L’investissement public est une vieille tradition française. Qu’il s’agisse de mener à bien d’importants projets d’infrastructure (construction d’autoroutes, de centrales nucléaires ou de voies ferrées) ou de soutenir des entreprises en difficulté, l’Etat français a toujours eu l’habitude d’utiliser les deniers publics comme un moyen d’intervention de poids dans la vie économique du pays.
Si toutes les nations industrielles ont recours de manière plus ou moins directe à l’investissement centralisé, la France est championne en la matière.
Comme dans tous les domaines, l’investissement public est soumis à la loi du déclin de l’utilité marginale. Un peu d’investissement permet de bâtir une société industrielle et d’y installer les infrastructures vitales. Les investissements suivants offrent aux citoyens un confort supplémentaire dont le prix augmente rapidement. In fine, le retour sur investissement pour le pays devient nul, voire négatif…
L’intervention de l’Etat dans les entreprises est un mode de fonctionnement aujourd’hui considéré comme normal par nos administrations. Cette absence de remise en question fait que la France est le pays développé dans lequel la part des entreprises à participation publique est la plus importante : une personne sur dix est employée par une entreprise dont l’Etat est au capital !
Le poids de l’Etat dans notre économie ne se manifeste donc pas uniquement par un taux de prélèvement et de redistribution record. Sa présence au capital des entreprises a des effets mesurables sur la gouvernance de ces dernières.
Si vous investissez dans des sociétés françaises, les effets des participations étatiques sont non négligeables.
Il faut donc en tenir compte lorsque vous décidez d’acquérir des actions ou obligations des entreprises concernées – et elles sont nombreuses.
Quand l’Etat collectionne les participations
L’Etat français est un boulimique de l’investissement. Je vous disais en guise d’introduction qu’un salarié sur dix travaille pour une entreprise à participation publique. Même en ne considérant que les entreprises dans lesquelles l’Etat est majoritaire au capital, notre pays se paye le luxe d’employer plus de 800 000 personnes… soit plus que les Etats-Unis !
Source : Cour des comptes d’après données OCDE, APE
Ces chiffres, déjà impressionnants, en cachent un autre : le montant des participations totales de l’Etat-actionnaire. Le mille-feuille administratif fait que les participations de l’Etat sont réparties dans une demi-douzaine de structures. Les plus importantes sont l’APE, la Caisse des Dépôts et Consignations
Ces trois structures totalisent plus de 1 700 participations pour un montant total de près de 100 Mds€.
La particularité française réside dans la répartition de ces investissements. Alors que nos voisins concentrent les participations dans l’énergie et les réseaux (transport, électricité, réseaux postaux et télécommunications), la France investit dans tous les secteurs. Industrie manufacturière, automobile, assurances, santé et logement : aucune activité n’échappe à l’intervention de l’Etat.
L’impossible conciliation de l’investissement et de la politique
Le problème est que la position d’investisseur est intrinsèquement conflictuelle pour l’Etat. Dans notre pays, l’Etat a pour mission d’organiser de la société et de mener à bien divers chantiers politiques.
Un actionnaire a pour mission de faire fructifier son capital.
Il est facile de trouver des exemples où ces objectifs sont contradictoires. Considérons le cas de la lutte contre le chômage qui est un sujet d’actualité. L’objectif de l’Etat-stratège est de faire baisser le nombre de demandeurs d’emplois. Son intérêt est donc d’utiliser les sociétés dans lesquelles il possède des participations (qui sont, rappelons-le, nombreuses) et de les inciter à mettre en place une politique de recrutement massive.
L’objectif de l’Etat-investisseur est d’assurer la rentabilité de l’agent public, ce qui revient à maximiser la rentabilité des entreprises dans lesquelles il a investi. Dans cette optique, la masse salariale doit être sous contrôle et les recrutements limités à leur strict nécessaire.
Ces deux positions sont clairement antagonistes. L’Etat doit donc arbitrer entre les deux stratégies sachant que tout déplacement du curseur entre rentabilité et effet politique ne peut être qu’un changement gagnant/perdant. Les circonstances du moment font que l’Etat privilégie l’une ou l’autre des stratégies.
Cette situation schizophrène se retrouve à l’identique sur les problématiques de soutien à l’innovation ou aux industries stratégiques en perte de compétitivité.
Dans ces secteurs, la politique industrielle est en opposition avec un objectif de saine gestion patrimoniale.
Le casse-tête est complet lorsque l’Etat se retrouve également client des entreprises – comme c’est le cas dans le secteur de la défense. Tous les principes d’une saine économie de marché sont mis à mal.
