Derrière la façade d’une économie en apparente résilience, la situation financière de la Fed révèle des failles inquiétantes. Avec des pertes record et une politique monétaire sous pression, l’avenir du billet vert comme valeur refuge pourrait être remis en question…
Cette année, tous les regards qui se portaient sur les Etats-Unis sont restés fixés sur l’élection présidentielle et la bonne tenue du dollar.
Il faut dire qu’entre le retrait de Joe Biden et la victoire écrasante de Donald Trump, les coups de théâtre n’ont pas manqué. Et avec une performance de près de +6 % par rapport à l’euro, le billet vert a fait mentir les Cassandre qui prédisaient un effondrement de la monnaie américaine.
Il n’en fallait pas plus pour que les commentateurs politiques et économiques prévoient, en cette fin d’année, un retour huit ans en arrière. Comme si le second mandat de Trump pouvait être équivalent au premier, mais survitaminé, et que Wall Street pouvait espérer une année 2025 équivalente à 2017. Après une folle année 2024 pour les indices américains, aucun investisseur ne ferait la fine bouche face aux 22 % de hausse sur le S&P 500 qui avaient couronné la première année du règne de Donald Trump.
Mais la situation est bien différente de celle d’il y a huit ans. Après des années de quantitative easing, la hausse des taux décidée par la Fed a plombé son bilan. Avec plus de 5 700 milliards de dollars de bons du Trésor en portefeuille, il était inévitable que la hausse des taux d’intérêt obligerait l’institution à essuyer des pertes latentes. Et, avec une rémunération des dépôts supérieure à celle de ses actifs détenus, le passage du temps ne viendrait pas améliorer les choses.
Devant cette évidence mathématique, la Fed avait anticipé les critiques et chiffré le coût du cycle de hausse des taux. Mais au vu des derniers chiffres trimestriels, l’estimation était plus qu’optimiste : elle s’avère totalement déconnectée de la réalité.
Le trou dans le bilan dépasse désormais les 213 milliards de dollars, à rapporter à ses 43 milliards de fonds propres. Ce n’est que par un artifice comptable que la Fed parvient à maintenir une solvabilité de façade.
La monétisation des déficits du Trésor a eu pour intérêt de déplacer l’insolvabilité d’Oncle Sam. En reportant le déficit budgétaire dans le bilan de la Banque centrale, pourtant censée être indépendante, Washington fait désormais peser son incurie budgétaire sur l’ensemble des utilisateurs du dollar.
Une rigueur budgétaire en trompe-l’œil
Il est évident que la Fed n’est pas une personne morale comme les autres, et que les autorités n’ont aucun intérêt à l’obliger à se recapitaliser ou à faire faillite.
En pratique, tant que la Fed est autorisée à fonctionner avec des capitaux propres négatifs, le gouffre dans son bilan représente simplement une injection monétaire déguisée.
L’ampleur du déficit budgétaire américain n’est un secret pour personne. Mais, foi de Banque centrale, l’année 2022 était censée avoir marqué la fin du laisser-faire monétaire. Avec la hausse des taux directeurs, l’impression monétaire devait toucher à sa fin et la Fed devait retrouver le chemin des bonnes pratiques.
De fait, la détention de bons du Trésor qui avait doublé au début la pandémie et encore augmenté de 50 % entre 2020 et 2022 connaît une baisse depuis deux ans maintenant. Mais plus que la preuve de la fin de la monétisation de la dette, cet assagissement de la courbe est surtout dû à la baisse de valeur des bons du Trésor détenus du fait de la hausse des taux.
Sur les neuf premiers mois de l’année, la Fed a perçu en moyenne une rémunération de 2,21 % sur les bons du Trésor qu’elle détient en portefeuille. Dans le même temps, elle a accepté des dépôts rémunérés à 5,28 % en moyenne. Du fait de cet effet ciseaux défavorable sur le coût de l’argent, elle a perçu pour 121,6 milliards de dollars d’intérêts pendant qu’elle rémunérait pour 178,8 milliards de dollars les dépôts, soit une perte de près de 60 Md$ sur neuf mois.
Une perte sous-estimée de 500 %
Le plus inquiétant n’est pas tant l’ampleur du déficit, somme toute cohérent au vu de la montagne de bons du Trésor détenus avant la hausse des taux, mais plutôt l’incapacité qu’a eu la FED à l’estimer.
Dans une note publiée en février 2022, elle estimait le coût de la hausse des taux sous forme de calcul probabiliste. Un exercice de transparence remarquable, et — sur le papier — bien plus rigoureux que les prévisions péremptoires auxquelles nous ont habitués les instances monétaires depuis la crise des subprimes.
Dans le scénario de base, la perte devait plafonner à 50 milliards de dollars en 2024, avant de baisser sous les 20 milliards dès l’été 2025. Dans le cas moins favorable, dont la probabilité était estimée à 70%, la perte plafonnerait à 125 Md$ en 2025. Enfin, dans le pire des scénarios, elle se stabiliserait à 210 Md$. Une hypothèse du pire qui aurait, selon les précisionnistes de la FED, moins de 10% de risque d’advenir.
Scénarios d’évolution des pertes sur les bons du Trésor : scénario médian (en noir), hypothèse défavorable (70 % d’intervalle de confiance, en bleu clair), hypothèse très défavorable (90 % intervalle de confiance, en bleu foncé). Source : Fed
Mais avec une perte qui dépasse les 213 milliards de dollars au 20 décembre 2024, le scénario du pire est déjà largement dépassé. La courbe ne s’infléchira que lorsque le rendement moyen des bons du trésor détenus dépassera la rémunération moyenne des dépôts. À moins d’un revirement brutal de la politique monétaire, cela ne se produira pas avant 2026. Au rythme actuel, la perte pourrait largement dépasser les 300 milliards de dollars.
Evolution des gains et pertes constatés depuis la pandémie. Source : Fed Saint Louis
La Fed se retrouverait ainsi avec un trou dans son bilan représentant plus de cinq fois ses fonds propres, et plus de 10% de la valeur des bons du Trésor détenus.
L’avenir dira si le reste de la planète continue de détourner pudiquement les yeux de l’insolvabilité de la Fed, et s’entête à considérer le dollar comme la valeur refuge ultime.
Si la confiance se brise, la surperformance du billet vert par rapport aux autres monnaies prendra fin. Nous ne sommes peut-être qu’à un shutdown ou un vote tendu sur le budget américain de cette prise de conscience.
1 commentaire
Bonjour sambadiallo j’ai vous remercie beaucoup pour votre aide bien