Connaissez-vous la Real Estech ? Voici un panorama de ce secteur pour investir dans l’immobilier autrement.
FinTech, GreenTech, la MedTech, Legal Tech… Tout devient « tech « de nos jours.
Le terme de Real Estech – un jeu de mots avec Real Estate qui signifie immobilier en anglais – recouvre les technologies, et plus largement les innovations, dans ce secteur. S’y intéresser, c’est approcher l’immobilier d’une autre façon.
Le quotidien Les Échos, dans son édition du 8 février mettait en avant les champions français de la croissance. En tête du classement, la société Bis Rénovation Énergie qui propose des solutions d’économie d’énergie, dont le chiffre d’affaires a été multiplié par 45 entre 2014 et 2017.
D’autres entreprises opérant dans le vaste secteur de l’immobilier occupent les premières places du classement : Fiducim (3ème place), Monabee (5ème), Miprom (6ème), Habiteo (7ème), Maisons Fidéa (13ème), Eco CO2 (14ème), etc. Comme quoi il existe des entreprises à la croissance soutenue dans un secteur qui n’est pourtant pas réputé pour être révolutionnaire.
Il faut dire qu’il n’est pas aidé : les réglementations y sont tellement nombreuses, d’un bout à l’autre de la chaîne, qu’innover, c’est prendre le risque de ne plus être dans les clous.
À côté des normes qui plombent le secteur, on peut également citer comme freins à l’innovation : la dynamique du marché – la demande est toujours soutenue, du coup pourquoi se casser la tête à innover –, la taille des entreprises – souvent petite – et la fragmentation des projets. Tout ceci empêche les économies d’échelle.
Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer la Real Estech en traitant du crowdfunding immobilier. Nous proposons aujourd’hui de présenter quelques exemples d’acteurs qui veulent bousculer l’ordre existant[1]. Mais auparavant, profitons de la sortie, le 19 février dernier, du baromètre 2018 de la Real Estech en France, pour donner quelques chiffres.
Une croissance soutenue jusqu’en 2017
En 2018, les start-up de l’immobilier et de la construction ont procédé à 62 levées de fonds pour un total de 204 M€ (contre 177 M€ en 2017 et 64 M€ en 2016). Depuis 2015, c’est 461 M€ qui ont été investis dans les jeunes pousses de la Real Estech. Moins que dans la Food Tech (561 M€) et loin derrière la Fintech qui a attiré près de 1 Md€ en 4 ans.
Le nombre d’entreprises créées en 2018 est, en revanche, en forte baisse : 40 en 2018 contre 100 en 2017. Cette inflexion signifie, si l’on en croit les observateurs du secteur, que celui-ci arrive à maturité.
Sur les 420 start-up actives en 2018, 70 % ont été créées entre 2015 et 2017. Une centaine adresse le segment de la construction, et 320 celui de l’immobilier dont 42% qui opèrent sur plusieurs produits immobiliers différents (résidentiel, bureaux, commerce, logistique, etc).
En 2018, 4 start-up ont levé au moins 10 M€ : Finalcad (outil de suivi de chantier), 40 M€ ; Meero (photographie immobilière), 38 M€ ; HabX (plateforme de recherche de logements) et Bien’ici (site d’annonces immobilières), 10 M€ chacune. Depuis leur création, 4 entreprises se distinguent pour avoir levé des sommes importantes. Outre Meero (56 M€) et Finalcad (55 M€) déjà citées, mentionnons ManoMano (spécialiste du bricolage et jardinage en ligne) avec 73 M€ et GuesttoGuest (38 M€), désormais rassemblé avec Trocmaison pour former HomeExchange (communauté d’échange de maisons).
Les grands acteurs du BTP investissent
En 2018, 5 start-up de la Real Estech ont été rachetées en France. Saint-Gobain a repris Tolteck (éditeur de CRM pour les artisans) ; Legrand s’est emparé de Netatmo (objets connectés) ; Airbnb a racheté LuckeyHomes (plateforme de conciergerie) ; BatiWeb a mis la main sur HelloArtisan (plateforme entre particuliers et artisans) ; et EP a racheté Kadran (plateforme d’enchères immobilières).
