"L’humanité d’une société se manifeste dans sa manière de traiter les plus faibles, les vieux et les malades".
Cette déclaration n’émane pas du président des Emmaüs à l’occasion du 60ème anniversaire de l’association ce week-end mais d’Angela Merkel devant le Bundestag mercredi dernier. Elle a servi de préambule à son soutien au projet de loi de sa ministre du Travail, Andrea Nahles (SPD), qui propose d’abaisser l’âge légal de départ à la retraite à taux plein de 67 à 63 ans pour les travailleurs ayant 45 ans de cotisations derrière eux.
La chancelière, décidément très en verve mercredi dernier, a fait une autre proposition qui semble marquer un véritable tournant dans le traitement social du travail et du chômage. Il s’agit de la limitation de la durée du travail intérimaire à 18 mois au maximum et l’alignement du revenu des "précaires" sur celui des salariés disposant d’un contrat à long terme.
Dans certaines entreprises exploitant les règles en vigueur depuis 2005 avec cynisme, des intérimaires provenant d’autres pays d’Europe pouvaient être payés au tiers du salaire versé à un employé allemand en CDI.
▪ Réquisitoire et déminage express
Angela Merkel a fait part de sa volonté de "mettre fin aux dérives et à la face sombre des réformes du marché du travail menées sous les précédents gouvernements".
C’est un réquisitoire à peine voilée contre les Lois Hartz de 2004. Ces dernières font l’objet de vives critiques de la part de certains Etats européens qui accusent l’Allemagne de pratiquer le dumping salarial et de brider la consommation outre-Rhin.
Au même moment, par une coïncidence à peine croyable, la presse révélait que Peter Hartz venait d’avoir une ou plusieurs entrevues avec François Hollande, provoquant un tollé général à gauche.
L’Elysée a mis moins de trois heures à démentir la rumeur selon laquelle le Président pourrait avoir recours aux conseils de M. Hartz. Notez avec quelle célérité "le château" a réagi : du déminage express !
Pour la petite histoire, Peter Hartz était déjà venu à Paris pour participer fin mai 2013 à un colloque consacré à "la recherche de compétitivité et aux perspectives de l’emploi en l’Europe"… Cela dans l’indifférence générale — mais il n’était pas encore question de "pacte de responsabilité" ni d’entame de négociations avec les partenaires sociaux.
▪ Pourquoi le nom de Peter Hartz suscite-t-il aujourd’hui tant d’hostilité ?
Il faut dire que le contexte a bien changé en 10 ans !
Qui se souvient de l’état de l’Allemagne après les deux années de récession de 2002 et 2003 ? Qui se souvient du scandale des statistiques de l’emploi truquées outre-Rhin à l’époque ? Le chômage était massivement sous-estimé par la fiction statistique.
Le mot d’ordre fut de remettre l’Allemagne au travail. Le moyen choisi par Gerhard Schröder — sur les conseils de Peter Hartz, l’ex-DRH de Volkswagen — fut de flexibiliser au maximum le marché de l’emploi et de rendre le chômage "inconfortable".
Les lois "Hartz 4", qui font aujourd’hui figure d’épouvantail dans toute l’Europe, rencontrèrent à l’époque une large adhésion de l’opinion publique germanique. Les entreprises jouèrent apparemment le jeu et le chômage diminua effectivement… mais au prix d’une paupérisation et d’une précarisation des catégories professionnelles les plus mal défendues par les syndicats.
Les garanties dont bénéficiaient des millions de chômeurs furent passées au marteau-pilon (durée d’indemnisation divisée par trois, pensions de misère…). Les sans-emplois durent accepter n’importe quel poste à n’importe quel prix, ce qui entraîna une déflation salariale généralisée particulièrement avantageuse pour les entreprises exportatrices.
Les dernières déclarations de Mme Merkel vont-elles enfin dissiper l’aveuglement des élites européennes qui créditent Messieurs Hartz et Schröder du miracle allemand des années 2005/2008 puis 2010/2013… alors qu’il s’agit principalement d’un heureux accident de l’histoire ?
