Les fonds activistes sont-ils des prédateurs pour les entreprises sur lesquels ils jettent leur dévolu ou sont-ils les alliés des épargnants qui profitent de la montée des cours des actions ? Tentons de démêler le vrai du faux.
L’encyclopédie en ligne Wikipédia définit le fonds activiste comme « un actionnaire plus actif que les autres, et qui utilise la part du capital qu’il détient dans une société cotée pour y influencer la politique ou la structure de gouvernance de l’entreprise, voire sa production ou ses objectifs ». Il est ensuite précisé qu’il existe plusieurs catégories de ces actionnaires qui peuvent être individuels, industriels ou institutionnels.
Ces derniers peuvent être des fonds dits « classiques » (fonds de pension, fonds d’assurance-vie…) ou des hedge funds (fonds de couverture) qui sont le plus souvent des fonds spéculatifs. Tous visent, en entrant au capital d’une société, soit à faire monter la valeur de l’action en remettant en cause la manière dont l’entreprise est gérée, soit à faire chuter le cours de l’action sur lequel ils ont parié (en vendant à découvert) en affirmant que la société est surcotée.
Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), les premiers sont des activistes de long terme, car faire changer l’entreprise attaquée de stratégie ou de gouvernance demande du temps. Les seconds, en revanche, appelés short sellers, jouent avec les médias pour faire baisser rapidement le prix de l’action et en tirer un bénéfice tout aussi rapide. Ces derniers sont très surveillés par l’AMF.
En caricaturant, on pourrait donc dire que l’activisme de long terme cherche le bien de l’entreprise et de ses actionnaires en améliorant la manière dont elle est gérée. L’activisme de court terme des short sellers serait lui, au contraire, purement spéculatif.
Dans la réalité, les choses ne sont évidemment pas toujours aussi tranchées.
Nés aux Etats-Unis dans les années 1970 (certains font même remonter le phénomène aux années 1930), les fonds activistes ont fini par atteindre l’Europe et la France surtout à partir des années 2010. Ils ont été précédés, aux débuts de ce siècle, par le réveil des actionnaires minoritaires avec, par exemple, l’Adam (association de défense des actionnaires minoritaires) de Colette Neuville.
Selon le rapport d’information des députés Éric Woerth et Benjamin Dirx (2019) qui citent la banque Lazard, dans le monde en 2018, 226 sociétés ont été ciblées par des investisseurs activistes, contre 188 en 2017. En Europe, le phénomène est plus limité et ne représenterait que 23% de l’ensemble avec 58 campagnes. Les députés citent d’autres chiffres qui évaluaient le nombre d’entreprises ciblées, à un titre ou à un autre, à 922, toujours en 2018, contre 856 en 2017 et 607 en 2013. Sur ces 922 entreprises, 53% (491 entreprises) étaient situées aux États-Unis.
Selon une étude du cabinet d’avocats Skadden, 89 nouvelles campagnes ont été lancées en Europe par des fonds activistes en 2023, soit 68% de plus qu’en 2022. Au total, fin 2023, 380 campagnes étaient en cours en Europe, soit 30% de plus que l’année précédente.
Le rapport de Woerth et Dirx cite quelques affaires mettant en cause des activistes comme Ciam (Charity Investment Asset Management), Elliott Management, TCI (The Children’s Investment Fund), Cevian, Amber Capital, Muddy Waters qui sont intervenus respectivement dans des entreprises aussi diverses que Scor, XPO Logistics et Pernod Ricard, Safran, Rexel, Lagardère ou Casino.
Entre prédation et « mal absolu »
Il y a quelques années, Le Journal du Dimanche considérait ces fonds comme « le mal actionnarial absolu » pour les dirigeants des grands groupes cotés. Car, précisait l’article, « présents au capital de leur société, [ces fonds] agissent comme des aiguillons, remettant en cause leur stratégie et/ou cherchant à les évincer de leur fauteuil ».
Dans un article de 2022, consultable sur son site Internet, l’Ecole de guerre économique (EGE) évoque même un « risque de prédation économique » puisque les fonds activistes s’intéressent aux entreprises qui constituent le coeur de l’activité économique.
En France, par exemple, toujours selon l’EGE, 0,1% des entreprises concentrent 52% de la valeur ajoutée et réalisent plus de 70% des investissements et 80% des exportations. Par conséquent, lorsqu’ils cherchent à « influencer et affaiblir ces entreprises », les activistes influencent et affaiblissent l’économie française et le pays tout entier.
Dans leur rapport déjà cité, Woerth et Dirx tiennent à faire la différence entre les fonds « longs », qui rentrent au capital d’une entreprise, et les fonds « courts » qui vendent à découvert sans prendre de participation. Les deux députés pensent que la vente à découvert présente des externalités négatives, notamment parce qu’elle fait souvent chuter le cours de la société à un niveau inférieur à la valeur intrinsèque de la société. De ce fait, elle serait préjudiciable aux actionnaires.
Ils estiment aussi que « la combinaison du prêtemprunt de titres et de la vente à découvert de manière continue et massive peut revêtir un caractère autoréalisateur ». Ils ajoutent : « La baisse marquée du cours suscite des anticipations supplémentaires à la baisse, qui alimentent de nouvelles ventes à découvert, qui provoquent effectivement la baisse anticipée. »
Par ailleurs, toujours selon les députés, « le seul impact de la réputation d’un fonds avec une image très forte, intervenant sur une société cotée, même faiblement, peut engendrer des mouvements de prix importants, potentiellement durables, parfois au-delà de toute rationalité de marché ». Woerth et Dirx estiment également que des investisseurs désireux de prendre des positions de long terme sont dissuadés par des vendeurs à découvert d’entrer au capital d’une société faisant l’objet d’une campagne, par crainte de la volatilité et du caractère auto-réalisateur de la prise de positions courtes.
Ainsi, l’amélioration de la situation d’une société, voire sa restructuration, pourrait être obérée par l’action des short sellers. Enfin, l’existence même de fonds activistes serait à même d’annuler des projets d’introduction en Bourse, les entreprises craignant de faire l’objet, un jour ou l’autre, d’une attaque.
C’est pourquoi les députés Woerth et Dirx recommandaient de s’appuyer sur le cadre juridique existant qui permet l’encadrement des activités de vente à découvert pour réguler les excès.
Dans notre prochain article, nous verrons ce que les actionnaires ont à gagner de l’arrivée d’un fonds activiste.