Plusieurs grands groupes ont investi dans le secteur en 2018. C’est le cas, par exemple, de Crédit Agricole Immobilier, de BNP Paribas ou de Scor. Ils viennent s’ajouter à de grands acteurs qui s’intéressent à la Real Estech tels Foncia, Nexity, Bouygues, Accor, Vinci ou Icade.
Signalons enfin, qu’après s’être longtemps tenus à l’écart du secteur, les fonds de capital-risque généralistes ont désormais un pied dans la Real Estech. Le plus actif est Kima Ventures, mais nous trouvons Partech, Kerala Ventures, Isai, Idinvest Partners, Alven, ou encore Serena.
Donnons maintenant quelques exemples d’innovations.
Verre, bois, béton, tuiles : tout bouge
L’innovation a surtout été jusqu’alors le fait de l’industrie amont, celle des matériaux de construction. Deux tiers des dépenses de R&D liées à l’immobilier viendraient des producteurs de matériaux.
Ces dernières années, des innovations ont vu le jour dans le secteur du verre. Par exemple le verre électrochrome, développé par Saint-Gobain, qui se teinte de façons automatique ou contrôlée, et permet de se protéger du soleil. L’industriel français fabrique également des vitrages autonettoyants.
La société Litracon, d’origine hongroise, a mis au point un béton incorporant des fibres optiques et le rendant ainsi translucide. En matière de béton, on peut également citer le Btonlin, de l’entreprise CMEG, développé à partir des fibres de lin et présentant une résistance aux fissurations et une isolation thermique accrues.
La société THT traite le bois par haute température pour que celui-ci soit plus résistant à l’humidité (+ 30 à 50 %) et par conséquent plus durable dans le temps. La start-up américaine BetR-block a conçu des briques à partir de ciment et de cellulose provenant de papier et carton recyclés, qui sont un très bon isolant thermique et acoustique.
Tesla, la société du célèbre Elon Musk, commercialise des tuiles solaires photovoltaïques : le Solar Roof permet de stocker l’énergie accumulée durant la journée et transforme la maison en unité énergétique indépendante.
Smart Cast fabrique des panneaux coffrants intégrant tous les réseaux de fluides (plomberie, électricité, VMC…). La société française Woodeum commercialise des constructions en bois, utilisant la technique du CLT (Cross Laminated Timber), bois lamellé contre-croisé, permettant un gain de temps incroyable sur le chantier.
Le suivi de chantier avec des drones
Les drones ont commencé à apparaître sur les chantiers. Avant les travaux, ils facilitent la cartographie des lieux ; pendant les travaux, ils permettent un suivi plus fin de l’avancement du chantier. Même les particuliers peuvent aujourd’hui avoir accès à cette technologie. Ainsi, la start-up américaine Skycatch offre la possibilité à quiconque, à partir d’une application sur son smartphone, d’envoyer un drone prendre des photos. Pratique quand vous n’êtes pas sur place pour surveiller l’avancement du chantier.
Quant à H3 Dynamics et GTC, ils ont développé un drone capable de détecter des fissures sur les façades des immeubles, et permettre ainsi une intervention rapide.
Bien sûr, la grande affaire de la construction depuis quelques années maintenant, c’est le BIM (Building Information Modeling). Le BIM promet de résoudre les problèmes de coordination sur les chantiers qui entraînent perte de temps, coûts supplémentaires et erreurs. Le BIM permet de modéliser la construction en 3D et d’échanger des informations entre les différents intervenants, de l’architecte à ceux qui assureront les finitions, et même jusqu’aux personnes chargées de la maintenance. Chacun utilise le même outil, partageant les informations en temps réel. Il contraint à anticiper et à organiser le chantier, et permet de contrôler. C’est un outil de management de projet. Pour certains chantiers, on parle de réduction des coûts de construction de 40 %.
Aujourd’hui, les grands groupes de BTP utilisent le BIM, ainsi que des bureaux d’études et des cabinets d’architecture. Petit à petit, son utilisation sera généralisée. Dans les marchés publics, on commence à l’imposer dès la phase de l’appel d’offres ou de concours. Bien sûr, il existe de nombreux obstacles à sa généralisation au premier rang desquels le coût de l’outil pour des TPE et PME (acquisition et formation). C’est pourquoi, certaines sociétés développent des logiciels plus simples, en 2D.
Parmi les éditeurs de logiciel adressant ce marché, on peut citer, Graphisoft, FieldLens, Fieldwire, Finalcad, Nemetschek, Trimble, Autodesk qui vient de racheter PlanGrid etc.
