▪ Et si on parlait de dette gouvernementale ? Parce qu’apparemment, ce n’est pas un problème — du moins pas aux Etats-Unis, en tout cas. L’intérêt net versé par le gouvernement américain est en fait le même, en tant que pourcentage du PIB, qu’il y a 40 ans. Il ne représente qu’1,3% de la production : pas de quoi s’inquiéter.
Mais attendez… que voyons-nous là ? La maturité moyenne de cette dette a baissé, passant de plus de cinq ans à quatre seulement. Et selon le Bureau américain de la gestion et du budget, si les Etats-Unis maintiennent ce cap, l’intérêt net passera à 5% du PIB en 2019, puis 10% en 2034.
Ces chiffres partent du principe qu’il n’y aura pas de grande augmentation des taux d’intérêts… et que l’économie se remettra comme prévu. Si l’une ou l’autre de ces deux choses ne se produisent pas comme prévu, la situation se dégradera rapidement.
Imaginez si le gouvernement américain se retrouvait forcé de refinancer sa dette à des taux d’intérêt à deux chiffres — comme on en trouvait à la fin des années 70. Les intérêts nets pourraient passer à 4% du PIB en quelques mois.
▪ Nous vivons une dépression, non une récession. Il faut toujours plus de temps pour sortir d’une dépression. Et elles sont également bien plus insidieuses. Parce qu’il y a toujours des périodes où les choses semblent "revenir à la normale" — pour mieux reprendre le chemin de la baisse dès que les investisseurs deviennent haussiers.
Richard Koo, auteur du livre The Balance Sheet Recovery ["Une reprise pour les bilans", ndlr.], se rappelle de la longue traversée du désert du Japon :
"Nous avons assisté à des faux départs… L’économie donnait des signes d’amélioration, et nous disions : ‘mon Dieu, le déficit budgétaire est trop profond’. Nous réduisions alors les stimulants fiscaux et l’effondrement reprenait. Nous avons subi ces zigzags durant 15 ans".
Koo comprend ce qui est en train de se passer, plus ou moins. Les entreprises et les ménages remboursent leurs dettes. Lui et Paul Krugman sont d’avis que les autorités doivent continuer à injecter de l’argent dans le système, sans quoi ils auront droit à une "décennie perdue", comme les Japonais.
Il faut que les plans de relance continuent d’affluer "jusqu’à ce que le désendettement du secteur privé soit terminé", dit-il.
Selon nos calculs, il faudra entre cinq et 10 ans pour que le secteur privé se désendette. A ce moment-là, les autorités auront ajouté des milliers de milliards de dollars de dette aux finances publiques. Dans la mesure où elles ne peuvent pas financer une telle quantité par le biais de l’épargne privée américaine… et dans la mesure où les étrangers, méfiants, ne seront guère pressés de prêter une telle somme même s’ils l’avaient, la Fed elle-même devra trouver l’argent. Cela mettra le dollar plus encore en danger… ainsi que le système financier mondial tout entier.
Koo a peut-être raison — du moins aussi loin que porte sa pensée. Il devrait réfléchir un peu plus loin. Le problème, c’est la dette. Un excès de dette dans le secteur privé a généré des marchés baissiers et une crise bancaire. Un excès de dette dans le secteur public engendrera aussi de gros problèmes — des défauts de paiement de la part de l’Etat… et de l’hyperinflation. Bien pire qu’une dépression.