▪ Le Père Noël poursuit sa tournée : les prix à la production n’ont pas été sages en novembre, les prix à la consommation non plus. En cette période de fêtes, il leur sera cependant beaucoup pardonné — ainsi qu’à toutes les mauvaises statistiques pouvant paraître d’ici ce vendredi : il n’est pas question de laisser Wall Street verser une larme sur une conjoncture économique qui demeure à mille lieues de l’état permettant de justifier les cours de Bourse actuels.
Tant qu’il y a de la liquidité en quantité et totalement gratuite, il est inutile de se soucier de savoir si un actif est correctement valorisé ! La seule question à se poser reste la suivante : est-ce que cela vaudra plus cher demain ? Si la probabilité dépasse les 50%, tous les programmes informatiques s’accordent sur le fait que le marché fera effectivement le pari de la hausse, faisant basculer les suiveurs dans le camp des haussiers.
Renouvelez l’opération 180 fois depuis la mi-mars : vous obtenez une envolée moyenne des cours de 60%, soit +0,3% par jour, sans aucune phase corrective proportionnelle aux gains l’ayant précédée. On peut y ajouter des scores de 100% et plus sur les bancaires et les valeurs cycliques, les vraies vedettes de la séance de mercredi.
Les places européennes ont terminé au plus haut du jour, de la semaine et du mois de décembre, sur une hausse inespérée de 1,3% ; Francfort bondit même de 1,6%. Il faut souligner qu’à l’image du scénario observé la veille, cette bonne fortune ne résulte pas d’une accélération haussière des indices américains avérée ou anticipée en fin d’après-midi ; la progression du Dow Jones avait fondu de moitié à mi-séance par rapport à 17h30.
▪ Le CAC 40 (+1,1% à 3 875 points) a par exemple bénéficié d’un bonus de +0,2% en fin de séance qu’il est difficile de relier à la moindre actualité de marché. Pas un seul secteur de la cote n’a terminé la séance en territoire négatif. Rien que du bon et rien à jeter, le tout dans un volume plus étoffé de 3,3 milliards d’euros. L’indice a surtout bénéficié du rebond des valeurs financières (à contre-courant de leurs homologues américaines mardi) avec +2,6% sur BNP Paribas, +2,5% sur Société Générale et AXA et enfin +1,6% sur Crédit Agricole et Dexia.
Certes, les indices américains ont rapidement comblé leur handicap de la veille — ils affichaient 0,6% de hausse pratiquement dès l’ouverture. Cependant, l’envol « en éclaireur » des places européennes, dès la première heure de cotation, ne laissait guère planer le moindre suspense sur l’orientation positive de la Bourse américaine en fin d’après-midi.
▪ Les opérateurs font clairement le pari que la Fed ne changera pas une virgule à son communiqué de politique monétaire car Ben Bernanke, élu personnalité de l’année par le magazine Times, ne voudra pas endosser la responsabilité de décevoir ou d’inquiéter Wall Street à une semaine de Noël.
Personne ne l’imagine démentir le maintien quasi éternel (au-delà d’un intervalle de six à neuf mois, ce qui laisse le temps de se retourner) de taux d’intérêt à des niveaux voisins de zéro… et largement négatifs en regard d’une inflation de 1,8% en rythme annuel, d’après le dernier CPI publié hier en début d’après-midi.
Mais la spectaculaire hausse des marchés n’était bien sûr qu’une demi-surprise à l’avant-veille de la séance cruciale des « Quatre sorcières ». Aucune mauvaise nouvelle — à moins qu’elle ne soit terrible — ne saurait faire dévier les actions de leur trajectoire ascendante.
Même si tous les chiffres du jour sont décevants (comme mardi) et que le dollar grimpe jusque vers 1,4505/euro, cela n’a guère d’importance. Les cours ne sont plus corrélés à la réalité économique mais intégralement gouvernés par les stratégies visant à doper les performances annuelles des portefeuilles ; les jeux seront faits à 95% vendredi.
