▪ Pour l’instant, les marchés flânent. Les investisseurs sont en pique-nique. Hélas, ils ont déployé leur nappe à carreaux sur les pentes du Vésuve. Il pourrait exploser à tout instant.
Nous sommes dans une dépression. Ce n’est pas encore une "grande" dépression, mais elle est assez conséquente. Peu importe — nous allons nous contenter de ce que nous avons.
Les dépressions prennent du temps. Elles finissent par disparaître, mais pas avant d’avoir terminé leur travail. L’actuelle dépression doit notamment faire passer les actions boursières à des prix cassés. Ou au moins les maintenir pendant que l’inflation les met à des prix cassés. Dans un cas comme dans l’autre, il reste beaucoup de chemin à parcourir. En attendant, notre drapeau d’Alerte au Krach reste hissé. La flânerie pourrait prendre fin d’un jour à l’autre — et se terminer par une ruée hors des marchés boursiers.
Les dépressions sont des tueuses d’illusions.
Un homme s’imagine qu’il va pouvoir se permettre une nouvelle maison — même s’il n’a pas de véritable emploi.
Un investisseur immobilier pense que le marché des nouveaux appartements en Floride grimpe éternellement… quel que soit le nombre d’immeubles construits.
General Motors pense pouvoir se débrouiller d’une manière ou d’une autre… L’entreprise perd de l’argent sur chaque vente ; peut-être pourra-t-elle compenser ces pertes en faisant du volume !
Le travail d’une dépression, c’est de détruire les illusions… de ramener les gens sur terre. Et cela commence par des questions :
Cette valeur vaut-il vraiment 20 fois les bénéfices ?
Qu’est-il arrivé aux acheteurs ?
Comment savoir si cette banque est solvable ?
▪ Dans le Washington Post du week-end dernier, un éditorialiste se demande ce que les dirigeants de General Motors avaient en tête lorsqu’ils ont permis au meilleur modèle de l’industrie automobile de faire faillite. Eh bien, ils ne pensaient probablement pas grand-chose. Ils n’en avaient pas besoin. Les affaires ont tourné pendant très longtemps. Les ventes d’automobiles américaines ont grimpé pendant un siècle entier. C’était la belle époque… dans les années 50… les années 60… GM sortait chaque année de nouveaux modèles, tous meilleurs les uns que les autres. Les Américains attendaient avec impatience — ils mesuraient les ailerons… admiraient les chromes… et écoutaient rugir les chevaux des moteurs GM.
Le système d’autoroutes allait lui aussi en s’améliorant. Les salaires grimpaient — du moins jusqu’en 1973. Le carburant était à 25 cents le gallon.
Mais rien n’échoue comme le succès. GM était l’entreprise la plus grande et la plus prospère au monde. Elle a naturellement attiré des parasites. Les syndicats en voulaient toujours plus — plus de congés payés… plus d’avantages sociaux… de meilleurs plans-retraite. La direction aussi est devenue parasitique. Elle était trop confortablement installée et trop bien payée pour résister. Tout le monde a suivi le rythme… prenant ce qu’ils pouvaient empocher… jusqu’à la faillite.
Et il en va pour le reste du pays comme pour GM. Le XXe siècle a vu Detroit bourdonner d’activité… puis passer en auto-pilote. C’est vrai des Etats-Unis dans leur ensemble ; le pays avait un tel succès qu’il n’arrivait pas à le dépasser. Tout comme les syndicats de GM, chaque grand groupe a pris un petit avantage par-ci… un petit plus par-là… des coupons alimentaires pour les pauvres… des renflouages pour les riches… et partout où l’on portait le regard, on voyait de nouveaux tyranneaux appliquer des règles perverses et chicanières.
"Ce trottoir est fermé à la circulation", nous a dit un employé municipal travaillant sur le trottoir de Charles Street, à Baltimore, la semaine dernière.
C’était idiot. Mais les Américains sont si étouffés de règles sottes qu’ils ne les remettent plus en question. Et ils sont si habitués à être dirigés qu’ils ne luttent plus.
"Pas du tout", a donc répondu votre correspondant, passant au-dessus d’un tuyau pneumatique.
"Dégage, c****rd", nous a-t-on répondu.
▪ Samedi, c’était la morosité à Baltimore. Les Ravens, l’équipe locale de football américain, a perdu le match contre les Colts.
On dit souvent que le football (américain ou non) est un substitut à la guerre armée. Il a ses stratégies, ses héros et ses victimes. La ville de Baltimore — en tout cas dans sa majorité — aurait probablement préféré une victoire contre les Colts à une victoire en Afghanistan ou en Irak.
La guerre se joue pour des enjeux mortels. Mais il y a moins de différences entre la guerre et le sport qu’on le réalise généralement. Il n’y a rien en jeu dans la plupart des guerres — comme dans tout match de foot. Mais les deux parties sont si avides de gagner qu’elles se rendent ridicules. Les supporters agitent des drapeaux et chantent des hymnes victorieux. Et si leur équipe gagne, c’est eux qui se sentent vainqueurs, même s’ils n’ont pas joué le moindre rôle dans la victoire.
Toutes les guerres ne sont pas sanglantes. De nombreuses sociétés ont conduit des guerres stylisées… avec souvent peu de victimes sur le champ de bataille. L’Occident a réussi à dominer le monde, déclarent certains historiens militaires, parce que les Grecs… puis les Romains… et plus tard les Européens… étaient plus prêts à mourir.