▪ Il y a deux semaines environ, Wired Magazine a rapporté qu’une attaque de drones américains au Pakistan avait fait huit morts. C’était la sixième attaque de drones par les Américains au Pakistan en huit jours, avec au moins 35 personnes tuées selon les rapports.
(Soit dit en passant, il ne faut pas oublier que le nombre de civils tués par des attaques de drones est certainement plus élevé qu’on ne le dit. Sous la définition de « frappe signature » (signature strike) créée par le gouvernement Obama, tout adulte mâle proche d’un terroriste ou d’un militant connu [ou suspecté] est une cible autorisée. Après tout, si vous vous trouvez à 20 mètres d’un terroriste, vous êtes sans doute vous-même un terroriste. Par conséquent votre mort n’est pas enregistrée comme perte de civil).
Naturellement, tout le monde ne s’oppose pas à l’utilisation des drones. Mais les précédents que l’administration Obama est en train de créer auront des ramifications à long terme sur la façon dont les autres nations utiliseront les drones. Les Américains ne seraient sans doute pas ravis de voir des pays ennemis utiliser les drones « à la manière américaine ».
Utiliser des drones Predator pour exterminer des terroristes présumés à des milliers de kilomètres de chez soi est un procédé « extrajudiciaire », c’est-à-dire qu’une poignée de personnes au-dessus du lot décident qui mérite d’être tué. Depuis son arrivée au pouvoir en 2008, Obama a largement étendu l’usage des drones initié par George Bush. On a compté plus de 300 attaques de drones américains depuis 2008, avec 2 500 victimes estimées.
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Si l’on n’entend guère parler de la guerre des drones, c’est parce que cette guerre a l’appui des deux partis aux Etats-Unis. Peut-être parce que l’imaginaire populaire à propos des drones est si délicieusement high-tech et antiseptique. Selon cet imaginaire, les drones volent de manière invisible dans les hauteurs célestes d’où ils conduisent des « exécutions ciblées » et chirurgicales des méchants. Mieux encore, les drones opèrent toutes leurs mises à mort précises et stratégiquement essentielles sans avoir à « toucher terre ».
Assurément, il y a beaucoup d’objections de principe contre l’usage des drones dans une guerre. Mais il y a également au moins une objection logique et pratique : l’avantage américain dans la technologie des drones n’est que temporaire, tandis que le précédent créé en envoyant des drones au-delà des frontières pour faire pleuvoir la mort sur des personnes sélectionnées est permanent.
Bientôt, tout le monde utilisera des drones… pour tuer qui il voudra. Toutefois, il nous semble qu’un problème encore plus grave est en jeu : l’automatisation et la mécanisation toujours plus grandes de notre vie quotidienne. Les drones n’en sont qu’un exemple.
▪ Une capitulation générale de la pensée
Qu’est-ce qu’un algorithme de trading si ce n’est une autre sorte de drone financier ? Les traders haute fréquence mènent des attaques de drones sur le marché tout le temps. Certes, personne ne meurt lorsqu’un algorithme furtif frappe le marché boursier. Mais il fait beaucoup de victimes collatérales. Certains investisseurs perdent de l’argent pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la valeur ou avec l’investissement long terme. Ils sont simplement au mauvais endroit au mauvais moment.
Plus important encore, le cours des titres boursiers n’est plus déterminé en fonction de ce qu’ont décidé des hommes qui réfléchissent. Au lieu de cela, les cours sont déterminés par des machines.
Je suppose que ce qui nous inquiète est la capitulation générale de la pensée active dans tant de sphères de notre vie. C’est comme si les gens renonçaient à la pensée critique. Ou alors, ils sont trop occupés à regarder des écrans toute la journée (ordinateur, télévision, appareils mobiles) pour consacrer une pensée à des problèmes plus difficiles, du genre : les algorithmes prennent en otage le « marché libre » ou les agences de sécurité d’Etat utilisent des machines pour tuer des gens sans penser une seule seconde aux conséquences sur le long terme.
Mais, comme le montre un article paru dans Scientific American, les grands cerveaux nécessitent un métabolisme riche ! Ce n’est pas simplement que nous n’avons pas le temps de réfléchir à des sujets graves. Nous n’avons probablement pas l’énergie pour cela non plus ! L’étude montre que chez les êtres humains, plus le cerveau est gros, plus le système digestif est petit (par rapport aux autres animaux). Pour moi, cela revient grosso modo à faire un choix entre réfléchir et se goinfrer d’un paquet de chips… et réfléchir ne semble pas être très souvent l’option choisie.
L’énergie est la clé de tout n’est-ce pas ? Même le capital est une sorte d’énergie stockée, dans la mesure où le dépenser donne du mouvement aux ressources dans le monde réel. Si le monde reste dans une dépression du crédit ou entre dans une dépression de la dette souveraine, le « capital-énergie » deviendra encore plus important.
Il y a encore beaucoup à dire sur le sujet — comme nous le verrons dès lundi.