** Nous avions annoncé un peu prématurément mardi que la séance du 7 juin constituerait un tournant majeur pour les marchés. Ce sera peut être le cas… mais à l’issue d’une séance indécise, où le CAC 40 ne reprend que 0,56% sur les 2,4% perdus la veille, nous sommes bien en peine de déterminer sur quelle nouvelle pente s’engagent les indices boursiers.
Les places européennes ont repris 0,9% en moyenne, Paris étant à la traîne. C’est bien insuffisant pour valider l’hypothèse d’un rebond (+2,5% à +3% dans un premier temps, juste de quoi s’en aller refermer les gaps indiciels de la séance de mardi à l’ouverture). Cela diffère peut-être la cassure collective des supports moyen terme à Wall Street (11 000 points pour le Dow Jones, 2 160 points sur le Nasdaq) ou en Europe (4 800 sur le CAC 40, 5 500 points sur le DAX, 3 540 sur l’Euro-Stoxx 50)… mais si les marchés asiatiques font bien office de précurseurs, la chute de 1,8% du Nikkei, revenu au contact des 15 000 points ce mercredi, soit 6,3% de pertes annuelles cumulées, invite à profiter de tout rebond technique pour s’alléger.
Quand une reprise ponctuelle enraye une phase de consolidation moyen terme, les opérateurs ont tendance à privilégier les valeurs les plus volatiles à la hausse, puis celles dont les cours leur apparaissent absurdement sous évalués. Rien de tel hier, puisque les valeurs du SBF 80 terminaient en repli de 0,12%.
Les rares achats quelque peu substantiels n’ont profité qu’aux titres faisant l’objet de rumeurs d’OPA (Suez, Vivendi, Arcelor), ou qui s’apprêtent à modifier leur périmètre via une acquisition stratégique comme L’Oréal ou Pernod tout récemment, ou une cession, à l’image de France Télécom qui s’apprête à mettre en vente sa filiale Pages Jaunes pour un montant compris entre 3,2 et 3,4 milliards d’euros.
Les investisseurs ont donc pris le minimum de risques, et développent actuellement le même genre de stratégies d’acquisitions ciblées que nous prônons sans relâche depuis la mi-mars. Une attitude prudente que nous comprenons, à la veille de la réunion de la BCE : une hausse de 25 points de base du "repo" à 2,75% est considérée comme acquise.
Certains opérateurs s’étaient mis à redouter un tour de vis de +50 points de base ce jeudi, mais ils se sont ravisés. Ce serait un coup de massue anti-inflationniste dont la croissance ne se remettrait pas, et qui susciterait des critiques pour une fois plus acerbes que les nôtres à l’encontre de la politique monétaire de la BCE — aussi bien de la part des banquiers (non centraux !) que des entreprises puis des leaders politiques.
** Aux Etats-Unis, les taux se retendent un peu (5,05% sur le 2016), mais pas suffisamment pour confirmer l’anticipation d’une 17ème hausse du prime rate à 5,25% d’ici une quinzaine de jours. Les tous derniers propos de Ben Bernanke, confirmés par ceux de William Poole mardi, plaident pourtant en faveur d’un nouveau renchérissement du loyer de l’argent. Et si cela ne suffisait pas, Jack Guynn, gouverneur de la Fed d’Atlanta, a affirmé que la tâche de la Fed consistait à "ajuster en permanence les perspectives monétaires au gré de la parution des différents indicateurs et des informations ponctuelles : il faut se tenir prêt à repenser le cadre des décisions si les conditions économique viennent à évoluer".
Voilà une stratégie qui semble frappée du sceau du bon sens… et qui constitue typiquement ce à quoi les investisseurs américains se montrent allergiques. Ainsi, ce n’est plus la Fed qui entend marquer de son empreinte le cours des évènements (et dans le sens qu’anticipent les marchés)… mais bien les évènements qui déterminent — sans qu’il soit possible d’anticiper dans quel sens — les ajustements monétaires adéquats.
Pour que nul ne s’illusionne sur l’épicentre des préoccupations de Ben Bernanke et de ses principaux lieutenants, Jack Guynn précise que le taux d’inflation hors éléments volatils (le fameux core rate) a déjà passé les limites de l’acceptable aux yeux de la Fed. Hors énergie, les prix progresseraient en mai à un rythme voisin de +2,3%, en légère décélération par rapport au mois d’avril ; il ne s’agit que d’estimations, et nous redoutons que la surprise ne soit mauvaise, compte tenu du cours moyen du baril de pétrole et du gaz le mois dernier.
Les marchés n’apprécient guère les hausses de taux lorsqu’elles ne semblent plus s’imposer… mais ils ont par dessus tout horreur de manquer de repères et de devoir travailler avec des scénarios économiques qui flottent au gré des vaguelettes dessinées par les courbes de l’inflation et des créations d’emplois. La "non possibilité" de choix stratégiques fermes et définitifs se solde toujours par la même option de la part des investisseurs : gagner la porte de sortie la plus proche — autrement dit, profiter du premier semblant de rebond des indices boursiers pour solder les portefeuilles.