▪ Nous ne sommes pas certain que les commentaires lus vendredi soir sur les sites d’information économiques anglo-saxons soient à la mesure du risque encourus par les marchés au cours des prochaines heures et des prochaines séances.
Nous avons lu des dizaines de dépêches et de commentaires martelant à quel point l’introduction en Bourse de Facebook n’a pas constitué la « techno-parade » que Wall Street espérait.
A 38 $ l’entrée (au lieu de 34 $ deux jours auparavant) les fêtards espéraient du champagne coulant à flots, des tonnes de décibels et des bimbos siliconées par dizaines autour de la piscine.
Il y a bien eu un petit feu d’artifice vers 17h25 — la party a commencé avec 25 minutes de retard pour cause de surabondance d’ordres dans les deux sens. Mais ceux qui se sont rués vers le bar ont vite découvert qu’en guise de « bulles », on ne servait que du mousseux de Californie, qu’il n’y avait pas de piscine mais juste un banal bassin à jet d’eau avec quelques nénuphars flottant dessus… et aucune danseuse se déhanchant autour.
Il n’a pas fallu plus d’un quart d’heure aux habitués des fastueuses soirées des stars du rap de la côte ouest pour quitter la place, en souhaitant bonne chance à ceux qui avaient payé jusqu’à 44 $ vers 17h30 pour avoir le droit d’aller faire la « teuf » sous l’oeil envieux des caméras du monde entier.
▪ Le lancement de Facebook tire Wall Street vers le bas
La mauvaise humeur des spéculateurs qui espéraient faire un bon coup (sur un titre se payant 25 fois son chiffre d’affaires ?) a rapidement contaminé Wall Street. En effet, après une entame hésitante puis quelques achats sporadiques au cours des 90 premières minutes, les indices américains ont commencé à piquer du nez vers 17h. C’est à ce moment-là que la fourchette indicative en pré-ouverture de Facebook indiquait une progression de 10 ou 15% au lieu des 30 ou 40% comme la rumeur en avait circulé en début d’après-midi en Europe.
A 38 $, Mark Zuckerberg pèse tout de même 20 milliards de dollars, mais sa fortune virtuelle s’est amenuisée de quatre milliards de dollars en une demi-heure (entre 17h30 et 18h heure française).
Quatre milliards de dollars, c’est l’équivalent de la capitalisation de Peugeot… une telle volatilité donne le vertige !
▪ Les indices américains au bord du gouffre
Mais un autre constat donne également le vertige : les indices américains se retrouvaient vendredi soir au bord du gouffre (d’un point de vue graphique).
Ils ont conclu la semaine du 14 au 18 mai par un cinq sur cinq à la baisse. Une telle série noire n’est déjà pas si courante en période de consolidation, mais les indices américains réalisent au passage un autre exploit carrément rarissime. Ils ont aligné deux séries de six séances de repli consécutif, entrecoupées par une seule journée de rebond symbolique (+0,25% pour le S&P 500 le 10 mai).
Il faut remonter à septembre 2001, juillet 2002 ou à août 2011 pour retrouver trace d’un tel enchaînement baissier sans aucun épisode de rebond technique.
Il n’y en fait eu qu’une seule véritable séance de hausse ce mois-ci, et elle a eu lieu le 1er mai outre-Atlantique.
Le S&P a lâché 4,30% sur la semaine et 7,35% sur le mois, avec une clôture à 1 295 points vendredi. Il s’agit là très précisément du niveau de son zénith du 27 octobre 2011.
Wall Street est soumis à un flux vendeur ininterrompu depuis le scrutin législatif grec du 7 mai dernier et la résurgence des questionnements sur l’avenir de la Zone euro.
La tendance négative a été renforcée par une avalanche de mauvais chiffres conjoncturels — à quelques rares exceptions près — comme les mises en chantier de logements et la confiance des ménages américains.
Certains observateurs estiment que le rehaussement de la fourchette d’introduction de Facebook de 34 vers 38 $ et l’offre d’une centaine de millions de titres supplémentaires ont contraint nombre de gérants à dégager de la liquidité dans les portefeuilles au dernier moment.
Même sans cet appel d’air ponctuel, un repli de Wall Street n’aurait pas surpris grand monde, tant l’horizon économique semblait recouvert de sombres nuages où que l’on se tourne vendredi soir.
▪ Les places européennes résistent mieux grâce au G8
Les places européennes ont mieux résisté avec un effritement de 0,1% en moyenne. Contrairement aux investisseurs américains, quelques gérants espéraient encore qu’un rayon de soleil parviendrait à percer ce week-end du côté du G8 réuni vendredi et samedi à Camp David.
Au-delà de déclarations concordantes en faveur de la croissance et du maintien de la Grèce dans la Zone euro, il est hasardeux d’affirmer qu’il ressortira une initiative concrète susceptible de stopper dès ce lundi la débâcle amorcée au lendemain de la séance des « Trois sorcières » du 16 mars dernier.
▪ Le VIX s’envole
L’élément le plus inquiétant d’un point de vue technique, c’est l’envol de l’indice VIX du stress qui pulvérise la résistance des 22,5/23 pour s’inscrire à 25. C’est souvent le prélude à une envolée vers les 30, c’est-à-dire un vrai niveau de crise, et de correction sévère, pour les marchés américains.
A défaut d’un signe fort dans l’urgence, les gouvernements et les banques centrales prennent le risque d’un scénario d’un effondrement boursier et systémique de l’Europe bien avant les législatives grecques du 17 juin. Ces dernières pourraient également faire office de référendum en faveur de l’euro, d’après une déclaration prêtée vendredi soir à Angela Merkel.
▪ Les agences de notation dégradent à tour de bras
Les motifs de panique boursière sont légion, comme le retrait massif des dépôts de certaines banques grecques (qui ne sont plus soutenues par la BCE depuis mercredi). N’oublions pas non plus la solvabilité des banques espagnoles — abaissements de notation de trois crans pour BBVA et deux crans pour Santander par Moody’s et un cran pour 13 autres établissements.
Sans oublier Fitch Ratings qui a réduit jeudi soir la note souveraine de la Grèce à CCC, une décision qui semble acter aux yeux de l’agence la faillite du pays et sa sortie de la Zone euro.
Alors, avons-nous accompli ces derniers jours un voyage jusqu’au bord de l’enfer… ou irons-nous au bout de l’enfer ?