▪ Les acheteurs ont lancé vendredi en fin d’après-midi une grosse offensive contre les opérateurs restés en position short depuis jeudi (inspirés par la prestation décevante de la BCE) et qui ont persévéré en se fiant à la lourdeur des places asiatiques.
Ce genre de scénario n’est guère original dans un marché-casino où les gros joueurs appliquent des stratégies de type « partie de poker ». En l’occurrence, nous avons assisté à un de ces cas typiques où le bluff et la hauteur des piles de jetons compte bien plus que la valeur des cartes que l’on a en main.
Les acheteurs/relanceurs ont porté les enchères jusqu’à 15 250 sur le Dow Jones (+1,4%), ignorant superbement la soudaine remontée des taux longs américains au-dessus des 2,15% (le T-Bond en a terminé à 2,18%).
Wall Street a salué dans l’allégresse des chiffres de l’emploi US qui étaient médiocres et neutres à souhait. Ils ne devaient refléter ni dégradation du marché du travail ni embellie du côté du chômage, ce double impératif a été respecté.
▪ Un cas de figure idéal
L’économie américaine a créé un peu plus d’emplois que prévu le mois dernier (175 000 contre 170 000), mais un écart de +5 000 par rapport au consensus est négligeable. Ce qui rassurait les investisseurs, c’est la petite remontée du taux de chômage qui passe de 7,5% à 7,6%.
C’était en somme le cas de figure idéal puisque les spéculations sur une évolution de la politique monétaire de la Fed sont théoriquement repoussées d’un mois — tout du moins en ce qui concerne les données relatives au marché du travail.
Les as du poker l’ont jouée très fine : ils ont misé du bout des doigts pour ne pas intimider les autres joueurs. Les indices américains avaient prudemment entamé la séance et les écarts restaient contenus autour de 0,5%… un coup d’attente.
Et puis tout s’est accéléré vers 16h, les gains doublant en l’espace d’un quart d’heure. Avec cette relance agressive, les acheteurs ont obtenu le résultat escompté : les vendeurs se sont couchés.
Même ceux qui pensaient détenir une bonne main — la hausse des taux longs valant une paire d’as — ont juste « collé » à la mise de leurs adversaires au lieu de contre-attaquer pour déstabiliser les bluffeurs (une grave erreur psychologique).
▪ Mission accomplie pour les acheteurs
Faute de relance, Wall Street se stabilisait jusqu’à la mi-séance. Le Dow Jones affichait alors +1%, le Nasdaq +1,05% et le S&P 500 +0,95%.
Les joueurs ont commencé à se regarder en chiens de faïence. La partie commençait à baisser d’intensité et les indices américains voyaient leur avance se réduire à 0,8%.
Les acheteurs, comprenant que les derniers vendeurs en lice ne prendraient pas le risque de les défier à ce moment de la partie, ont cependant repris l’offensive à l’entame de la dernière heure avec la claire volonté de faire clôturer le S&P au plus haut du jour et de la semaine.
Mission brillamment accomplie : le S&P 500 a gagné 1,3% au final, à 1 643 points. Il termine sur semaine en territoire positif — sur le fil –, à seulement 1,5% de son récent record absolu.
C’est un bel exploit dans la mesure où le VIX a effectué une remontée de 11,05 vers 17,5 en quatre semaines… avant de se détendre opportunément de -8,5% à 15,4 vendredi soir.
La magie du vendredi a donc opéré après l’exception du vendredi 31 mai. La belle série semble se poursuivre avec un 18ème score positif sur 21 vendredi écoulés.
▪ Effectivement, la Fed n’a pas de raison d’arrêter sa politique de soutien…
Afin de mieux vous faire apprécier la qualité du coup de bluff des acheteurs, sachez que la statistique du mois d’avril, qui faisait état de 165 000 créations d’emplois a été révisée à 149 000.
Le nombre d’heures hebdomadaires travaillées est resté parfaitement stable à 34,5 ; les salaires ne bougent pas non plus (une hausse de 0,2% était envisagée).
Il est facile d’imaginer qu’aucun « effet richesse » ne saurait surgir de ce côté : les revenus stagnent, les créations de postes ne parviennent même pas à absorber les nouveaux entrants (ne parlons pas des sept millions de personnes qui ont perdu leur emploi en 2008/2009)… Les étudiants qui le peuvent prolongent leurs études supérieures — au prix d’un endettement qui compromet leur future capacité à dépenser.
Fondamentalement, nous donnons raison à ceux qui affirment que la Fed n’a aucune raison de suspendre son soutien à l’économie américaine… Sauf que la méthode choisie ne soutient que les 10% d’Américains les plus riches et appauvrit — ou précarise — symétriquement 90% des moins fortunés.
Les cambistes semblent miser à nouveau sur la pérennité de la politique de taux zéro : le dollar basculait brièvement sous les 1,33/euros vendredi après-midi avant de remonter un peu vers 1,325/euros.
A noter : la lourde rechute de l’or (-2,3%), qui passe sous les 1 380 $. Pas de pressions inflationnistes à l’horizon mais des taux longs qui se tendent, cela fait deux bonnes raisons de se détourner du métal précieux.
D’autant plus que l’Inde vient d’instaurer de nouvelles taxes à l’importation sur les bijoux (la détention d’or sous forme de pièces est en effet interdite de longue date). Cela afin de réduire le creusement du déficit de sa balance commerciale — malgré de beaux succès à l’exportation grâce à des salaires deux à trois fois inférieurs à ceux pratiqués en Chine…