La révolution de l’IA alimente une bulle d’investissements sans précédent. Mais si les fortunes flambent, les bilans, eux, virent au rouge.
L’envolée des valorisations de géants comme Nvidia et Oracle découle de la forte croissance du secteur technologique. Le fondateur d’Oracle, Larry Ellison, a même brièvement occupé la première place des plus grandes fortunes grâce à la flambée du titre (voir ci-dessous).
Les entreprises technologiques comme Amazon, Meta (Facebook et Instagram) ou Alphabet (Google) augmentent massivement leurs budgets, que ce soit pour construire de nouvelles salles de serveurs ou recruter des talents spécialisés dans les algorithmes.
Cet engouement des géants du numérique provoque une explosion des revenus chez les fournisseurs d’équipements et de logiciels.
Comme le rapporte Les Echos :
« Un contrat à 300 milliards de dollars promis entre la start-up OpenAI et le fournisseur de logiciels et de cloud Oracle, une capitalisation boursière record de 4 300 milliards de dollars pour le spécialiste des puces Nvidia, un chèque de 500 milliards pour les data centers du futur annoncé depuis le Bureau ovale par les mêmes OpenAI, Oracle et le japonais SoftBank… »
En France, la start-up Mistral AI atteint une valorisation de plus de 10 milliards d’euros après plusieurs levées de fonds. Le gouvernement figure d’ailleurs parmi les financeurs, via la Banque publique d’investissement.
Gonflement via des subventions
Le gouvernement américain multiplie les mesures protectionnistes et fiscales : restrictions sur le commerce extérieur, subventions directes et exonérations d’impôts pour les entreprises jugées stratégiques.
Ainsi, une partie de la flambée du secteur technologique s’explique par ces soutiens publics. En 2022, l’administration Biden a par exemple lancé le CHIPS Act, qui prévoit 53 milliards de dollars d’aides pour le secteur des semi-conducteurs, en contrepartie d’investissements sur le sol américain.
Comme l’Irlande l’avait fait à son époque pour attirer les géants de la tech, les Etats-Unis offrent désormais des allègements fiscaux en échange d’implantations industrielles.
D’après Politico, le total de ces mesures atteindrait 1 600 milliards de dollars, dont environ 551 milliards sous forme de baisses d’impôts. En partie à cause de ces soutiens, le déficit budgétaire américain repart à la hausse après une accalmie post-confinements, pour atteindre 2 000 milliards de dollars sur la dernière année fiscale.
Ces dépenses publiques se traduisent directement par des revenus supplémentaires pour les entreprises technologiques.
Le groupe Palantir, spécialisé dans le traitement de données, tire ainsi la moitié de son chiffre d’affaires des contrats passés avec le gouvernement américain.
L’AI Action Plan, dévoilé par la Maison-Blanche durant l’été, prévoit également un allègement des régulations et des obstacles administratifs pour la construction de centres de données.
En août, une rencontre entre les dirigeants des grandes entreprises technologiques et Donald Trump a illustré le rapprochement entre la Silicon Valley et Washington.
Selon Le Courrier International :
« Les géants de la tech, dont le PDG d’Apple Tim Cook, le patron d’OpenAI Sam Altman, le fondateur de Microsoft Bill Gates et celui de Meta Mark Zuckerberg, ont chacun remercié le président, certains précisant le montant que leur entreprise prévoyait d’investir aux Etats-Unis. »
Dans l’extrait vidéo publié par le Wall Street Journal, on entend Sam Altman lui dire : ‘Merci d’être un président tellement pro-entreprise et pro-innovation’, Tim Cook le remercier ‘d’avoir créé les conditions qui nous permettent de réaliser un investissement majeur aux Etats-Unis’. Safra Catz, PDG d’Oracle, ajoute qu’il avait ‘tout de suite compris’ que l’intelligence artificielle ‘allait tout changer’. »
En Europe, la même logique
En France comme dans l’Union européenne, les gouvernements soutiennent également massivement la technologie.