▪ De l’utilité d’un euro fort… pour certains
La sortie de l’ornière de l’Allemagne n’a pas été un cas isolé dans le monde — avec ou sans refonte du système social — mais une conséquence quasi inéluctable d’un euro fort taillé "sur mesure" pour l’industrie exportatrice allemande. Cette dernière a été, pour des raisons structurelles, la principale bénéficiaire du boom économique chinois et asiatique.
J’ajouterais que la bonne santé des entreprises allemandes, outre la modération salariale qui s’est imposée à partir de 2004/2005, a été largement renforcée par la réduction concomitante du taux d’imposition sur les sociétés distribuant un minimum de dividendes : l’entreprise qui garde sa trésorerie se trouve incitée à investir dans la "recherche/développement". Il faut également compter avec l’abaissement de l’imposition sur les transmissions des entreprises si ces dernières s’engagent à augmenter le nombre d’emplois d’un pourcentage prédéterminé dans les sept années qui suivent… Ce dont, pour le coup, la France ferait bien de s’inspirer !
Je peux en outre comprendre l’émoi de nombre de militants de la majorité comme de l’opposition connaissant le CV de M. Hartz. Il a été rattrapé par la justice dès 2005 pour de sordides affaires de corruption de dirigeant syndical (une pratique très répandue à l’époque) et d’abus de biens sociaux (incluant de grosses sommes servant à financer des amours tarifées), qui le poursuivaient depuis qu’il avait quitté son poste de directeur des ressources humaines à la tête de Volkswagen.
Faisant face à 44 chefs d’inculpation, Peter Hartz s’en tira en 2007 avec deux ans de prison avec sursis et une amende de 576 000 euros pour corruption et détournement de fonds sans enrichissement personnel (d’où son maintien en liberté).
Mais la "condamnation" qui sera peut-être la plus douloureuse à ses yeux, c’est bien celle des "dérives" et de "l’inhumanité du système" que son action auprès de G. Schröder a engendrées.
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2 commentaires
Bonjour,
J’aurais tellement voulu écrire un tel article de bon sens civique envers la société, merci à vous Mr Belchade, une économie qui ne voudrait plus se mettre au service de l’homme de foi ou pas, irait droit dans le mur, c’est certainement cela qui a du vous pousser à écrire un tel papier sur le moment. Je pense en effet que la France ne sera jamais l’Allemagne et cela aussi disciplinée soit-elle, mais bon ça remonte pas qu’à aujourd’hui voir déjà le Capitaine de Köpenick au sujet des excès de la bureaucratie. Dans une société tout le monde n’est pas fait pour devenir un banquier ou un technocrate, l’impasse mortifère du monde.
Cordialement.
Merci,Philippe BECHADE,de restituer la vérité sur l’apparent miracle économique allemand qui s’est fait au prix d’un sacrifice sanglant de la masse salariale découpée aux quatre vents.Je suis toujours surpris de constater à quel point l’ignorance réelle des événements économiques fait partie de nos élites qui transpirent de crétinisme par toutes les pores de leur peau.
J’apprécie bien sur par contrecoup l’humanisme qui jaillit de votre réquisitoire.On oublie trop souvent que lorsqu’un paquebot prend l’eau,les premiers à boire la tasse et à disparaitre sont ceux qui font tourner la machine,ce qui est le comble d’une horrible injustice et révèle le crapulisme de ceux qui nous gouvernent et de ceux qui ont le pouvoir.Le Pouvoir rend l’homme méchant,dixit Platon en son temps.J’ajouterai 2 autres M à cette clique de misanthropes: malice et malignité,pour la perte le l’honnête homme.De ceux qui ne produisent rien d’autre que de la déception par leurs décrets et lois liberticides et entravantes,comme forme de parasitage moderne de la sève productrice.