▪ Vous vous rappelez 1999 ? Quelle belle époque c’était ! L’humanité se tenait au pied de l’Olympe… prête à rejoindre l’assemblée des dieux, batifolant, folâtrant — bref, faisant les 400 coups sans le moindre regret.
Internet prenait de la vitesse. On pensait un peu partout que les avancées en matière de communication avaient "éliminé la limitation de vitesse" de la croissance économique. L’information était désormais disponible pour tous, en toute simplicité.
Le premier idiot venu à Peoria pouvait aller sur internet et trouver comment faire une bombe dans sa cave ou une tarte aux cerises dans sa cuisine. Quant aux génies de Kuala Lumpur ou de Kaboul, ils étaient libérés des rustres attardés et ignorants qui les entouraient ; ils pouvaient voir par eux-mêmes les délices de la vie à Beverly Hills. Ils pouvaient parcourir le net, prendre un marteau et un burin… créer "une app’ en or"… et se libérer de leurs chaînes.
Tant de gens… dans tant d’endroits… tous soupirant après des pizzas livrées à domicile et des fortunes faites grâce au day trading — tout cela mènerait à des niveaux de progrès encore jamais vus de toute l’histoire de l’humanité.
A quel prix pouvait-on estimer une technologie révélant les secrets du cosmos et déchaînant son pouvoir caché ? |
Tout ça pouvait se constater sur le marché boursier lui-même, où des entreprises promettant des révolutions dans tous les domaines — du transport à la médecine en passant par les loisirs — s’échangeaient à des prix totalement déconnectés des vérités qui avaient régi l’investissement jusque là. Après tout, à quel prix pouvait-on estimer une technologie révélant les secrets du cosmos et déchaînant son pouvoir caché ?
▪ L’économie n’était pas la seule concernée
Le progrès ne semblait pas seulement proche, mais également inéluctable — et il concernait tout autant l’Etat et la politique. La Chine a emprunté le chemin capitaliste en 1979. La Russie a suivi une décennie plus tard. La Turquie, l’Inde, le Brésil — tous les grands pays du "Tiers-Monde" étaient désormais des nations "en développement", suivant plus ou moins le modèle capitaliste/démocratique des Etats-Unis.
Ce modèle — de démocratie et de capitalisme assisté par l’Etat — semblait être imbattable. Francis Fukuyama a écrit son célèbre essai sur "la Fin de l’Histoire" en 1989, affirmant que la perfection avait peut-être été atteinte. Thomas Friedman y ajouta son livre La Terre est plate en 2005, qui disait, entre autres hallucinations, que toutes les économies du monde étaient désormais en concurrence parfaitement égale, selon les mêmes règles et les mêmes principes — qui leur avaient été montrés par les Etats-Unis, bien entendu.
Au milieu de cette euphorie vertigineuse est arrivé le krach du Nasdaq |
Et au milieu de cette euphorie vertigineuse est arrivé le krach du Nasdaq.
"Bon, peut-être qu’on s’est laissé un peu emporter, avec ces dot.com", a été la réaction générale. "Mais à présent, nous avons de vrais héros dans le secteur public ; ils peuvent nous sauver".
Le "Comité pour sauver le monde" est apparu sur la couverture du magazine TIME en 1999, après avoir prétendument sauvé le monde de la crise asiatique. Ensuite, pour avoir redonné un coup de fouet à l’économie suite à la récession de 2001, Alan Greenspan a obtenu la Médaille de la Liberté, décernée par le Congrès US et la plus haute récompense civile des Etats-Unis. Plus tard, en 2009, son successeur Ben Bernanke fut nommé "Personnalité de l’année" par TIME pour avoir rajouté 10 000 milliards de dollars de dettes à l’économie américaine. C’est le montant total de l’augmentation de la dette durant son mandat à la Fed.
Dans le même temps, au 20ème siècle, une poignée d’inventeurs, de bricoleurs et de scientifiques — travaillant dans une relative isolation et souvent avec peu de financements — ont donné au monde l’automobile, la radio, l’énergie atomique, les soins dentaires sans douleur, la pilule, le cinéma, les antibiotiques, les avions, l’air conditionné et internet.
Aujourd’hui, au 21ème siècle, des millions de scientifiques, d’entrepreneurs et d’ingénieurs — tous connectés à internet — sont à l’oeuvre. Ils devraient pouvoir mettre le feu à l’économie planétaire. Au lieu de ça — du moins pour l’instant –, ça a été une douche froide.
Nous en verrons les preuves dès lundi…