Par Bill Bonner (*)
Toutes les mères veulent que leurs enfants réussissent dans la vie. Mais nous commençons à nous poser des questions sur la validité de ce plan.
Cette idée nous est venue tandis que nous méditions sur les candidats à l’élection présidentielle américaine. Difficile de demander mieux pour votre enfant que d’occuper le poste le plus haut placé des Etats-Unis, pas vrai ? Pourtant, quand nous regardons le responsable actuel, et ceux qui voudraient le remplacer, nous nous demandons : pourquoi se donner tant de mal ? Le problème, avec la politique, c’est qu’elle force un homme à prononcer des phrases vides, à présenter des promesses vides et à faire des gestes vides. Durant la campagne actuelle, par exemple, le mot "changement" est jeté à la foule comme une volée de pièces de monnaie. Les badauds se battent mais repartent les mains vides. Des années de ce genre de manoeuvres laissent des séquelles sur les politiciens eux-mêmes (nous le savons de source sûre — même si c’est un secret d’état bien gardé : on a réalisé des autopsies au hasard sur une sélection de membres du Congrès décédés, et lorsqu’on leur a ouvert le crâne, on s’est aperçu qu’il était vide. "Comment ces gens peuvent-il fonctionner sans cerveau ?", ont demandé les docteurs stupéfaits. Mais pour ceux d’entre nous qui suivent un peu la politique, la réponse était évidente).
Un politicien — surtout un politicien qui se porte candidat au poste suprême — ne peut se permettre de penser ; il n’en a pas le temps. Il doit apparaître partout… faire des discours vides de sens mais pleins de bons sentiments, bien entendu… et polir ses couleuvres jusqu’à ce qu’elles soient assez lisses pour couler dans la gorge des électeurs marginaux. En privé, les politiciens que nous avons rencontrés sont pour la plupart des personnes plaisantes — nous appréciions particulièrement le sénateur Harry Byrd… un vrai gentleman de la vieille école, ainsi que notre ami Ron Paul — mais la plupart d’entre eux sont ruinés par leur commerce… vidés… et rendus inutiles pour le travaille honnête ou la conversation authentique.
Nous relisons l’histoire de Rome — afin d’essayer de nous préparer au déclin et à la chute de l’Empire américain.
Durant les siècles d’hégémonie romaine, de la République des débuts à la fin de l’Empire, la marque de la réussite, pour un Romain, était le succès sur les champs de bataille. Rome était une machine militaire qu’aucun rival ne pouvait égaler. Une bonne partie de sa puissance provenait des idées et des attitudes des Romains eux-mêmes… et, plus tard, des autres citoyens de l’empire. Ils pensaient qu’une carrière militaire n’était pas seulement la voie vers le succès — c’était le succès.
Les Romains idéaux et ayant le mieux réussi — de Scipion l’Africain à Julien l’Apostat — entraient dans la légion à la fin de l’adolescence… et y restaient pratiquement tout le reste de leur vie, alternant leur carrière militaire avec d’autres rôles gouvernementaux — sénateur, consul, gouverneur et ainsi de suite.
A Rome, un homme en formation pouvait se reposer et trop manger, mais les meilleurs chefs militaires partageaient la dure vie de leurs soldats pendant les campagnes.
"Il marchait toujours à pied au milieu de ses hommes", dit Dion au sujet de Trajan. "Il s’occupait de l’organisation et de la disposition de ses troupes pendant toute la durée de ses campagnes, les dirigeant avec un ordre, puis un autre, traversant à gué toutes les rivières et les torrents en leur compagnie".
Un bon général romain vivait la même existence difficile que ses hommes. On dit que Trajan mangeait la même nourriture, et dormait sur les mêmes paillasses, que ses hommes. Il défilait avec eux… et se battait à leurs côtés.
Au début de la République, on attendait des généraux qu’ils luttent en direct avec l’ennemi. Bon nombre d’entre eux étaient tués, bien entendu. Mais ça faisait partie du travail… c’est ce que faisait un Romain ayant réussi. Plus tard, les généraux se mirent à penser qu’ils pouvaient mieux servir depuis les lignes arrières, où ils pouvaient diriger les batailles de manière plus sûre et plus rationnelle.
Souvent, les meilleurs généraux — ou les pires, d’ailleurs — passaient la majeure partie de leur vie dans les camps militaires. César a passé sept années à lutter contre les Gaulois… comme Trajan, vivant pendant ce temps une vie guère plus luxueuse de celle du soldat moyen. Lorsqu’il fut tué, durant les Ides de Mars, il préparait une nouvelle campagne contre les Daciens.
Et quasiment tous les plus grands généraux de Rome finirent mal. Publius Scipion mourut à 55 ans, sans raison apparente. Scipion l’Africain, qui vainquit les Carthaginois, se retira avec amertume de Rome après avoir été accusé de détourner l’argent du gouvernement. Il dépassa à peine les 50 ans.
Fabius et Marcellus, qui avaient réussi à défendre Rome contre Hannibal (qui leur avait donné du fil à retordre), moururent tous deux dans une embuscade.
Le pauvre Germanicus fut probablement empoisonné par le père qui l’avait adopté, Tibère, à 36 ans. Sa femme et ses deux enfants les plus âgés furent ensuite exécutés (son grand rival Arminius, qui avait détruit trois légions romaines dans la forêt de Teutoberg, fut assassiné la même année).
Domitius Corbulo défit les Parthes et régla la question arménienne. Pour le remercier, Néron lui permit de se suicider.
Quant à Caracalla, il était allé se soulager derrière un buisson — en campagne, bien entendu — quand un de ses propres soldats le poignarda à mort.
Le succès ? Nous préférons l’échec.
Meilleures salutations,
Bill Bonner
Pour la Chronique Agora
(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres "L’inéluctable faillite de l’économie américaine" et "L’Empire des Dettes".