▪ Parfois, les bonnes idées d’investissement sont bêtement évidentes.
J’ai récemment lu un article sur Mark Lightbown, qui dirigeait le fonds Genesis Chile. L’auteur, John Train, le décrit comme un Anglais excentrique et bien élevé qui voyageait avec un sac à provisions en guise de valise, selon le principe qu’aucune compagnie aérienne ne l’obligerait à enregistrer son bagage.
Quoi qu’il en soit, en 1990, après la chute de Pinochet, Lightbown s’installa à Santiago pour lancer le fonds et profiter ainsi d’une potentielle reprise économique chilienne. Lors de son installation, il remarqua qu’un grand nombre de camions livrait du Coca-Cola aux restaurants de Santiago. En creusant un peu, il trouva que la consommation de Coca au Chili était considérable. Il réfléchit donc qu’avec la hausse des revenus et le rebond du Chili, l’entreprise Coca-Cola devrait bien performer.
Il s’avéra que la société locale d’embouteillage, Andina, était cotée en Bourse. Il lut le rapport annuel et visita l’entreprise. Les bureaux se situaient au rez-de-chaussée de l’usine d’embouteillage. Ils étaient opérationnels et non ostentatoires — un bon signe. Le directeur général, un dénommé Eulogio Pérez-Cotapos, fut ravi de le rencontrer. Peu d’investisseurs lui rendaient visite. Pérez-Cotapos lui raconta ce qu’Andina essayait de faire et qu’il s’attendait à ce que les volumes croissent de 10% par an et que les marges bénéficiaires augmentent puisque plus de volume améliorerait le rendement de l’usine.
C’est une belle histoire, pas vrai ? Pourtant, Andina était valorisé avec un PER de 4. Et l’entreprise représentait 60% du marché des boissons gazeuses au Chili. Lightbown a acheté pour un million de dollars d’actions. 10 années plus tard — n’ayant pas vendu une seule action — sa participation dans Andina valait 70 millions de dollars — soit un facteur multiplicatif de 70 en 10 ans.
Cela a marché mieux qu’il l’espérait parce qu’Andina a créé de nouveaux produits (par exemple des jus de fruits) qu’elle ne proposait pas lorsque Lightbown a fait son premier investissement. En fait, le secteur des jus de fruits a connu une croissance plus rapide que celui des boissons gazeuses.
Tout semble si simple aujourd’hui. Naturellement, acheter un embouteilleur de Coca-Cola était une excellente idée ! Pourtant Andina demeurait à un PER de quatre lorsque Lightbown l’a achetée. Personne ne voulait d’Andina. Lightbown se souvient qu’un courtier local avait même tenté de le dissuader de l’acheter. Pourquoi ? D’abord, l’entreprise n’avait pas connu de croissance depuis plusieurs années. Comme c’est souvent le cas pour beaucoup d’investisseurs, le courtier regardait le passé et non l’avenir. Deuxièmement, Pepsi entrait sur le marché et il s’ensuivit une guerre publicitaire sans merci. Cela inquiéta les investisseurs chiliens : la léthargique Andina pourrait-elle conserver ses marges bénéficiaires face à une telle attaque ?
▪ Une idée qui peut sembler absurde, et pourtant…
Ceci nous amène à l’idée qu’eut Lightbown et qui est contraire à l’intuition. « De par le statut d’investisseurs étrangers, très peu de gens pensent dans les mêmes termes ». Cela signifie que, curieusement, les investisseurs locaux négligent parfois une bonne idée parce qu’elle se trouve sous leur nez. Ils sont aveuglés par certains préjugés et ont du mal à s’adapter à une nouvelle réalité.
Je ne sais pas ce qui est arrivé par la suite à Lightbown ni à Chile Fund. Peu importe d’ailleurs. Cette histoire sert d’exemple pour montrer l’efficacité d’une observation directe — et d’une observation simple, dans le cas présent.
▪ Venons-en au Chili… et à l’automobile
Aujourd’hui, je doute qu’une opportunité facile de cette sorte existe encore au Chili, qui est de nos jours un marché assez développé. Mais on ne sait jamais et c’est pourquoi je suis ici pour fouiner un peu et voir ce qui s’y passe. Une première observation facile m’a frappé tandis que je visitais Santiago. Il y a énormément (trop) de voitures. La circulation automobile y est très dense.
Lorsque je voyage, je ne peux m’empêcher de remarquer le nombre voitures en circulation. Au cours des 12 derniers mois, je me suis rendu en Afrique du Sud, en Colombie, au Vietnam, en Thaïlande, au Cambodge et maintenant au Chili. Acheter une voiture est l’une de ces choses basiques que presque tout le monde fait lorsqu’il peut se l’offrir. Cela m’amène à une conclusion évidente : le nombre de voitures sur les routes de la planète continuera à augmenter alors que les marchés émergents comblent l’écart avec le monde occidental.
Ce qui nous amène aux équipementiers automobiles.
Mario Gabelli, le célèbre investisseur à la tête de Gamco, est l’un de ceux qui l’ont compris. J’aime bien la façon de réfléchir de Gabelli. Il fait partie de mes investisseurs préférés. Lors de la dernière table ronde annuelle de Barron’s, Gabelli a abordé ce sujet :
Sur une base mondiale, environ 74 millions de voitures seront vendues en 2012, dont 13,8 millions aux Etats-Unis, reflétant une reprise cyclique importante. Il existe environ un milliard de voitures qui circulent dans le monde, dont 240 millions aux Etats-Unis. Mais la plus grande croissance viendra de Chine, où 8 millions de voitures se sont vendues en 2007 et où 20 millions se vendront en 2013. Comment gagner de l’argent à partir de ces informations ?
Toutes ces voitures ont besoin de pièces. Gabelli apprécie trois titres : Genuine Parts, Navistar et Dana Holding. Il n’a pas mentionné Federal-Mogul cette fois-ci mais sa société est le troisième plus grand détenteur institutionnel de l’action. Clairement, le vieux briscard apprécie les fabricants de pièces pour voitures et camions. J’y vois beaucoup de valeur également.
En général, les investisseurs aiment aller là où la croissance se trouve. Il en va de même dans le secteur automobile. En se basant simplement sur les infrastructures existantes et les plans actuels d’expansion, la croissance de la production devrait être forte d’ici 2015 dans les marchés émergents. Mais ce n’est pas non plus comme si l’Amérique du Nord était en queue de peloton. La production nord-américaine devrait croître de près de 7% par an. Seule l’Europe reste à la traîne, à 3,3%.
Le problème avec la croissance est qu’en général, il faut payer pour l’avoir. Ce n’est pas le cas parmi les équipementiers automobiles. Ils ont un PER plutôt favorable et des liquidités.
Et ces entreprises auront leur place au soleil dans l’économie mondiale au cours des prochaines années.