▪ Les statistiques publiées ce matin en Europe étaient satisfaisantes, cela donne une certaine cohérence à la hausse… La vérité, toutefois, c’est que les indices boursiers n’avaient pas attendu la publication du PMI des services pour grimper de manière volontariste. Ils avaient matérialisé une belle accélération à la hausse (0,8%) un bon quart d’heure avant d’en prendre connaissance.
D’après les premiers résultats de l’enquête mensuelle de Markit auprès des directeurs d’achat, l’indice progresse de 0,7 point, à 53,7, en décembre. Il s’agit du meilleur score depuis novembre 2007. Le secteur manufacturier aurait également enregistré début décembre sa plus forte croissance d’activité depuis mars 2007, à 51,6 contre 51,2 en novembre.
Globalement, l’indice composite de Markit s’établit à un plus haut depuis octobre 2006, à 54,2 en décembre contre 53,7 en novembre… mais c’est conforme aux anticipations des marchés. Ils tablent sur une hausse de 0,5% du PIB de l’Eurozone au quatrième trimestre 2009.
Aux Etats-Unis, bonne surprise avec le rebond de 8,9% des mises en chantier (à 574 000) et celui des demandes de permis de construire (6%)… mais en l’occurrence, cela n’a provoqué aucune réaction détectable au moment de leur parution. Le dollar n’a commencé à reculer sous 1,4550/euro qu’après la publication de stocks de pétrole en baisse de 3,7 millions de barils aux Etats-Unis à mi-décembre. L’or noir s’est envolé de 3% sur le NYMEX, profitant de cette excellente occasion de rebondir après une chute de 10 $ en moins de trois semaines.
▪ Même avec le soutien des valeurs parapétrolières (le baril tutoyant les 75 $ en fin de séance à New York) et le rebond des constructeurs de maisons individuelles (+5% en moyenne), Wall Street n’est pas parvenu à s’inspirer de l’exubérance des places européennes en fin de parcours ce mercredi, bien au contraire.
Le Dow Jones termine en repli de 0,1% après avoir culminé sous les 10 510 points — pas de nouveau record annuel. Le S&P se contente symétriquement d’un gain de 0,1% ; là non plus, pas de record en intraday.
Le Nasdaq Composite se distinguait pour la deuxième séance consécutive en inscrivant d’entrée de jeu un nouveau record annuel à 2 220 points, soit une amélioration de 0,1% par rapport au précédent zénith établi mardi matin. Cependant, le rebond de 0,27% n’efface pas les 0,5% perdus la veille.
Il nous semble que le but poursuivi par les quelques banques d’affaire qui maîtrisent la tendance, et font évoluer les cours à leur guise, depuis la mi-juillet est en passe d’être atteint. Il s’agissait d’aborder la journée des « Quatre sorcières » avec des indices tutoyant leur zénith annuel respectif, tout en maintenant la volatilité au plancher — ce qui achève de détruire l’ultime reliquat de valeur temps sur tous les dérivés vendus à découvert depuis fin juillet. Joli démenti du dicton qui prétend que l’on ne peut avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre.
▪ Dans le cas présent, Wall Street s’est également offert les faveurs du crémier. Ce dernier peut à juste titre arborer un large sourire car le voici promu « homme de l’année ».
On pourrait le croire élu par un jury composé de bénéficiaires des plus gros bonus de l’histoire du capitalisme… obtenus en pleine déliquescence de ce même capitalisme. Que le monde des médias se régale des histoires de pompiers pyromanes ne saurait vous étonner… mais le plus surprenant, c’est que la Maison Blanche partage aussi ce penchant !
Elle a fait savoir mercredi soir qu’elle maintenait sa confiance envers Ben Bernanke. Cela équivaut à un quitus pour ses erreurs d’avant-crise ainsi que pour le gigantesque détournement de fonds publics orchestré avec la complicité de Goldman Sachs en septembre et octobre 2008… avec comme récompense ultime un feu vert pour un second mandat.