Si les Français refusent l’austérité maintenant, elle leur sera imposée demain, par les marchés ou – pire – par le FMI.
En évoquant la possibilité d’une année blanche fiscale, durant laquelle les dépenses de l’Etat n’augmenteraient pas en euros constants, les députés ont brisé le tabou de la baisse des dépenses publiques.
La mesure a naturellement provoqué une levée de boucliers. A l’Assemblée nationale comme dans la presse, chaque bénéficiaire de la générosité publique est monté au créneau pour défendre son pré carré et sommer les pouvoirs publics de concentrer les mesures d’économies sur les autres.
D’aucuns présentent même la mesure comme disproportionnée. Elle l’est – mais pas dans le sens que les partisans du « toujours plus » le prétendent. Avec un bol d’air budgétaire estimé entre 15 et 20 milliards d’euros, elle ne représentera qu’une goutte d’eau par rapport au déficit primaire français. Pour maîtriser notre déficit, un gel de la dépense publique pendant douze mois n’est pas seulement nécessaire, il est aussi insuffisant.
Selon toute vraisemblance, si nos dirigeants parviennent à convaincre la population de se résoudre à cette cure d’austérité, il faudra la prolonger pendant près de dix ans pour rétablir les comptes publics.
Les alternatives ne sont pas légion pour Bercy. Si la sobriété n’est pas choisie par les citoyens, elle sera imposée. De l’aveu même de la ministre chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin : « Si nous ne faisons pas ces choix maintenant, ce seront nos créanciers ou le FMI qui nous les imposeront. »
Les partisans de l’augmentation permanente de la dépense publique s’accrochent à la dernière porte de sortie, qui consisterait à activer le mécanisme de monétisation de la dette par la BCE. Utilisant l’exemple du Japon, où la Banque centrale pilote l’économie depuis des décennies, ils prétendent qu’équilibrer les comptes publics n’est en aucun cas une nécessité et que l’impression monétaire permet de maintenir des taux bas sans limite de durée.
C’est oublier le contre-exemple récent qui nous vient de l’archipel, où les taux exigés par les marchés s’envolent malgré les efforts de la Bank of Japan. Tokyo est contrainte de payer plus cher que jamais pour sa dette à long terme, et subit un véritable krach obligataire qui l’oblige, depuis fin mai, à moins solliciter les marchés.

Evolution des taux d’intérêt à 30 ans payés par le Japon. Même manipulé par les banques centrales, le marché de la dette reprend toujours ses droits à long terme. Infographie : Investing.com
Gel des dépenses : pourquoi une année ne suffira pas
Le mécanisme « d’année blanche » proposé pour équilibrer les comptes publics tricolores consisterait à laisser l’inflation filer sans augmenter la dépense publique. Les prestations habituellement indexées sur l’inflation ne le seraient pas, permettant d’afficher une stabilisation du poids de l’Etat dans l’économie une fois exprimé en euros constants.
Notons tout d’abord que ce tour de passe-passe ne fonctionne qu’en période d’inflation : ce n’est que le mécanisme d’avilissement de la monnaie qui permet de réaliser des économies. En pratique, l’Etat utilise alors la baisse de la valeur réelle de la monnaie pour opérer un transfert de richesse au détriment des épargnants (en faisant baisser la valeur réelle du stock de dette publique) et des allocataires (même mécanisme, mais pour les dépenses sur l’année en cours).
Il faudrait donc laisser filer l’inflation sans augmenter les prestations, le tout sans mettre le pays dans la rue – un objectif loin d’être évident dans un pays où chacun s’estime redevable de la générosité publique. En pratique, une sous-indexation générale de 1 % serait déjà une prouesse. Or, avec une dépense publique se montant à un peu plus de 1 600 milliards d’euros l’an passé, les économies atteindraient péniblement les 17 milliards par an. Avec un déficit public à 169 milliards d’euros l’an passé, il faudrait en réalité pas moins de onze ans de sous-indexation pour atteindre l’équilibre des comptes – les effets n’étant pas linéaires, chaque année rapportant un peu moins que la précédente.
Autant dire que la mesure – déjà impopulaire sur une année – n’a aucune chance d’être reconduite durant plus d’une décennie.
L’impossible sauvetage par notre banque centrale
Les partisans d’une hausse continue des dépenses prétendent que tout effort de rigueur budgétaire est inutile alors que l’impression monétaire peut prolonger notre solvabilité sine die.
Ce raisonnement est faux pour deux raisons.
La première est d’ordre réglementaire. Certes, la BCE s’est dotée d’un mécanisme lui permettant d’acheter des obligations émises par un Etat-membre lorsque le taux d’intérêt de sa dette explose sur les marchés financiers. Le TPI (Transaction Protection Instrument), créé en 2022, est conçu comme un joker ultime pour les pays qui ont perdu la confiance des marchés. Mais il reste limité aux pays dont les comptes respectent le Pacte de stabilité européen. Avec un déficit primaire attendu entre 5 % et 6 % du PIB cette année, la France en est bien loin, même si la procédure pour déficit à notre encontre a été opportunément (et étonnamment) suspendue il y a quelques jours.
Deuxièmement, l’exemple de l’explosion du coût de l’argent au Japon depuis quelques mois doit servir de piqûre de rappel : la blanche à billets n’est pas une solution à long terme. Devenu dépendant des taux zéro de la Banque du Japon et de la bienveillance des marchés qui ferment les yeux sur une dette qui atteint les 250 % du PIB, le gouvernement n’essaie même plus de boucler des budgets à l’équilibre. Mais même en l’absence d’inflation, l’impression monétaire finit toujours par atteindre ses limites.
Le taux d’intérêt versé sur la dette japonaise de long terme, pourtant en hausse quasi constante depuis 2019, ne parvient plus à convaincre les investisseurs d’acheter la dette émise par Tokyo. Lors de son adjudication de dette du 20 mai, la BoJ a fait face à une demande atteignant un plus bas depuis les années 1980 malgré une rémunération jamais atteinte depuis le siècle passé.
La prime accordée aux derniers acheteurs des souches fraichement émises (par rapport au taux moyen) a dû être majorée jusqu’à +1,87 %. Ce niveau exceptionnel de sur-rémunération, qui n’avait pas été accordé depuis la bulle de 1987, prouve que le volume de demande n’était tout simplement pas suffisant. Le gouvernement japonais a dû faire son mea culpa et promettre de réduire ses appels au marché dans les prochains mois : une sobriété subie qui ne laisse aucune marge de manoeuvre.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, un scénario identique guette la France si elle continue à se complaire dans les déficits et le recours illimité à la dette. Un jour où l’autre, les acheteurs se détourneront des souches tricolores. A ce moment-là, le gouvernement n’aura plus cinq, sept, ou dix ans pour équilibrer ses comptes, mais quelques semaines – et les effets seront sans commune mesure.