STMicroelectronics, le groupe franco-italien de semi-conducteurs, reçoit ainsi plusieurs centaines de millions d’euros sous forme de subventions, d’exonérations de charges ou de réductions d’impôts. Le supercalculateur JUPITER développé par Atos a été financé à hauteur de 500 millions d’euros par des fonds publics.
La Banque publique d’investissement (BPI) soutient elle aussi activement les jeunes pousses, en participant à leurs levées de fonds. Elle a ainsi contribué au financement de Mistral AI, et distribué un montant record de 2,4 milliards d’euros de financements sur le premier semestre de l’année.
Course à l’IA : dépenses record chez les GAFAM
L’ampleur des investissements dans l’intelligence artificielle pèse désormais sur les résultats financiers des géants du secteur.
Les derniers trimestres montrent en effet une nette dégradation des flux de trésorerie. Les entreprises ajoutent des fonctionnalités liées à l’IA à leurs produits, sans pour autant enregistrer une hausse de revenus équivalente.
Comme le souligne le site Developpez, « l’IA coûte extrêmement cher à produire, mais elle est consommée comme si elle était gratuite, ou incluse dans des abonnements inchangés ».
Chez Meta (Facebook et Instagram), le flux de trésorerie libre est passé de 16,5 milliards de dollars au troisième trimestre 2024 à seulement 9 milliards lors du plus récent. Amazon connaît une évolution similaire : un flux positif de 17,8 milliards de dollars fin 2024, suivi d’un plongeon à près de 8 milliards sur les six premiers mois de 2025. Oracle, de son côté, voit ses dépenses d’investissement absorber la totalité de ses excédents opérationnels. Sur les douze derniers mois, ses flux de trésorerie sont tombés à -5,9 milliards de dollars, contre +11,8 milliards en 2024 et +8,5 milliards en 2023.
Oracle : pertes immédiates, promesses futures
Malgré cette situation financière tendue, l’action Oracle a été multipliée par cinq en cinq ans.
Le groupe a récemment annoncé un contrat historique avec OpenAI, la société mère de ChatGPT : un accord de 300 milliards de dollars sur cinq ans, portant sur la fourniture de capacités de calcul et de serveurs.
Selon Boursier.com :
« Le Wall Street Journal rapporte qu’OpenAI a signé un contrat d’achat de puissance de calcul de 300 milliards de dollars auprès d’Oracle sur environ cinq ans, l’un des plus importants contrats cloud jamais conclus. Ce contrat fait grimper le carnet de commandes (RPO) du groupe de Larry Ellison à 455 milliards de dollars, soit une hausse de +359 %. »
Pour poursuivre sa croissance, Oracle devra toutefois recourir à davantage de capitaux — et même à l’endettement.
Toujours selon Boursier.com :
« Les analystes estiment qu’Oracle verra sa dette croître plus vite que son Ebitda, ce qui porterait son ratio d’endettement à quatre fois avant que ses bénéfices ne rattrapent le niveau de sa dette. »
Ce contrat s’inscrit dans une série d’accords similaires entre OpenAI et différents fournisseurs de serveurs.
Malgré le doublement de ses revenus annuels, ChatGPT affiche encore des flux de trésorerie négatifs. Comme Oracle et d’autres géants du secteur, OpenAI privilégie la croissance immédiate à la rentabilité.
D’après TechCrunch :
« OpenAI a multiplié les annonces d’investissements en infrastructures cette dernière année, atteignant des montants colossaux : environ 60 milliards de dollars de dépenses annuelles auprès d’Oracle pour la puissance de calcul, et 10 milliards supplémentaires pour le développement de semi-conducteurs spécialisés avec Broadcom.
En parallèle, OpenAI a déclaré 10 milliards de dollars de revenus annuels, contre 5,5 milliards l’année précédente. »
Pour l’heure, les excédents de trésorerie du secteur technologique restent en baisse, conséquence directe de ces investissements massifs dans la croissance.
L’envolée du titre Oracle et de la fortune de Larry Ellison, tout comme celle des fondateurs de Mistral AI, illustre la confiance des investisseurs dans le potentiel de l’intelligence artificielle.
Mais le secteur doit encore prouver sa rentabilité, après cette phase d’expansion alimentée par des budgets sans précédent.
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