▪ Compte tenu des questionnements quasi-obsessionnels des milieux financiers concernant la politique monétaire de la Fed, un nombre croissant d’économistes et de gérants pensent qu’une hausse de taux "précoce" mettrait fin à un suspense qui nuit à la visibilité dont les marchés ont besoin pour fonctionner sereinement.
Des taux directeurs portés à 0,25 d’ici fin 2015, cela ne va pas changer la face du monde ; l’argent restera — d’un point de vue historique — presque gratuit.
Mieux, regardez de l’autre côté de la Manche. Est-ce que des taux directeurs à 0,50% empêchent la City et les médias britanniques d’afficher un optimisme inoxydable ? David Cameron n’a-t-il pas remporté les élections législatives de début mai sur son bilan économique flatteur ?
Des taux zéro, c’est également une croissance future et une inflation anticipée proche de zéro |
N’oublions jamais que le loyer de l’argent constitue une sorte de reflet de l’avenir. Des taux zéro, c’est également une croissance future et une inflation anticipée proche de zéro.
Le raccourci est certainement abusif… mais voyez les Etats-Unis. La Fed tergiverse et la croissance retombe dans le rouge de 0,7% au premier trimestre : c’est "moins pire que prévu" mais ce n’est tout de même pas très bon.
La véritable surprise provient du grand voisin du Nord, le Canada. Le pays accuse une décroissance du -0,6% du PIB (pire trimestre depuis mi-2009) au lieu des +0,3% anticipé. A quoi vient s’ajouter un effondrement de -9,7% des investissements des entreprises canadiennes, largement imputable au secteur de l’énergie… mais pas que : le malaise gagne également le secteur tertiaire. Les blizzards de février n’y sont pas pour grand’chose — pas plus que l’arrêt d’un quelconque QE au Canada. Le système financier y reste comme ailleurs gavé de liquidités, mais comme une oie trop gavée, ses pattes finissent par ne plus pouvoir la porter.
Un plan secret à 200 euros pour vous offrir … en plus de votre pension de retraite ! Comment ça ? |
En ce qui concerne les bienfaits économiques des QE, 25 années d’injection monétaire au Japon — dont une dernière campagne forcenée depuis l’avènement des "Abenomics" — ont eu un impact discutable, voire contestable, sur la conjoncture.
Les derniers chiffres publiés jeudi et vendredi dernier au Japon sont éloquents. Effondrement des ventes de détail, inflation nulle sur 12 mois hors "effet TVA", chute des investissements de -1,2% au premier trimestre, hausse du taux de pauvreté, dégradation de la balance commerciale malgré un yen au plus bas de huit ans face au dollar…
Pour les marchés financiers, en revanche, des taux zéro, c’est l’alpha et l’oméga. Sans taux zéro, pas de leviers quasi-illimités sur les T-Bonds, pas de rachats de titres massifs, pas de dividendes achetés à crédit… et pas de croissance externe soutenue par l’endettement.
▪ Les fusions-acquisitions ont le vent en poupe
Moins de 96 heures après l’acquisition de Time Warner Cable par Charter Communications pour 55,3 milliards de dollars (auxquels il faut rajouter 10 milliards pour Bright House Networks)… 48 heures après l’annonce d’une OPA de 37 milliards de dollars lancée par le Singapourien Avago sur Broadcom… c’était au tour d’Intel d’annoncer vendredi dernier la finalisation du rachat d’Altera pour 16,3 milliards de dollars.
Voilà une semaine à plus de 120 milliards de dollars de fusions-acquisitions aux Etats-Unis |
Eh bien ! Voilà une semaine à plus de 120 milliards de dollars de fusions-acquisitions aux Etats-Unis. Nous vous faisons grâce du détail des petites opérations comprises entre 500 millions et 1,5 milliard dans le secteur des biotech (rumeurs de rachat du laboratoire français Cellectis par Pfizer… qui avait la main sur Hospira pour 17 milliards de dollars début février).
Oui, il vient de se conclure en une seule semaine un montant de "fusacs" (fusions-acquisitions) supérieur à celui cumulé pour l’ensemble de l’année 2011, ou encore 2013 !
Les "fusacs" avaient représenté un montant de 153,5 milliards de dollars en 2014. Ce total est égalé en seulement cinq mois — et sera sans doute pulvérisé à la fin de cette première semaine du mois de juin, à moins que tout s’arrête brutalement au cours des prochaines 48 heures.
Ces chiffres suffisent à prendre la mesure d’un emballement qui connaît peu de précédents : 227,5 milliards de dollars en 1999… Et surtout l’orgie de l’année 2000 : 385 milliards de dollars, avec des géants comme Vodaphone (OPA de 203 milliards sur Mannesman), AOL (OPA de 181,5 milliards sur Time Warner), Lycos, Vivendi, France Télécom (OPA sur Orange), WorldCom, Enron à la manoeuvre… Et tous ont fait faillite ou ont ruiné les actionnaires dans les 12 ou 18 mois qui ont suivi.
Même Evan Spiegel, le patron de Snapchat — qui a refusé une offre à trois ou quatre milliards de dollars de Facebook, Tencent ou Google et qui est parvenu à faire monter les enchères à 16 milliards de dollars dans le cadre d’une éventuelle introduction en bourse — considère que le secteur des technos est rentré dans une phase de bulle.
▪ Uber s’en mêle
Sans parler de la valorisation astronomique d’Uber… La société bat pourtant tous les records de procès intentés à une multinationale du secteur des services — et ce par différents Etats, syndicats, associations professionnelles… et maintenant des particuliers ayant porté plainte pour agression, contre leurs "chauffeurs".
La Maison Blanche a tout intérêt à choyer Uber et la protéger de la fureur des juges : c’est le principal pourvoyeur "d’emplois" sur le sol des Etats-Unis (en 2014).
Se déclarer chauffeur suffit à ne plus être chômeur ! |
Se déclarer chauffeur suffit à ne plus être chômeur ! Que les 15% d’Américains qui n’ont pas d’emploi (et non les 5,5% officiels) se mettent à transporter occasionnellement l’un des 57% d’Américains qui a un contrat de travail correspondant à un vrai boulot et le chômage sera vaincu.
Entre Uber qui crée de façon exponentielle de pseudos "emplois" et les banques d’affaires qui orchestrent un montant exponentiel de d’OPA et de fusions-acquisitions depuis 18 mois, nous assistons à l’emballement d’un système reposant sur l’artifice et la démesure des valorisations.
Rajoutez à cela la multiplication des enchères supérieures à 100 millions — et même 180 millions de dollars — dans les ventes aux enchères d’art moderne de début mai à New York… des toiles qui pourraient se négocier entre 250 et 300 millions entre collectionneurs… la mise en chantier d’un yacht de 200 mètres de long et 30 de large à 700 millions de dollars (sans compter les salaires de la centaine d’hommes et de femmes d’équipage) que les multimilliardaires devraient s’arracher… et vous obtenez un tableau à côté duquel les débauches d’argent des années 1998/2000 font presque figure de caprices anodins.
Et les caprices de la bourse de 2001/2002 pourraient également bientôt faire figure de simples échantillons…