Voulez-vous plutôt investir dans des tasses de thé à Wall Street, un marché de l’immobilier en porcelaine, ou des valeurs technologiques en cristal ?
Trois choses ont fait de la période 1980-2022 l’un des épisodes les plus rentables de l’histoire pour les investisseurs. L’énergie était bon marché. Le travail était bon marché. Le crédit (l’argent emprunté) était bon marché.
Et maintenant ? Les gouvernements découragent l’investissement dans le secteur des énergies traditionnelles. Le réservoir de paysans chinois qui avaient maintenu le coût de l’emploi à un bas niveau depuis 1979 s’est tari. Le cycle du crédit a pris un tournant il y a deux ans : depuis, les taux d’intérêt ont augmenté, avec le concours de la Fed.
Pour faire court, la situation a profondément changé. Les marchés sont-ils au courant ?
La chose que les investisseurs et le gouvernement ne peuvent pas feindre d’ignorer est l’inflation. Les prix à la consommation augmentent et cela met les électeurs de mauvais poil. Cela met également en lumière la compétence factice de la Fed, ce qui l’oblige à adopter des mesures déplaisantes. Dès lors, dans un contexte marqué par une inflation sans précédent depuis 40 ans, la Fed est déterminée à relever ses taux jusqu’à ce que « le boulot soit fini ».
Nous doutons toutefois qu’elle ait le courage de maintenir le cap.
La Fed relèvera ses taux jusqu’à ce que « quelque chose casse », comme le dit l’un de nos collègues. Alors, elle fera une pause et fera volte-face.
Aujourd’hui, nous nous intéressons aux tasses de thé.
La folie spéculative
« Le financement se tarit à Wall Street », affirmait un titre du Wall Street Journal lundi.
Le noyau de l’histoire est assez simple. Tant que Wall Street était biberonné aux taux de financement les plus bas de l’histoire de l’humanité, il était difficile de casser quoi que ce soit. Il y avait plein de théières fragiles et de tasses fragiles. Mais lorsqu’elles vacillaient, leurs propriétaires pouvaient les envelopper avec toujours plus de crédit bon marché.
Résultat : le secteur privé américain affiche une dette de 10 000 Mds$ et la majeure partie de cette dette appartient à des entreprises qui n’ont pas les moyens de la rembourser. D’après le Wall Street Journal :
« Les entreprises d’Amérique du Nord auront besoin d’au moins 200 Mds$ en 2022 et 2023 pour couvrir l’augmentation des charges d’intérêt… »
Que se passe-t-il ?
Cathy Wood est une célèbre gérante de fonds spécialisé dans les valeurs technologiques spéculatives. Elle a accédé à la renommée en 2020, lorsque la valeur de son portefeuille a augmenté de plus de 150%. Il était alors facile d’attirer de nouveaux capitaux : les gens voulaient leur part du gâteau. Les entreprises technologiques se sont vu attribuer des valorisations absurdes, même celles, nombreuses, qui étaient fragiles comme de la porcelaine.
Le problème des jeunes pousses technologiques est qu’elles sont souvent non rentables. Par exemple, sur les 25 plus grosses positions que Cathy Wood détient en portefeuille, 21 sont des entreprises qui perdent de l’argent. Bon nombre d’entre elles n’ont aucune chance d’être rentables à court terme.
Elles ne peuvent donc survivre qu’en empruntant de l’argent ou en levant toujours plus de capitaux. Et cela devient de plus en plus difficile. Le WSJ nous apprend ainsi que les « fusions et acquisitions ont chuté de 43% ces derniers mois et les introductions en Bourse se sont effondrées à leur plus bas niveau depuis plus de dix ans ».
En octobre, le nombre de d’introductions en Bourse avait chuté de 95% par rapport à la même période l’an passé. « Le financement des véhicules d’investissement appelés obligations structurées adossées à des prêts bancaires s’est effondrée de 97% par rapport à l’an dernier », poursuit le WSJ.
La rentabilité ? Quelle rentabilité ?
Bien sûr, il existe d’autres sources de capitaux. Il existe des prêteurs privés et des sociétés de capital-investissement. Le problème est que les gens qui investissent leur propre argent sont souvent des radins. Les valorisations sont généralement bien plus basses que celles disponibles sur les marchés publics, en particulier celles de l’époque des bulles spéculatives.
A titre d’exemple, votre correspondant travaille avec une entreprise cotée en Bourse et une entreprise non cotée. Les deux sont très similaires. Mais le titre de l’entreprise cotée s’échange à un ratio cours/bénéfice (PER) de plus de 10, tandis que l’entreprise non cotée, si elle venait à être vendue, s’attendrait à un PER de 5 environ, soit la moitié seulement.
Mais que se passe-t-il lorsqu’il n’y a pas de bénéfices à multiplier ? Voici quelques exemples :
La capitalisation de Shopify vaut 8,1 fois son chiffre d’affaires. L’entreprise ne gagne pas d’argent.
La capitalisation de uPath vaut 5,7 fois son chiffre d’affaires. L’entreprise ne gagne pas d’argent.
Crisper (CSPR) est certes « disruptive » dans le domaine de l’édition de gènes. Mais l’entreprise affiche un ratio cours/chiffre d’affaires de 83,9… alors qu’elle n’est pas rentable.
Roblox a vu son cours de Bourse chuter de 48% depuis le début de l’année. Elle devrait être bien plus bas. L’entreprise affiche un ratio cours/chiffre d’affaires de 11,4 et un ratio cours/valeur comptable de 44. Elle n’est pas rentable.
Nvidia (NVDA) est rentable mais affiche un ratio cours/chiffre d’affaires de 12 et un ratio cours/valeur comptable de 14,8.
Toast, une entreprise proposant un logiciel pour la gestion des restaurants, est non rentable et affiche un ratio cours/chiffre d’affaires de 3,9 et un ratio cours/valeur comptable de 8,5.
Bill.com, une entreprise proposant un logiciel de gestion des ressources humaines, est largement détenue dans des ETF de Vanguard, mais elle n’est pas rentable et affiche un ratio cours/chiffre d’affaires de 16,9.
Cloudflare n’est pas rentable, mais affiche un ratio cours/chiffre d’affaires de 16,2 et un ratio cours/valeur comptable de 23,1. Le ratio vente/achat d’initiés est de 331. Les dirigeants ont lâché pour 332 M$ en un an.
Et la liste continue, encore et encore…
Pas d’offre
Bon nombre de ces entreprises technologiques non rentables ne trouveront aucun financement sur les marchés publics. Elles seront ainsi forcées de se replier dans l’univers du financement privé. Peut-être parviendront-elles à survivre, peut-être pas. Les charognards des marchés privés exigeront des décotes colossales. De nombreuses entreprises ne trouveront pas d’acheteur, quel que soit le prix demandé.
Les entreprises, grandes comme petites, peinent à rembourser leurs intérêts. Certaines font d’ores et déjà face à des charges d’intérêt supérieures à 10%, ce qui est énorme pour une entreprise en difficulté. Progressivement, des fissures vont apparaître. Et comme le dit le proverbe de l’éléphant dans un magasin de porcelaine, le marché va tout faire tomber.
Alors, quand le marché ne serait plus qu’un ramassis d’investisseurs fauchés errant au milieu des fragments d’entreprises déchues, Jerome Powell se précipitera à leur chevet… avec de la colle.