La sophistication croissante du préfabriqué
Pour l’Exposition universelle de Shanghai, une société chinoise – Broad Sustainable Building – a construit un immeuble de six étages en une seule journée. La même entreprise a bâti un hôtel de 15 étages en une semaine et une tour de 57 étages en moins de 3 semaines. Exploits possibles car 90 % de la structure du bâtiment est réalisé en usine.
La célèbre marque suédoise Ikea, alliée à Skanska, commercialise des maisons en kit BoKlok. Dans les modules qui arrivent sur le chantier, la cuisine et la salle de bain sont déjà assemblées, les cloisons montées, le parquet posé.
Les constructions modulaires semblent vouloir se répandre partout sur la planète. On est loin des Algeco, du moins ceux de l’ancienne génération. Car l’entreprise d’origine française innove constamment et propose aujourd’hui des produits haut de gamme.
Parmi les autres acteurs, on peut citer l’américain Factory OS qui a fait parlé de lui quand Google lui a commandé 300 maisons pour loger ses employés qui ont du mal à trouver un logement à un prix décent dans la Silicon Valley. D’après le Wall Street Journal, la technique utilisée par Factory OS réduirait de 20 à 50 % les coûts de construction dans la baie de San Francisco.
L’anglais Ten Fold Engineering a mis au point la maison pliable. Elle arrive sur le terrain avec un camion si elle est très grande, sinon une voiture suffit pour la transporter. En 8 minutes, la construction est dépliée. Mais le coût pour un tel habitat est encore très élevé. Ce n’est pas son prix que met en avant Ten Fold Engineering, mais la rapidité d’installation et de… déménagement.
Bien sûr, le secteur de la construction n’échappe pas aux imprimantes 3D. C’est ainsi que l’italien Wasp a lancé une énorme machine de 12 mètres de haut. D’autres se sont positionnés sur ce marché et l’on compte aujourd’hui au moins une quinzaine de fabricants : par exemple BetAbram, Cobod, Apis Cor, et les français Machines-3D et XtreeE.
Des transactions facilitées
D’autres acteurs interviennent dans le domaine des transactions, tels Izigloo qui a mis au point un carnet intelligent d’entretien et de gestion de l’habitation. Transmis d’acquéreur en acquéreur, ce carnet contient toutes les caractéristiques du bien : type de construction, matériaux utilisés, etc. Le californien HouseCanary exploite, lui, des tas de données et estime la valeur d’un appartement pour les trois ans à venir.
Les plateformes s’immiscent même dans le monde très feutré du notariat. MyNotary entend ainsi simplifier le travail des officiers ministériels. En fait, une partie des tâches souvent chronophages est réalisée sur le mode collaboratif, c’est-à-dire que tous les acteurs participent à la constitution du dossier de vente sur la plateforme, et le compromis de vente est généré automatiquement.
Yanport aide les professionnels de l’immobilier en rassemblant les données du marché pour aider l’agent immobilier dans sa veille concurrentielle, l’estimation des biens, le montage des dossiers locatifs et la pige immobilière.
Autre exemple, celui de Zenpark qui permet de trouver une place de parking partagé, louée à l’heure, à la journée, au mois, souvent moins chère que le stationnement dans la rue.
Quant à la blockchain, qui consiste principalement à permettre la tenue d’un registre infalsifiable, elle devrait grandement sécuriser les transactions et pourrait se substituer à nombre de tiers de confiance.
Nous pourrions continuer à multiplier les exemples avec des sociétés qui opèrent dans la domotique, les économies d’énergie et les services de toute nature.
Les opportunités d’investissement sont nombreuses. A condition, bien sûr, ne pas se départir de la prudence qui sied à tout investisseur digne de ce nom.
Airbnb, par exemple, qui a connu sa première année de rentabilité en 2017, dix ans après sa création, sera-t-elle encore rentable en 2018 ? Partout dans le monde, des réglementations tentent de limiter sa croissance. Le plébiscite des clients n’est pas toujours pas suffisant pour gagner de l’argent. Une législation protectionniste et la soif de taxation des Etats peuvent ébranler les meilleures entreprises.
[1] Cet article s’inspire largement du livre de Robin Rivaton et Vincent Pavanello, « L’immobilier demain », Dunod, 2017.