La fin des aides post-COVID, la remontée des taux et le poids croissant de la dette forcent les dirigeants à restructurer, scinder leurs activités… ou à recourir à la faillite pour se protéger des créanciers et des syndicats.
Les défaillances d’entreprises se multiplient depuis la fin des aides mises en place durant les confinements.
La tendance reste orientée à la hausse sur la première moitié de l’année. Le graphique ci-dessous illustre l’évolution des défaillances, en cumul sur 12 mois, jusqu’à mai de cette année.
Comme le souligne une publication d’Allianz parue cet été, les faillites touchent désormais même les plus grandes entreprises. Les défaillances d’entreprises réalisant plus de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires ont bondi de 18 % sur les douze derniers mois.
Cette vague s’explique en partie par un effet de rattrapage après la baisse artificielle des faillites observée durant les confinements. S’y ajoute la pression exercée par la remontée des taux d’intérêt : certaines sociétés, trop endettées et incapables de générer des retours suffisants sur leurs investissements, se retrouvent étranglées.
Financement par la dette : un levier… mais aussi un risque
La dette reste un outil puissant pour financer les investissements ou les acquisitions. Mais elle peut également amplifier les erreurs de gestion et conduire certaines entreprises à la faillite.
L’exemple d’Ørsted, acteur majeur de l’éolien en mer, illustre bien ce danger : son endettement de 10 milliards d’euros l’a contraint à lancer une augmentation de capital cet été, provoquant un effondrement de 30 % de son titre.
Chez SFR, les créanciers sont montés au capital face à l’endettement excessif contracté par Patrick Drahi. En 2016, il avait profité de taux historiquement bas pour racheter la filiale au groupe Bolloré. Aujourd’hui, la maison-mère d’SFR, Altice France, doit verser 318 millions d’euros d’intérêts pour le dernier trimestre, alors que ses opérations ne génèrent que 300 millions d’euros d’excédent : le service de la dette dépasse les résultats opérationnels !
Le groupe suédois Embracer, géant du jeu vidéo, traverse lui aussi une crise liée à son endettement. Ses problèmes découlent d’une frénésie d’acquisitions de studios, notamment durant les confinements. Depuis la réouverture, l’action a perdu 75 % de sa valeur.
La cause principale des difficultés d’Embracer réside dans son recours excessif à l’endettement pour financer ses nombreuses acquisitions. Sa dette atteignait environ 1,5 milliard d’euros à la fin de l’année 2024. Face aux doutes sur la survie du groupe, les dirigeants ont opté pour une stratégie de « vente à la découpe ».
En février dernier, ils ont procédé à une scission de leurs activités, créant une entité séparée pour le pôle jeux de société : Asmodee, désormais coté en Bourse. Avec l’accord des créanciers, Embracer a ensuite fait émettre 900 millions d’euros de dette par Asmodee afin de rembourser une partie de l’endettement de la maison-mère.
Autrement dit, Embracer a transféré le risque sur une filiale. Si Asmodee venait à faire faillite, le groupe conserverait tout de même le contrôle de ses activités dans le jeu vidéo.
Faillites : un outil de protection, y compris contre les syndicats
Les faillites offrent une protection juridique face aux créanciers, mais aussi face aux poursuites du personnel. En Europe continentale, de nombreuses entreprises attendent d’être en situation de faillite pour annoncer des licenciements.
Le coût du travail et des plans sociaux peut en effet menacer la survie d’une société déjà fragilisée. L’exemple d’Atos l’illustre : malgré des difficultés persistantes depuis des années, le groupe a différé les réductions d’effectifs jusqu’à se placer sous protection judiciaire. Les licenciements n’ont commencé qu’à la fin 2024, permettant au groupe de bénéficier des protections offertes par la procédure.
Ces réductions d’effectifs visent à rétablir la rentabilité, mais elles représentent un coût considérable – près de 1 milliard d’euros.
Fitch Ratings résume la situation :
« Atos a lancé son processus de réduction des effectifs fin 2024. Les licenciements s’élèvent à 3 500 sur l’année, sur un total de 10 000 prévu d’ici 2027. Cette restructuration devrait permettre environ 800 millions d’euros d’économies annuelles après 2027 – soit près de 80 000 € par salarié – pour un coût total estimé à 960 millions d’euros entre 2023 et 2027. »
Autrement dit, le coût de licenciement d’un salarié dépasse celui d’une année complète de salaire. Ce décalage incite certaines entreprises à conserver leurs effectifs jusqu’au moment du dépôt de bilan, afin de bénéficier des protections offertes par la faillite.
Monster France : liquidation et évitement des poursuites
Le site de recherche d’emploi Monster.com perdait du terrain face à la concurrence. Cette année, il a déposé le bilan aux États-Unis et vendu ses opérations mondiales pour 28 millions de dollars. Le repreneur prévoit de réduire les effectifs d’environ deux tiers.
En France, les syndicats ont réclamé l’intervention du gouvernement et des poursuites contre les propriétaires du site. L’élu Philippe Latomb s’est indigné sur LinkedIn :
« Alors qu’un accord d’entreprise sur les licenciements économiques, signé par Monster France sous l’égide de Randstad et valide jusqu’en 2027, prévoyait un accompagnement renforcé pour les salariés (dispositifs spécifiques pour les seniors, les reconversions, les créateurs d’entreprise, etc.), ni Randstad ni Apollo ne semblent vouloir soutenir financièrement ou humainement les équipes dans leur départ. »
La faillite de Monster France trouve son origine dans sa fusion, en septembre dernier, avec le site CareerBuilder. Cette opération a alourdi la dette du groupe à environ 400 millions de dollars, entraînant l’ouverture de procédures de liquidation.
Pour l’actionnaire Randstad, cette faillite présente un intérêt : elle offre une protection contre les recours syndicaux et facilite la mise en place d’un plan social. De plus, la fusion avec CareerBuilder a réduit la participation de Randstad à 49 %, ce qui le met à l’abri d’éventuelles poursuites de syndicats ou d’anciens salariés réclamant des compensations.
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