Il y a 10 ans, de nombreux spécialistes voyaient en Ankara, la capitale turque, une future puissance et un acteur majeur à l’échelle mondiale. Mais la politique de Recep Tayyip Erdoğan semble avoir terni l’éclat de ce joyau en devenir…
Au fil des années, les observateurs de la politique turque ont commencé à s’habituer aux changements erratiques des choix politiques émanant d’Ankara.
Le haut degré de contrôle dont dispose le président Recep Tayyip Erdoğan sur les fonctions régaliennes de l’Etat – en particulier depuis la réforme constitutionnelle de 2017 – lui permet d’avoir les mains libres pour imposer les changements abrupts qu’il considère comme appropriés ou nécessaires. L’absence de contre-pouvoir institutionnel efficace face à son autorité est sur le point de faire basculer l’économie du pays dans un précipice.
Depuis 2018, le pays est embourbé dans une crise à plusieurs facettes. Cette dernière se caractérise par la stagnation, le chômage, des fluctuations spectaculaires du cours de la livre turque, une inflation galopante, une dégradation de la situation de la balance commerciale, un alourdissement du coût des emprunts et une augmentation des défauts de paiement des entreprises.
Un réel danger d’hyperinflation
Au sein de ce marasme, l’ingérence actuelle d’Erdoğan dans la politique de la banque centrale pourrait être le coup de grâce à l’origine d’un effondrement cataclysmique. Bien que les comparaisons habituelles avec l’hyperinflation qui a terrassé l’Allemagne de Weimar relèvent souvent de l’hyperbole, dans le cas de la Turquie, le danger est bien réel.
L’insistance d’Erdoğan concernant l’idée qu’une augmentation des taux d’intérêt de la banque centrale aurait pour effet une accélération de l’inflation, c’est-à-dire l’exact opposé de l’orthodoxie économique, a poussé la banque centrale de Turquie à réduire ses taux à quatre reprises en quatre mois, alors même que l’inflation continuait de s’aggraver.
Comme le montre le graphique ci-dessous, les investisseurs internationaux ont fui la livre turque, tout comme de nombreux épargnants turcs, et la valeur de la livre a nettement décliné.
Cours de la lire turque en dollars
Le redressement soudain de la livre turque suite à l’annonce mi-décembre par Erdoğan d’un plan de protection des dépôts bancaires n’est qu’un mirage qui n’aura été efficace que jusqu’à la fin du mois de décembre.
Bien que les consommateurs et les entreprises aient redéposé près de 3 milliards de livres dans les banques turques, la remontée de la livre s’explique en réalité avant tout par l’intervention de la banque centrale. Celle-ci, par le biais des banques publiques et de ses opérations sur le marché interbancaire, s’est engagée dans le rachat de livres turques pour une valeur de plus de 7 Mds$ en l’espace de seulement deux jours.
Comme dans toute situation de crise monétaire, la banque centrale vide donc ses réserves de change afin de soutenir le prix de la livre turque. Lorsque ce soutien prendra fin, comme c’est presque toujours le cas, personne ne peut prédire à quel niveau la livre chutera. Pour paraphraser Ernest Hemingway, le processus sera d’abord graduel, puis brutal.
Le président rejette toute responsabilité
Sur le plan de la politique intérieure, Erdoğan a rejeté la responsabilité de la série de crises qu’a traversé le pays sur les pays étrangers hostiles qui ont imposé des tarifs douaniers sur les marchandises turques, dont ceux promulgués par les États-Unis en 2018. Il incrimine aussi sur une cabale bancaire mondialiste perfide.
Reste à voir s’il parviendra ou non à convaincre les électeurs de la classe moyenne turque (encore nombreux et éduqués) que tel est véritablement le cas lorsqu’ils déposeront leur bulletin de vote en 2023. Les premiers indicateurs ne lui sont pas favorables. En 2019, son parti, l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi, ou Parti de la justice et du développement), a subi sa pire défaite électorale depuis qu’Erdoğan a pris les rênes du parti en 2003, perdant le contrôle d’Istanbul et d’Ankara lors des élections municipales.
La coalition électorale d’Erdoğan a changé progressivement au cours de ses deux décennies au pouvoir. Cependant, l’AKP a toujours eu pour principal soutien les musulmans orthodoxes, les communautés rurales et les plus pauvres. Il a même cité récemment, parmi ses arguments pour la baisse des taux d’intérêt, l’interdiction de l’usure par le Coran.
Lorsque Erdoğan était Premier ministre (de 2003 à 2014), la Turquie a connu une expansion spectaculaire de son économie et de l’État-providence. Cette politique – et plus généralement le succès économique du pays – ont naturellement rendu Erdoğan et l’AKP extrêmement populaires.
Cependant, la croissance de l’économie était déséquilibrée. Des déficits structurels importants se sont accumulés au fur et à mesure que les dépenses de l’Etat ont augmenté, entraînant une dépendance accrue vis-à-vis des marchés financiers internationaux.
Copinage et corruption
Plus particulièrement, depuis son élection à la présidence, alors que ses projets de réformes piétinaient et que ses mésaventures en politique étrangère s’accumulaient, le copinage et la corruption sont devenus plus répandus, tout comme les poursuites judiciaires à l’encontre des personnes jugées hostiles au régime.
La poursuite de l’effondrement de la livre, lourdement dépendante de subventions publiques de plus en plus inabordables, rendra prohibitifs les prix des intrants importés qui sont nécessaires au fonctionnement l’économie turque.
Malgré les espoirs d’Erdoğan, la balance commerciale de la Turquie continuera à se dégrader malgré la dévaluation de la livre, car la paralysie économique causée par l’inflation que son ingérence continuelle a provoquée anéantira la capacité de production aussi bien du secteur privé que public. Il s’ensuivra un chômage de masse.
Il y a dix ans, de nombreux prévisionnistes spécialisés en géopolitique et en géoéconomie avaient prédit qu’Ankara deviendrait la puissance dominante au niveau régional et un acteur majeur à l’échelle mondiale. Grâce aux atouts que lui procure sa position géographique et à son appartenance à l’OTAN, le pays bénéficiait d’une grande flexibilité stratégique, d’une économie dynamique ainsi que d’une population relativement jeune et éduquée. Cette population entretenait de grands espoirs, mais elle est allée de déception en déception.
S’il continue sur cette voie, Erdoğan et l’AKP risquent fort d’essuyer un échec aux élections de 2023. Que la tentative de coup d’État de 2016 qu’Erdoğan prétend avoir repoussée soit réel ou inventée, emmuré dans son palais de mille pièces (construit au prix de plusieurs centaines de millions de dollars), on peut se demander si une armée payée de plus en plus en monnaie de singe sera prête à arrêter, voire à abattre, ses compatriotes en cas de tentative de renversement d’un régime de plus en plus impopulaire.
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.
1 commentaire
il y a donc un risque de guerre cmpensant cett chute economique russe, si elle existe durablement et turque donc est et sud-est de l’Europe !