L’expérience américaine rappelle une vérité économique intemporelle : ce sont toujours les citoyens – consommateurs, salariés ou actionnaires – qui financent les ambitions politiques.
Les droits de douane mis en place aux USA au premier trimestre commencent à avoir des effets sur l’économie mondiale. Ils n’étonneront pas les économistes, qui prévoyaient dès les annonces initiales de Donald Trump les conséquences néfastes qu’auraient les nouvelles barrières douanières.
Comme par le passé, la volonté autarcique de Washington affecte tant les acteurs économiques situés aux USA que leurs partenaires commerciaux. Et comme anticipé, ce sont in fine les consommateurs américains qui font les frais de ce qui n’est, au niveau macro-économique, qu’un prélèvement supplémentaire sur le pouvoir d’achat des ménages.
A l’heure où l’Europe prévoit d’ériger à son tour de nouvelles barrières douanières à l’encontre des USA et de la Chine, pour « punir » leurs dirigeants respectifs, l’effet bien mesurable des droits de douane américains doit servir de piqûre de rappel.
Nos dirigeants seraient bien inspirés de se souvenir que les barrières douanières sont une arme politique, pas un outil économique. A l’instar de l’impression monétaire, ce sont toujours les citoyens qui en payent le prix en termes de pouvoir d’achat – pour un bénéfice politique souvent discutable.
A domicile, le retour de la stagflation
Les prix à la consommation ont recommencé à augmenter en juin aux USA. Le CPI américain a progressé de 0,3 % le mois dernier, soit une hausse de 2,7 % en rythme annuel. La hausse atteint les 2,9 % pour l’indice hors alimentation et énergie, pris comme référence pour déterminer l’état de surchauffe de l’économie.
Cette inflexion haussière, qui porte l’inflation bien au-delà de la cible des 2 %, tombe particulièrement mal pour Washington. L’administration n’a eu de cesse, ces derniers mois, de tancer la Fed pour la timidité des baisses de taux d’intérêt. La guerre médiatique entre Donald Trump et Jerome Powell est désormais totale. Le mois dernier, le président menaçait de désigner en avance le futur patron de la Fed, pour rendre les décisions de Jerome Powell inaudibles. La semaine dernière, Donald Trump est allé encore plus loin en menaçant de révoquer le patron de la banque centrale avant la fin de son mandat.
Les chiffres donnent pourtant raison à Jerome Powell, qui plaide depuis le printemps pour la prudence en matière de taux directeurs. Le patron de la Fed avait indiqué que les droits de douane risquaient, en interrompant l’effet déflationniste bien connu de la mondialisation, de faire repartir la valse des étiquettes.
C’est exactement ce qui s’est produit.
Avec la mise en place du tarif douanier universel de 10 % au début du printemps, assorti de taxes punitives sur certains produits, les distributeurs ont été contraints de monter leurs prix de vente une fois les stocks existants épuisés. Cette hausse, qui commence à faire grincer des dents dans la grande distribution, n’en est pourtant qu’à ses débuts avec l’arrivée des nouveaux droits qui seront imposés à partir du 1er août à l’Europe, au Canada, et au Mexique.
A l’étranger, le monde s’organise sans les USA
Ce coût important pour les consommateurs pourrait être considéré comme le prix à payer dans le cadre de la guerre commerciale contre la Chine. Après tout, dans ces guerres hybrides comme dans les conflits armés, les populations acceptent de sacrifier leur niveau de vie pour nuire à l’ennemi du moment.
Mais même cet objectif n’a pas été atteint.
Au deuxième trimestre 2025, l’économie chinoise est loin d’avoir calé. Le PIB de la deuxième économie mondiale a progressé de 5,2 % en rythme annuel, porté par une hausse des exportations. Alors que la consommation intérieure reste atone et que les prix à la consommation sont même entrés en territoire déflationniste (une situation diamétralement opposée à celle de l’Amérique du Nord), les usines chinoises ont tourné à plein régime pour répondre à la demande internationale.
Donald Trump a eu beau jeu d’augmenter les taxes à l’importation jusqu’au niveau ubuesque de 145 %, les producteurs Chinois ont simplement cessé de vendre aux acheteurs américains. Leurs produits ont trouvé preneur en Asie du Sud-Est et en Europe, et l’excédent commercial chinois a même atteint le record de 115 milliards de dollars sur le mois de juin. La taxe sur les produits chinois n’a pas fait disparaître les usines de l’Empire du milieu. Les lignes de production tournent toujours : les biens partent simplement vers d’autres consommateurs.
Tout le monde paye pour renflouer l’Etat
Récemment, le patron de Boeing s’est ému des coûts engendrés par les nouvelles taxes sur l’aluminium et les produits importés d’Europe. Alors que Donald Trump se pose en champion de l’industrie américaine, et qu’il espérait favoriser l’avionneur de Seattle par rapport à son concurrent Airbus, la réalité est que même les avions Boeing dépendent aujourd’hui de la mondialisation. Bien loin de se féliciter des mesures protectionnistes, le P-DG de Boeing Kelly Ortberg a même indiqué publiquement que les hausses de prix sur les avions seraient si importantes qu’elles « ne pourraient pas être acceptées par les compagnies aériennes ». En d’autres termes, l’addition ne sera pas réglée uniquement par le consommateur final (le client qui voyage en avion) : même Boeing et ses actionnaires pâtiront des mesures censées favoriser cette industrie en devant diminuer leurs marges.
Ceux qui pensent que disposer d’un patrimoine important leur permettant d’acheter des actions les mettra du côté des gagnants en seront pour leurs frais. Les barrières douanières ne font que des perdants dans la sphère économique et un seul gagnant : l’Etat.
Car comme toujours en matière financière, le changement de règles du jeu est surtout un transfert de richesse. S’il est prouvé qu’à long terme, les mesures isolationnistes ont un effet dépresseur sur l’économie dans son ensemble, elles permettent surtout à court terme de faire main basse sur des sommes colossales.
Alors que les taxes à l’importation rapportaient un peu moins de 8 milliards de dollars par mois lors de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, le montant avait déjà doublé en avril, dépassant les 16 Md$. Au mois de juin, les douanes ont collecté plus de 27 milliards, portant le total annuel à 113 Md$. Ces sommes ne disparaissent pas : elles sont directement reversées au budget fédéral.
Le mouvement de démondialisation impulsé par Washington coûte cher à l’économie réelle. Citoyens, consommateurs et entreprises voient leur pouvoir d’achat réel diminuer au profit du budget de l’Etat. La mécanique se reproduit, en 2025, à l’image des mouvements protectionnistes du siècle dernier… et elle donnera les mêmes effets si elle venait à être appliquée en Europe.