Cette année, environ 24 000 personnes ont fait le pèlerinage pour contempler l’Oracle d’Omaha et son acolyte — modeste mais plein d’esprit — Charlie Munger. Les deux compères ont été à la hauteur de leur réputation, distribuant de généreuses portions de leur sagesse et de leur humour bon enfant.
C’était ma première année ici, ma première rencontre avec l’Eglise de Buffett et Munger.
Nombre des gens qui viennent ici sont… eh bien, comment dire cela gentiment ? Des moutons. Des suiveurs sans jugeote. Ils rient à gorge déployée à la moindre plaisanterie. Ils réagissent au quart de tour au moindre aphorisme éculé. Ils disent des choses sentimentales, stupides et bébêtes au sujet de ces deux vieux milliardaires.
Et lorsque vient le moment des questions/réponses, ils posent des questions serviles et sans intérêt — mais seulement après qu’ils ont terminé de dire combien Buffett est merveilleux, combien Munger est merveilleux, qu’ils représentent tous deux une lueur dans la nuit ou quelque chose de ce genre… enfin, vous voyez l’idée. Mais peut-être n’est-ce que moi.
Bref…
Buffett et Munger avaient beaucoup de choses intéressantes à dire, et tous les participants n’étaient pas des moutons.
Par exemple, certaines des meilleures questions portaient sur ce que Buffett et Munger pensaient du climat d’investissement actuel, et de secteurs bien spécifiques comme les matières premières, les actions du secteur presse, l’Amérique du sud, et ainsi de suite.
Certains investisseurs par la valeur sont allés voir du côté des "rebuts" du marché, et y ont trouvé les actions de journaux. Nombre des grands titres américains sont en souffrance, et leurs actions atteignent de nouveaux planchers. Les revenus publicitaires sont en baisse. Le lectorat diminue.
Qu’en pense Buffett, investisseur de long terme dans le secteur de la presse écrite ? Selon lui, les maux actuels font partie d’une tendance de long terme qui ne se renversera probablement pas. Et les valorisations des journaux ne reflètent pas cet état de fait. Comme il le dit, il y a toujours quelqu’un pour penser qu’une hirondelle fait le printemps.
Mais au lieu de cela, les valeurs de la presse écrite sont confrontées à un hiver long et peut-être permanent. Buffett a déclaré qu’il avait tort en pensant que les journaux étaient un secteur à toute épreuve. Il est clair que ce n’est pas le cas. Munger a ajouté qu’il pensait, il y a des années de cela, que General Motors était une entreprise à toute épreuve.
Les secteurs à toute épreuve sont rares, dans le monde de l’investissement. Quasiment toutes les entreprises subissent des pressions concurrentielles de long terme. Mais cette idée de secteurs à toute épreuve reflète le désir principal de Buffett et Munger de posséder des entreprises dont les fondamentaux ne changeront pas — ou probablement pas — sur une durée de cinq à dix ans.
Buffett a cité l’industrie des télécommunications comme exemple de secteur où des changements substantiels sont probables. Et il a également parlé d’Intel — Buffett a déclaré qu’il ne comprenait pas l’entreprise lorsqu’elle est née, et qu’il ne la comprend pas aujourd’hui. C’est une autre société qui sera probablement confrontée à de nombreux changements dans l’avenir.
En fait, une bonne partie du succès de Berkshire au cours des ans est dû au fait qu’ils s’en tiennent à ce qu’ils connaissent. Munger a ajouté : "nous connaissons les frontières de notre compétence mieux que certaines personnes connaissent la leur". Cela permet de limiter les erreurs, même si tous les investisseurs font des erreurs et perdent de l’argent à l’occasion.
L’un des meilleurs conseils donnés par Buffett et Munger concernait leur méthode pour gérer une petite somme d’argent — plusieurs millions, plutôt que des dizaines de milliards : choisissez votre meilleure idée, et confrontez-y tout le reste. Il est très rare de trouver une idée qui vous rapportera 20% par an durant 40 ans. Dans le monde réel, vous devez fonctionner avec les meilleures idées que vous avez. Et ce ne sont peut-être — et même probablement — pas les meilleures idées que vous finirez par découvrir. Les choses changent ; comme le démontre la saga des journaux, des secteurs que l’on pensait autrefois à toute épreuve peuvent subir des revers de fortune majeurs.