Une efficacité contestable
L’expérience de l’après-guerre l’a montré : hors des périodes de forte croissance, l’Etat-actionnaire a tendance à privilégier l’effet politique plutôt que l’effet économique. Les participations sont utilisées comme une arme pour mener à bien la politique du moment aux frais du contribuable.
Les entreprises dans lesquelles l’Etat est majoritaire au conseil d’administration se retrouvent finalement à suivre des stratégies contraires à leur intérêt !
Les dégâts peuvent être immenses. Pensez à EDF et Areva, pour ne citer qu’elles. Ces entreprises possèdent une excellence technologique que le monde nous a longtemps enviée. Elles ont de brillants techniciens, scientifiques et ingénieurs. Elles opèrent dans l’économie réelle et produisent des services utiles.
Pourtant, des années de gestion étatique en ont fait des entreprises-zombies qui ne parviennent pas à gérer leur capital en bon père de famille et vont de crise en crise. Quel gâchis !
Si vous avez le moindre doute quant à l’ampleur du problème, regardez plutôt le retour sur fonds propres des participations détenues par l’APE et la CDC, par opposition a celui des entreprises du SBF 120.
Source : Cour des Comptes d’après données APE, CDC et Euronext
Les chiffres sont clairs : les entreprises dont l’Etat est actionnaire font toujours moins bien que les autres entreprises cotées… et ce n’est pas nécessairement parce que l’Etat utilise ces entreprises comme des armes politiques.
Parfois, c’est tout simplement l’immobilisme qui prime. Les différentes facettes de l’Etat-actionnaire étant représentées par différents interlocuteurs au sein de l’entreprise, les conflits d’intérêt deviennent des conflits de personne. Au final, l’Etat ne tire plus réellement l’entreprise dans telle ou telle direction, mais devient un poids dans la gestion courante des affaires.
Or, vous le savez, l’efficacité est la clé de la rentabilité d’une entreprise ; que l’on parle des activités opérationnelles ou stratégique.
[NDLR : L’Etat n’est pas bon actionnaire ? Ce n’est pas votre cas : en suivant les recommandations d’Eric Lewin dans La Lettre PEA, vous mettez en portefeuille le meilleur des entreprises françaises. Sa dernière recommandation : une valeur du seul secteur qui profite de la remontée des rendements des obligations souveraines françaises. A découvrir sans attendre dans le nouveau numéro de La Lettre PEA]
2 commentaires
C’est l’évidence l’Etat est très mauvais gestionnaire.
Pourquoi ?
1) L’actionnaire principal court plusieurs lièvres à la fois parce que son but n’est pas la rentabilité de ses entreprises, mais de créer ou de maintenir des emplois.
2) Il nomme des fonctionnaires irresponsables comme gestionnaires, les remplace à chaque élection pour placer les copains et il se fiche des résultats car l’argent des contribuables, c’est l’argent de personne.
3) Tout le monde commande le bateau: les gérants-fonctionnaires, les politiques, les syndicats…
Et s’il existait une autre réponse qui montre que l’Etat ne gère rien parce que les vrais gestionnaires sont occultes, savent très bien ce qu’ils font et utilisent à volonté, les 3 premières explications pour s’enrichir sur le dos des autres.
Il suffit de penser au coût énorme des élections et aux contributions volontaires faramineuses de certains électeurs pour comprendre que ces personnes ne jouent pas de telles sommes par philanthropie. Plus tard, l’entreprise cible fait faillite, est rachetée ou pas par l’Etat, selon des conditions compliquées qui font apparaître des repreneurs généreux en apparence, mais avides de bénéfices … Alors s’ensuivent plans sociaux et ruine des petits actionnaires …
Il serait temps d’avoir un autre rapport à l’argent des contribuables et de surveiller mieux ce qu’on en fait.
Le problème n’est pas que l’Etat soit actionnaire ou non. Le problème est que l’Etat n’est pas gestionnaire.
On trouve dans le 100% privé autant d’exemples de mauvaises gestions dans des entreprises similaires à celles dans lesquelles l’Etat est actionnaire.
L’Etat ne s’implique pas et est laisser-fairiste sauf pour placer les copains dont l’incompétence est souvent flagrante (Areva…) ou pour ponctionner les résultats (EDF…). Les représentants de l’Etat dans les CA ne servent la plupart du temps qu’à valider les décisions du PDG en place même si elles vont à l’encontre de la bonne utilisation des capitaux publics.