▪ Savez-ce que l’on ressent lorsque se dresse devant vous un pays 25 fois plus grand que vous, 11 fois plus peuplé, et dont le taux de croissance a pu être 10 fois supérieur au vôtre ?
Au regard de ce tableau, on peut légitimement estimer que la France s’en sort bien. Par contre, le Japon est obligé de gérer cette situation au quotidien. Nous avons observé l’essor de la Chine sur les marchés internationaux, en particulier des matières premières, à partir de l’année 2008, lorsque les Jeux olympiques de Pékin ont nourri nos fantasmes sur l’Empire du Milieu.
Pour ses voisins, en revanche, la domination chinoise remonte à bien plus loin. Le Japon notamment a pris peur de l’essor de la Chine dès le début des années 2000. A l’heure où nous pensions tranquillement que l’Afrique était encore notre marché naturel d’exportation, où nous pensions ne pas avoir de problème de dette, et que le simple mot de guerre appartenait à l’époque révolue du 20ème siècle, le Japon fourbissait déjà ses armes pour lutter contre les distorsions que la Chine allait créer sur les marché.
Aujourd’hui, je vous propose un portrait, celui du JOGMEC, le bras armé du Japon pour échapper à l’appétit chinois de matières premières.
▪ Une culture de la pénurie
On le sait, le Japon n’a aucune matière première. Cela fait bien longtemps que les quelques gisements de charbon ont été épuisés. Le Japon est obligé de ne compter que sur son propre génie pour faire avancer son économie… quand la nature ne vient pas perturber ses plans.
En 2004, Tokyo, voyant se dresser de l’autre côté de la mer de Chine son immense voisin, décide de créer le JOGMEC. Le JOGMEC, Japan Oil, Gas and Metals National Corporation, est le bras énergétique et minier du pays. Il est doté d’un budget de 15 milliards d’euros, réparti entre métaux et énergie et recherche. Son rôle est simple.
1 – Il soutient financièrement les entreprises japonaises à l’étranger
Pour ne citer que les projets les plus stratégiques, le JOGMEC a apporté sa garantie de prêt à la shôsha (maison de trading) Marubeni pour acquérir 30% de la mine de cuivre et d’or d’Esperanza au Chili, une des plus grande mine de cuivre du monde.
Il a également aidé la shôsha Toyota Tsusho dans son investissement dans le salar de Jujuy, en Argentine, aux côtés d’Orocobre pour produire du lithium, le métal indispensable aux voitures hybrides et électriques.
Le JOGMEC a été tout particulièrement actif pour sécuriser les approvisionnements en terres rares. Le pays a signé des accords au Kazakhstan, en Inde et au Vietnam. Le Japon devrait créer avec ce dernier un centre de recherche sur les terres rares basé à Hanoï. Il a également accompagné financièrement la société Sojitz pour conclure un accord avec la minière terres rares Lynas, ainsi que Sumitomo avec Polycop, et Goyots (Toyota Tsusho Corporation) avec Matâmes, qui développe un projet de terres rares lourdes au Canada.
2 – Il passe des contrats de long terme
Ces contrats n’auraient sans doute pas intéressé tout de suite les entreprises, du fait de l’engagement à long terme nécessaire et de l’incertitude financière du projet. Toutefois, cet activisme permet au Japon de se positionner sur des marchés bien avant tout le monde, alors qu’aucune entreprise ne s’y intéresse.
Le JOGMEC est un acteur clef dans la transition énergétique du pays, notamment pour l’aider à tourner la page du nucléaire. Mais le JOGMEC s’est engagé dans d’autres projets tout aussi innovants.
Ainsi, à l’été 2013, le Japon a reçu un permis d’exploration de la part de l’AIFM, l’Autorité internationale des fonds marins, sur l’atoll corallien de Minamitorishima, situé dans les eaux internationales du Pacifique. Quelques mois plus tôt, des chercheurs de l’université de Tokyo, de l’Agence des sciences et technologies marines et terrestres et Mitsui Ocean avaient déclaré avoir identifié des gisements de terres rares qui seraient près de 20 à 30 fois plus concentrés que les concentrations des gisements chinois. Ni une ni deux, le JOGMEC est intervenu, notamment parce qu’il possède déjà le navire nécessaire à l’exploitation de ces ressources, le Hakurei, ainsi qu’un robot sous-marin, le Yomiuri Shimbun.
A côté de cet engagement, il gère les stocks stratégiques de métaux rares et indispensables (nickel, chrome, tungstène, cobalt, molybdène, manganèse, vanadium, indium et gallium). Or à l’heure actuelle, aucune entreprise ne veut ou n’a les moyens de financer des stocks de matières.
3 – Il soutient la recherche
Le JOGMEC possède un centre de recherche sur les métaux, le Metals Technology Centre à Kosaka–machi.
▪ Mon conseil
Je vous conseille de suivre les grands investissements du JOGMEC dans le monde — c’est un bon indicateur des futures tendances sur le marché de l’énergie et des métaux.
S’il fallait choisir un investissement particulièrement important, je retiendrais l’investissement dans Lynas, la société australienne de terres rares qui espère produire des terres rares à partir du gisement de Mount Weld. Au capital de Lynas, vous retrouverez des noms connus, comme Rhodia.