▪ Le Dow a repris quelques points cette semaine. Il est désormais environ 15 000 points plus haut que son plancher de 1981, juste après l’élection de Ronald Reagan. Ensuite, en 1982, les actions américaines ont entamé une hausse soutenue et spectaculaire. Sur une période de 33 ans, la valeur des entreprises américaines les plus importantes a été multipliée par près de 16 ans.
Attendez, nous avons dit "valeur" ? Nous voulions dire "prix".
Les prix sont de simples notes, fournissant des informations relatives. Si vous avez une action qui a grimpé à 100 $… et que l’action de votre beau-frère est passée à 200 $, votre beau-frère a simplement eu de la chance. Vous avez fort sagement acheté la valeur la plus sûre et protégé votre famille du risque. Félicitations.
En revanche, si l’indice des prix à la consommation — en partant de la même base — est passé à 300 $ sur la même période, vous et votre beau-frère êtes les dindons de la farce.
Il est notoirement difficile de déterminer à combien exactement se monte l’inflation des prix à la consommation dans une économie. Toute réponse est accompagnée d’avertissements et de précautions d’usage. Le chiffre officiel de l’inflation en Argentine, par exemple, a besoin d’explications circonstanciées. Officiellement enregistré à 10% ces dernières années, le taux réel, selon Steve Hanks, professeur à l’université Johns Hopkins, est de 63%.
Si c’est le cas, les salaires, les dividendes et les prix des actifs doivent tous être ajustés à la baisse. En se basant sur le chiffre du Professeur Hanks, quasiment tous les Argentins sont les dindons de la farce, dans la mesure où aucun actif ou flux de revenus ne peut tenir le rythme de la chute du peso.
▪ Heureusement, la Fed est là !
Aux Etats-Unis, pas besoin de s’inquiéter de taux d’inflation aussi élevés. La Réserve fédérale a pour mission — entre autres choses — de s’assurer de "la stabilité de la devise". A l’époque où ce rôle lui a été confié, en 1913, il semblait y avoir peu de doute qu’elle serait à la hauteur de la tâche.
Les prix à la consommation aux Etats-Unis étaient à peu près stables depuis la fondation de la République. Il y avait eu des périodes de hausse — durant la Guerre de Sécession par exemple — et de baisse — comme durant le dernier quart du 19ème siècle. Mais l’inflation des prix à la consommation n’avait jamais vraiment pris racine aux Etats-Unis avant que la Fed ne soit mise en place pour l’empêcher. Depuis, les chiens sont lâchés.
On pourrait dire que c’est simplement dû au fait que "la Fed a imprimé trop d’argent". Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. La Fed peut augmenter ses actifs en achetant des obligations. C’est ce qu’on appelle de "la devise gouvernementale" ; elle ne représente que 15% de ce qu’on mesure comme "masse monétaire". Le reste est destiné aux banques. Les banques créent de l’argent quand elles font un prêt.
Lorsqu’on emprunte 100 000 $ pour construire une maison, par exemple, une banque peut "imprimer" 90 000 $ qu’elle prête… ne retenant que 10 000 $ de capital réel dans ses réserves. Si la banque accorde 10 prêts de la sorte, elle aurait ajouté 900 000 $ à la "masse monétaire", qui seraient ensuite dépensés par les consommateurs. Si l’on part du principe que les prix sont fixés par l’offre et la demande, ces 900 000 $ pèseraient du côté de la demande ; les prix grimperaient, signalant aux producteurs qu’il est temps d’augmenter l’offre.
Multipliez ce phénomène des millions de fois. Ajoutez les méthodes brutes de décoffrage appliquées par Paul Volcker lorsqu’il était à la tête de la Fed, suivies des invitations à faire la fête d’Alan Greenspan. Injectez la hausse du secteur manufacturier chinois pour maintenir les prix à la consommation et les salaires au plancher. Sans oublier les renflouages, les "options put" implicites et les 4 000 milliards de dollars de QE par la Fed de Bernanke.
On obtient là le puissant cocktail qui a fait tourner la tête de tant d’investisseurs… et rapporté tant de richesse supplémentaire à ceux qui étaient déjà riches. 15 000 points ont été ajoutés au Dow en une seule génération. Plus qu’il n’en a été accumulé durant les sept générations précédentes.
Qu’est-ce qui a soudain rendu les Américains si intelligents et si prospères ?
Et l’étaient-ils vraiment ?
A suivre…