Buffett a parsemé son discours de bon nombre de conseils d’investissements. Il a par exemple évoqué l’une des idées clé de son célèbre mentor, Benjamin Graham : vous avez raison parce que les faits et votre raisonnement vous donnent raison — non parce que quelqu’un est d’accord avec vous. Cela revient à l’idée que vous ne pouvez laisser les conditions de marché vous influencer. "Faites que le marché vous serve", a conseillé Buffett, "il n’est pas là pour vous instruire".
C’est là une différence essentielle entre un investisseur "micro" et une approche "macro". L’approche macroéconomique se base sur les marchés — d’où une utilisation intensive des graphiques. C’est bien différent de l’approche de Buffett.
Buffett a déclaré que les investisseurs devraient se concentrer sur les choses importantes et "connaissables". L’un des participants a posé à Warren Buffett et Charlie Munger une question sur les devises, les taux d"intérêt et les déficits courants américains.
J’ai adoré la réponse de Buffett — et je pense qu’elle a aidé à éclairer certaines des différences entre son approche, qui est aussi celle de Munger (enracinée dans la tradition d’investissement de la vieille école), et le secteur plus spéculatif du marché : "nous ne jouons pas les grandes tendances. C’est un peu trop macro pour nous", a-t-il déclaré.
Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait de la viabilité de l’éthanol en tant que carburant et en tant qu’investissement, Buffett a déclaré qu’il était plus simple de voir si les gens allaient boire plus de Coca-Cola et manger plus de bonbons. De plus, le fait que l’éthanol est très populaire en ce moment dissuade Berkshire de se positionner.
Munger pensait que, dans la mesure où il faut plus d’énergie pour produire de l’éthanol que l’éthanol lui-même n’en fournit, ce n’était pas une bonne idée. Il a également exposé son concept, souvent utilisé, des trois seaux."A Berkshire, nous avons trois seaux", a-t-il déclaré : "oui, non et trop difficile".
L’éthanol entre dans le seau "trop difficile". C’est un excellent principe, que j’utilise souvent pour investir. Inutile de faire des recherches sur tout, ou d’avoir une opinion sur tout. Certaines idées d’investissement sont simplement trop dures, trop difficiles et trop complexes pour se forger une opinion sûre et solide. Sur ces questions difficiles, l’investisseur a toujours un garde-fou très efficace : il peut simplement laisser tomber.
Sur la question de savoir si oui ou non les matières premières étaient dans une bulle, le célèbre duo avait une opinion avisée.
Buffett a déclaré qu’à part les produits agricoles, ils voient effectivement quelque chose ressemblant à une bulle sur les métaux (en particulier le cuivre) et le pétrole. Il a déclaré que, comme la plupart des tendances, les fondamentaux commencent par nourrir le cycle. Et ce que le sage fait au début, l’idiot le fait à la fin. A mesure que les tendances se forment et prennent de la vitesse, elles attirent les éléments spéculatifs. En fin de compte, ces derniers prennent le dessus, et on se retrouve dans une zone dangereuse. "Nous voyons cela dans le domaine des matières premières", a déclaré Buffett.
De combien est-ce que tout cela va grimper ? Personne ne le sait. Mais les matières premières, a conclu Buffett, sont "une balle de foot spéculative".
Quant à l’Amérique du sud ? Selon Buffett, le problème est qu’ils doivent investir beaucoup d’argent pour faire bouger les choses, à Berkshire ; cela limite grandement le nombre de pays dans lesquels ils peuvent investir. Le Brésil, par exemple, est un grand pays, et n’est pas à exclure — mais ils devraient investir une grosse somme dans une entreprise qu’ils comprennent, et pour un prix plus bas, comparé aux actions américaines.