▪ En mars dernier, alors que les marchés prenaient conscience de l’importance des répercutions aussi bien politiques qu’économiques de la crise entre l’Ukraine et la Russie, le Brent (le pétrole de la mer du Nord, le plus sensible à l’actualité européenne) a légèrement réagi. Si pétrole est toujours prompt à s’enflammer en cas de tensions géopolitiques, les flambées sont généralement de courte durée. Mais, à plus long terme, c’est le cours du gaz qui risque de faire les frais des tensions entre la Russie et l’Occident.
Comme le rappelait en mars le Wall Street Journal :
"Pendant 30 ans, la Russie a essayé de donner à l’Europe l’image d’un fournisseur d’énergie fiable. Si elle tente le tout pour le tout en Ukraine, c’est qu’elle se moque de sa réputation en Europe car il est certain qu’il y aurait une réaction sévère en cas de coupure, même temporaire, de l’arrivée de gaz".
En effet, 25% du gaz consommé en Europe est russe… Et 60% de ce gaz passe par l’Ukraine, via des pipelines.
L’Ukraine quant à elle, bien plus dépendante, importe près de 60% de sa consommation de Russie. Les deux pays ont d’ailleurs conclu depuis 1997 un accord autorisant Moscou à louer la presque totalité du port de Sébastopol (seul accès pour la Russie à la mer Noire) pour 20 ans en échange d’un loyer annuel de huit millions de dollars. En 2010, Ianoukovitch a prolongé ce bail jusqu’en 2042 en échange d’une réduction de 30% du prix du gaz russe…
Encore récemment, le gaz était encore au coeur de nouvelles négociations entre les deux pays puisque le prêt de 15 milliards de dollars accordé par la Russie à une Ukraine au bord de la faillite était accompagné d’une nouvelle baisse de 30% des prix du gaz. En retour, Moscou espère ainsi maintenir un peu plus le pays sous sa coupe. Les événements récents ont évidemment mis à mal ces accords. La Russie n’a pour l’instant versé qu’une toute première tranche de trois milliards de dollars et est revenue sur la baisse de 30% des prix du gaz.
Vous le voyez, l’arme gazière est régulièrement utilisée par Moscou pour faire pression sur l’Ukraine. Cela avait déjà été le cas en 2006 et en 2009 avec pour toile de fond des tensions économiques (prix du gaz et règlement d’arriérés), mais aussi politiques. En effet, à chaque fois, ces blocages étaient l’occasion pour Moscou de montrer de manière très concrète son désaccord quant aux négociations entre l’Union européenne et l’Ukraine. L’Europe s’était déjà, à l’époque, inquiétée de sa dépendance au gaz russe.
▪ Dépendance et solutions
Aujourd’hui, la montée des tensions politiques entre l’Ukraine et la Russie devrait donc remettre d’actualité les efforts de l’Europe pour contourner l’Ukraine. Plusieurs pipelines vont dans ce sens. C’est le cas du pipeline North Stream ou encore de South Stream, toujours en construction mais contrôlé par Gazprom. L’Europe pourrait donc se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement en gaz, que cela soit le GNL ou la relance de la prospection en mer du Nord.
Cependant, d’un point de vue très pragmatique, les prix du gaz ne devraient pas augmenter en France même si la crise s’envenimait, la consommation de l’Hexagone ne dépendant qu’à 15% du gaz russe. Ce n’est cependant pas le cas pour tous les pays européens — en particulier ceux du nord, plus dépendants, voire complètement dépendants. La Finlande, les pays baltes et, dans une moindre mesure, la Pologne, l’Allemagne ou l’Autriche sont dans ce cas.
Une dépendance qui est d’ailleurs sous le feu de l’actualité. Le Premier ministre polonais s’est ainsi inquiété de la dépendance de l’Allemagne au gaz russe qui, selon lui, pourrait peser sur les décisions allemandes dans la crise ukrainienne.
Sans vouloir créer des liens de cause à effet qui n’existent peut-être pas, je note cependant que l’Allemagne vient d’autoriser la fracturation hydraulique sur une très grande partie de son territoire. Une autorisation qui ouvre la voie à l’exploitation des réserves de gaz de schiste.
Reste à estimer le potentiel du sous-sol allemand en la matière. Selon les chiffres du département américain de l’Energie, cité par Le Figaro, celui-ci se monterait à 476 milliards de mètres cubes, ce qui représente six ans de consommation allemande. Le Figaro en profite pour glisser l’information suivante : les réserves allemandes ne représentent qu’environ un huitième des réserves françaises… A bon entendeur !
Des chiffres que je prends tout de même avec des pincettes car le département de l’Energie vient de faire la Une en révisant à la baisse — et de 96% tout de même !!! — les réserves exploitables de pétrole de schiste de ce qui était jusqu’alors considéré comme le principal champ américain, celui de Monterey en Californie.
Quoiqu’il en soit, la décision allemande s’inscrit manifestement dans deux tendances fortes : celle de la montée de la consommation de gaz et le nouveau battage des cartes dans ce secteur.
▪ Redistribution des cartes
La crise ukrainienne pourrait bien accélérer la redistribution des cartes dans le domaine gazier. Le gaz est une source d’énergie que je suis de près non seulement parce que notre portefeuille y est exposé, mais aussi parce que son potentiel de croissance dans les années qui viennent font de lui un indispensable du mix énergétique.
Depuis 10 ans, la consommation mondiale de gaz naturel augmente au rythme moyen de 2,7%. Et, selon l’Energy Information Administration, l’agence d’information de l’énergie américaine, la consommation de gaz naturel dans le monde devrait augmenter de 65% d’ici à 2040.
Une explosion de la demande, non seulement due à l’augmentation des besoins, mais aussi, de plus en plus, à la multiplication des initiatives des gouvernements à travers la planète pour favoriser les sources d’énergie moins polluantes.
[NDLR : Cécile recommande aux lecteurs de Croissance & Opportunités une valeur idéale pour jouer cette explosion : pour en savoir plus sur sa lettre — et vous positionner à votre tour — continuez votre lecture !]
Meilleures salutations,
Cécile Chevré
Pour la Chronique Agora