Par Ingrid Labuzan (*)
Le miracle russe a semblé fonctionner pendant une dizaine d’années. Grâce au pétrole, le pays bénéficiait d’un robinet de liquidités ouvert en grand, grâce auxquelles il a pu se constituer de vastes réserves budgétaires. Il en a d’ailleurs profité pour rembourser sa dette. Au début de la crise, à l’été 2008, la Russie disposait de 600 milliards de dollars de réserves de change et le pétrole flirtait avec ses plus hauts.
Le pays semble donc bien armé pour affronter le marasme qui s’annonce. C’était sans compter les aléas des cours des matières premières et, surtout, sans tenir compte d’un élément capital : la gestion politique en temps de crise. Le gouvernement — qui donne maintenant des conseils à Barack Obama et à Tony Blair, Poutine leur ayant recommandé de rester à l’écart du marxisme, qui ne mène qu’à des désastres — n’a pas su lancer les réformes nécessaires.
De façon quasi unanime, les analystes regrettent la mauvaise gouvernance de la Russie, sa politique tournée sur le profit des oligarques, "l’absence de réformes structurelles nécessaires à la diversification et au développement à long terme de l’économie" (Crédit Agricole). Ajoutez à cela un conflit en Géorgie, et vous obtiendrez un degré d’instabilité politique qui effraie les experts.
En bref, la Russie s’éloigne de plus en plus des autres BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine : acronyme créé par Goldman Sachs) d’un point de vue économique, car des signes de reprise pointent dans ces trois autres pays. Mais elle multiplie dans le même temps les efforts pour affirmer son rôle international.
Le rouble, monnaie de réserve internationale ?
La Russie vient en effet d’accueillir le sommet des BRIC. Objectif affiché des Quatre : faire tomber le dollar, le détrôner de son statut de monnaie du monde. A cela, la Russie ajoute ses objectifs personnels : faire du rouble une monnaie de réserve internationale. Le vice-Premier ministre, Igor Chouvalov, a estimé au début du mois que c’était "une réalité potentielle à court terme" pour les pays de la CEI (ex-URSS).
Une ambition qui n’inquiète pas les Américains, puisque la Russie est loin de répondre aux critères que nécessite un tel statut. Steve Elliott, vice-président de la Bank of New York Mellon, a déclaré, à l’occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg, que seul un Etat pouvant garantir une justice équitable et une protection de la propriété privée pouvait prétendre à de telles prérogatives.
A ce problème s’ajoute celui de la stabilité de l’économie intérieure, qui ne cesse de s’enfoncer dans le marasme. Le recul de la production industrielle s’accélère, le chiffre d’affaires du commerce de détail plonge, tout comme le déficit — il est désormais prévu à 7,4% du PIB cette année. Justement, le PIB souffre également, son recul ne cessant de s’accentuer.
Selon la dernière estimation gouvernementale en date, la production de richesse devrait reculer de 8% en 2009. Le PIB a déjà sombré de 9,8% au premier trimestre. Moscou vient d’avouer que la récession serait plus sévère que ce que le ministère de l’Economie avait anticipé. Autant de raisons pour ne pas vous laisser attirer par les hausses de la Bourse.
Notre collègue américain Martin Hutchinson est sans appel. "Pour les investisseurs qui recherchent des placements à long terme, le message est clair : ne perdez pas votre temps à regarder en direction de la Russie […]. N’oubliez pas : la Russie n’est pas un marché haussier global comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Et sans changement, elle ne le sera jamais."
Meilleures salutations,
Ingrid Labuzan
Pour la Chronique Agora
(*) Journaliste, Ingrid Labuzan est titulaire d’une maîtrise d’histoire, d’un master d’European Studies du King’s College London et d’un mastère médias de l’ECSP-EAP. Spécialisée sur le traitement de l’information et des médias étrangers, elle a vécu et travaillé pendant six mois à Shanghai. Elle a contribué à de nombreuses publications, dont le Nouvel Observateur Hors-série. Elle rédige désormais chaque jour la Quotidienne de MoneyWeek, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.