur les sociétés (de 35 à 25%). Cela prête à sourire dans la mesure où les multinationales américaines sont les championnes du recours aux paradis fiscaux, y compris ceux opportunément situés sur le sol même des Etats-Unis.
▪ Wall Street en revanche n’a pas souri du tout en découvrant le communiqué de S&P, une demi-heure avant l’ouverture des marchés. L’Euro-Stoxx 50 n’a pas tardé à chuter de 2,5% (sous 2 850), un niveau proche du score de clôture. Le CAC 40 affichait au final -2,35% (avec plus de 4,35 milliards d’euros échangés). Le DAX 30 terminait à -2,1% (même score à Londres) et Milan à -2,9%.
Il nous semble utile de souligner que les vendeurs avaient pris la main en Europe, alors que la Grèce semble se débattre dans des difficultés de financement insurmontables. Les taux à 10 ans atteignent un record de 14%, le 2 ans flirte avec 20%.
Il ne faut pas être prophète pour deviner que les marchés jugent la restructuration de la dette grecque probable à 98%… surtout après des commentaires finlandais évoquant cette éventualité comme inéluctable.
▪ Nous ne nous ne trompions pas beaucoup en affirmant sur le Téléphone Rouge dès mercredi dernier, que la volatilité des indices à Wall Street était maintenue à un niveau artificiellement bas. Cela afin de permettre aux opérateurs les plus perspicaces de se couvrir contre une baisse des marchés à des niveaux incroyablement favorables.
Le VIX, qui mesure la nervosité des opérateurs, a fait un bond de 20% lundi, après avoir flirté vendredi dernier avec des planchers historiques (15,3).
Comment de tels niveaux de confiance apparente ont-ils pu perdurer depuis les sommets de la mi-février ? Rappelons que le Japon est financièrement exsangue depuis le 11 mars, et que l’inflation réelle en Chine comme aux Etats-Unis se rapproche des 5%.
N’oublions pas non plus la stratégie de rupture adoptée par les républicains qui semblent bien déterminés à faire fondre au lance-flamme les derniers vestiges des « glaciers sociaux ». Ils recouvraient encore par endroits la roche dure de l’ultralibéralisme libertaire à la mode Tea Party.
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