▪ Avez-vous déjà assisté à une éclipse totale lunaire ou solaire ? Durant les quelques instants où les deux planètes se superposent parfaitement, votre correspondante ne peut s’empêcher d’avoir un petit frisson : et si rien ne bougeait plus jamais ? Si les choses restaient en l’état, un astre caché par l’autre, dans une nuit éternelle ? Je vous l’accorde, cher lecteur, c’est une possibilité assez limitée… et j’ai sans doute un peu trop d’imagination.
Les marchés boursiers aussi ont beaucoup d’imagination, qui les pousse à réfléchir et agir de manière parfaitement irrationnelle. Parfois ils se laissent entraîner à une exubérance détachée de tout fondement économique ou financier… et parfois, c’est l’inverse : ils sont persuadés que l’éclipse durera éternellement, que l’économie ne se relèvera jamais, que tout est perdu… que c’est "la mort des actions", comme le rappelait Bill hier.
Evidemment, c’est à ce moment-là que tout bon investisseur contrarien devrait se positionner. Malheureusement, nous expliquait Eric Fry un peu plus tôt dans la semaine, nous n’en sommes pas encore là. Au contraire, même : "l’adage ‘les actions pour le long terme’ pourrait encore être une bonne stratégie d’investissement… mais le long terme ne fait que rallonger", dit Eric. "Ne vous méprenez pas : nous aimons les actions. Mais nous les aimons moins quand elles sont surévaluées ou quand les tendances économiques sous-jacentes sont mal en point".
"Or", continue mon collègue californien, "il se trouve que les actions sont surévaluées ET que les tendances économiques sous-jacentes sont mal en point. Cela n’a rien d’idéal. Très peu d’entreprises annoncent une croissance des bénéfices sans annoncer aussi des réductions de coûts. En d’autres termes, la ‘croissance’ est étroitement liée à la réduction".
▪ Frédéric Laurent, rédacteur en chef de Vos Finances, a les mêmes doutes. "Certes, nous devons bien le reconnaître, la reprise semble là", admettait-il dans son dernier éditorial en date, avant de poursuivre : "du moins, CERTAINS chiffres s’améliorent. Mais ce n’est pas suffisant pour nous rassurer. Après la décroissance qu’ont connue tous les pays, doit-on considérer le retour d’une légère croissance comme surprenant ? Surtout gardons bien à l’esprit que cette ‘reprise’ a été impulsée par une politique monétaire fort accommodante. Cette ‘reprise’ n’est donc que le reflet d’un argent public largement investi. En conséquence, nous ne pourrons véritablement parler de reprise qu’au moment où l’investissement public sera remplacé par de l’investissement privé — en d’autres termes de l’investissement d’entreprise. Ce n’est actuellement pas le cas. Loin de là".
Loin de là en effet… Mais si l’on en juge par la réaction des marchés aux deux vagues mesures de "durcissement" qui ont eu lieu ces derniers jours (la Chine a mis un coup d’arrêt à ses prêts, tandis qu’Obama annonçait un "gel" des dépenses gouvernementales), il se pourrait que nous ayons atteint un tournant — et nous pourrions voir les actions bien moins surévaluées dans un avenir relativement proche.
Pour l’instant, en d’autres termes, les marchés ont encore leurs lunettes fumées sur le nez ; ils admirent le spectacle de l’alignement des planètes en faisant des oooh et des aaaah. Certains ressentent peut-être un brin de malaise, se demandant jusqu’à quand tout ça va durer… mais donnez-leur encore un peu de temps, et ils pourraient tous se mettre à courir dans les rues en criant à la fin du monde.
A ce moment-là, cher lecteur… il sera temps d’envisager d’acheter des actions !
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora