** Ah ! Qu’ils étaient rayonnants les visages des commentateurs vendredi soir au moment de la clôture de Wall Street ! Le S&P-500 venait de battre de 5 points son précédent record historique de la mi-juillet, et le Dow Jones effectuait une nouvelle incursion au-delà des 14 100 points (avant d’en reperdre une cinquantaine au cours de la dernière demi-heure).
A n’en pas douter, la suite du quatrième trimestre 2007 s’annonçait glorieuse et les angoisses liées à la crise du subprime s’estompaient en même temps que les craintes de voir le marché du travail sombrer dans le sillage des transactions immobilières. (Ces dernières venant d’atteindre leur plus faible niveau depuis 7 ans et 3 mois).
** Grâce en soit rendue aux fonctionnaires du Ministère du Travail américain qui ont retrouvé dans leurs fichiers informatiques à double-fond pas moins de 93 000 créations d’emplois ! Elles avaient mystérieusement disparu des statistiques officielles au mois d’août dernier, avec 25 000 nouveaux jobs qui auraient échappé à leur vigilance au mois de juillet. Ouf ! Ces 118 000 emplois retrouvés dans les tiroirs font remonter la moyenne trimestrielle à un niveau comparable à celui observé d’avril à juin.
Est-il besoin de rappeler que les chiffres désastreux publiés le 7 septembre dernier (4 000 postes salariés prétendument détruits au mois d’août) avaient ravivé les anticipations de baisse de taux de la Fed de -50 points et précipité le billet vert sous les 1,37 puis sous les 1,40/euro après que Ben Bernanke a donné satisfaction aux marchés une dizaine de jours plus tard ?
Nous ne pouvons que nous extasier devant la candeur des réactions des « économistes » vendredi après-midi : c’est à peine s’ils ont paru s’étonner de voir réapparaître, comme par miracle, les 100 000 emplois qui manquaient à l’appel début septembre !
Mille, dix mille, cent mille ! Qu’importe l’ampleur de la révision, pourvu que ce soit à la hausse ! Nul de s’est étonné de l’énormité de l’imprécision du décompte initial, ce sont des choses qui arrivent après tout. Le Ministère du Travail était peut-être en sous-effectif durant la période estivale, il y a peut être eu du flottement dans les équipes chargées de collecter les données, des stagiaires mal avertis ont pu commettre une erreur de classification des contrats à temps partiel ou de « service à la personne » à domicile (ce qui expliquerait un spectaculaire rebond de cette catégorie d’emplois au mois de septembre).
Ce qui compte, c’est que les erreurs du passé soient rectifiées et que Wall Street entrevoit l’avenir avec plus d’optimisme : les chiffres révisés tordent le cou aux anticipations récessionnistes, la Fed a baissé son taux directeur de -50 points dans l’intervalle. Tout le monde est content et il y a mieux à faire que s’embarrasser avec des questions techniques qui demeureront sans réponses.
Mais ce grand écart des statistiques de l’emploi — qui survient opportunément trois semaines après que la Fed a réduit son taux d’escompte en catastrophe le 17 août — est aussi naturel que la victoire d’un cheval boiteux au Prix d’Amérique, que le triomphe d’un skieur de fond asthmatique à la Transjurassienne, que le rachat par la Caisse des Dépôts et Consignations de
Quick Burger (pour 730 millions d’euros en octobre 2006) ou d’un restaurant sur le toit du Théâtre des Champs Elysées quelques années auparavant.
** Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que c’est aussi étonnant que l’ignorance du retard du programme A-380 par Thierry Breton fin 2006/début 2007 (alors que toutes les PME toulousaines sous-traitantes d’EADS étaient au courant), mais cela nous a tout de même surpris… Au moins autant que l’aplomb de l’ex-Ministre de l’économie devant le Sénat lorsqu’il déclara avoir été mis au courant seulement la veille de l’annonce officielle qui a fait s’effondrer le titre en Bourse.
Ah ! Si seulement nous avions su conserver notre âme d’enfant, notre touchante naïveté à l’égard des mensonges officiels prononcés par des personnages rassurants et sympathiques, notre aveuglement face aux manoeuvres politiques destinées à servir des intérêts particuliers. Nous prendrions pour argent comptant les statistiques américaines du mois d’août et les dénégations d’initiés ou de responsables gouvernementaux plaidant l’incompétence !
Mais voilà, les ficelles sont décidément trop visibles, les couleuvres trop grosses pour être avalées. Mais chut ! Ne révélons pas les trucs en toc de l’illusionniste amateur : il faut laisser les épargnants rêver d’une nouvelle bulle boursière, les salariés rêver d’une entreprise loyale et de dirigeants intègres, les électeurs rêver d’élus et de ministres irréprochables.
** Nous ne savons trop si les marchés ont rêvé ce lundi. Ils ont par contre ostensiblement somnolé car nous avons assisté à l’une des séances de consolidation les plus mièvres de l’année 2007 avec des écarts insignifiants (-0,4% en moyenne) et des volumes dignes d’un « Colombus Day » : tout juste 4 milliards d’euros échangés sur les vedettes du CAC 40 qui s’est effrité de -0,25% après avoir re-testé en tout début de journée le seuil des 5 850 points.
Pourtant, le franchissement des 5 825 points survenu vendredi promettait beaucoup, de l’avis d’une majorité de chartistes. Mais Wall Street (-0,35% pour le Dow Jones et -0,5% pour le S&P-500 à mi-séance) continue de plafonner au contact de ses plus-hauts historiques, et cela n’échappe à personne. Le risque de formation d’un magnifique double sommet court et long terme sur le S&P ou sur l’Eurotop-100 est bien présent, même si les gérants se déclarent optimistes.
S’il est bien une zone économique qui ne redoute pas de scénario en « double-top », c’est l’Asie du Sud-Est et principalement les deux principales Bourses chinoises : cette séance de lundi fut franchement prodigieuse avec deux records historiques pulvérisés simultanément à Hong-Kong (28 350 points) et à Shanghai (5 700 points), les indices Hang Seng et SSE Composite enregistrant des écarts respectifs supérieurs à +2,5%.
** Et là-bas, il n’est même pas besoin d’invoquer des erreurs de comptabilité nationale ou des clauses de non-intervention de l’Etat dans des dossiers industriels sensibles : il règne en permanence un climat d’euphorie digne d’une victoire des gentils petits poucets tricolores sur l’ogre Néo-Zélandais sur les lointaines terres galloises.
Les records de la veille appellent ceux du lendemain et le pack des joueurs chinois aligne une suite ininterrompue d’essais boursiers transformés depuis le début de la crise du subprime (6 mois auparavant). Mais il va bien falloir qu’à un moment ou un autre, l’arbitre siffle la fin du match et indique la direction des vestiaires.
L’ampleur des scores amènera peut être certains spectateurs à s’interroger sur l’organisation d’une véritable mascarade par une fine équipe de bookmakers spécialistes des matchs truqués : plus c’est gros, plus le public marche !
Philippe Béchade
Paris