Dans les affaires comme dans la guerre, ou dans le mariage d’ailleurs, il n’y a pas de garanties. Les choses tournent mal. Les choses changent.
Thomas Jefferson a visité la région de Bordeaux en 1787 et a remarqué que bon nombre des meilleurs domaines viticoles portaient des noms tels que Boyd, Barton, Dillon, Lynch… et, là où nous avons dîné hier soir, Kirwan.
Les choses auraient pu se passer différemment. Si les Espagnols avaient été mieux organisés, mieux informés, mieux approvisionnés et mieux guidés. Lors de la bataille cruciale de Kinsale, leur armée aurait pu débarquer au bon endroit, mettre plus d’hommes au travail et disposer de plus d’armes.
D’ailleurs, il aurait été utile que les Irlandais soient eux aussi plus actifs. Trois « Hugh » – Hugh O’Donnell, Hugh O’Neill et Hugh McGuire – se sont précipités pour aider les Espagnols. Mais ils étaient trop peu nombreux, il était trop tard et ils ne faisaient pas le poids face aux Anglais, plus disciplinés.
C’était au début du désastreux XVIIe siècle (pour les Irlandais). A la fin de celui-ci, ils ont subi une nouvelle défaite cuisante. La bataille de la Boyne fait partie d’une guerre plus vaste au cours de laquelle Jacques II a affronté sa propre fille et son mari, Guillaume III, pour la couronne d’Angleterre. Mais pour les Irlandais, il s’agissait de se débarrasser des Anglais et de recouvrer le droit de posséder des biens ainsi que de pratiquer leur foi catholique.
Une fois de plus, les Irlandais ont essuyé une défaite. Guillaume avait fait venir de Hollande et du Danemark des soldats entraînés (il ne faisait pas confiance aux Anglais) qui se sont révélés très efficaces contre les Jacobites locaux et leurs alliés français.
Ces deux batailles – et les dégâts causés par Oliver Cromwell entre les deux – ont poussé de nombreux Irlandais à fuir, ici à Bordeaux, en France… et à faire du commerce dans le vin.
Nous sommes venus ici pour un mariage.
Nous sommes donc partis de chez nous, dans le Poitou, et avons pris une longue route sinueuse. Après quelques heures, nous sommes arrivés à la Gironde et avons été surpris de constater qu’il n’y avait pas de pont. Les voitures faisaient la queue pour embarquer sur un ferry afin de traverser le fleuve jusqu’à la région de Pauillac, de l’autre côté. La traversée en ferry avait déjà quelque chose d’antique, rappelant une époque révolue.
Le terrain est essentiellement plat. A certains endroits, il nous rappelle la Sicile ou l’Espagne rurale. Des canaux traversent les champs, d’une part pour le drainage et d’autre part pour acheminer les tonneaux de vin vers le marché. Les bonnes terres à vignes sont extrêmement chères, mais la plupart des terres sont trop marécageuses pour être plantées.
Dès le XVIIIe siècle, Bordeaux connaît une activité florissante. L’essor est encore plus grand lorsque des entrepreneurs irlandais se lancent dans l’aventure, et que John Adams et Thomas Jefferson formulent des opinions très favorables sur le vin. Les vignerons et les négociants en vin prospères ont construit leurs grandes maisons, qui figurent désormais sur les étiquettes des vins de luxe, et dont les entrées sont généralement en pierre.
Dans les affaires comme dans la guerre, ou dans le mariage d’ailleurs, il n’y a pas de garanties. Les choses tournent mal. Les choses changent. C’est pourquoi il n’est jamais bon de payer trop cher pour une action ou un domaine viticole. Pendant un certain temps, Bordeaux a été le premier exportateur de vin. Appelé « claret » par les Anglais et toujours mentionné sur le menu du Garrick Club à Londres, il était expédié vers les colonies britanniques du monde entier.
Mais les colonies ont commencé à produire leur propre vin. En vrac. Le célèbre Jugement de Paris – une dégustation à l’aveugle de vins du monde entier – a prouvé que les vins californiens étaient en fait aussi bons, voire meilleurs, que les vins de Bordeaux.
L’Australie, le Chili et l’Argentine sont également devenus des exportateurs de premier plan. Bordeaux a perdu des parts de marché, et de nombreux grands domaines viticoles ne sont plus aussi rentables qu’ils l’étaient autrefois.
Aujourd’hui encore, au milieu de la grisaille ensoleillée des pins, quelques grands et glorieux châteaux se détachent du paysage.
Un ami, membre de la grande famille Rothschild, résidant actuellement à New York, s’est marié samedi avec une fille de Boston. La baronne Philippine de Rothschild est décédée en 2016, mais la famille possède encore quelques châteaux dans la région, dont le château de Kirwan, fondé par un Irlandais au XVIIIe siècle, où s’est déroulée la réception.
Les mariages et les enterrements sont des étapes clés de notre vie. Le mariage plante la graine d’une nouvelle vie, la mort la coupe. Les mariages peuvent échouer ; la mort, jamais.
La particularité de ce mariage est qu’il s’est déroulé ici, en France. Les mariés sont tous deux américains. Et le service a été conduit en anglais, par un prêtre français.
Le vieux Bordeaux s’est peut-être trouvé une nouvelle activité : celle de lieu de mariage. L’église St. Didier, datant du XVIIe siècle, était magnifique… et la mariée, avançant lentement dans l’allée, flanquée de son père et de sa mère, glissant sur les pierres lisses… avec le soleil entrant par les grandes portes derrière eux… était éblouissante.
1 commentaire
Du Bill Bonner comme je l’apprécie. Merci