Pourquoi le FMI est nul et ignore la prochaine crise
Bonjour,
▪ « L’Irlande est ruinée », a dit notre chauffeur de taxi.
Nous aimons interroger les chauffeurs de taxis sur l’état de l’économie. Ce n’est pas qu’ils en sachent plus long que l’économiste moyen, mais ils parlent aux gens. Sans caméras ou dictaphones en arrière-plan. Et ils ont leur propre entreprise. Lorsque tout va bien, les gens prennent le taxi. Lorsque les temps sont durs, ils prennent le bus.
« Mon p***** de revenu a été divisé par deux. La majeure partie de mes courses, ce sont des gens qui sont en voyage d’affaires… ou des gens qui vont travailler. Mais en ce moment, qui fait des affaires ? Qui travaille ? »
« Les promoteurs immobiliers et les banquiers ont ruiné le pays. Ils ont fait grimper les prix. Ensuite, qu’a fait le gouvernement ? Ils n’en ont pas la moindre idée. Le gars à la tête des affaires financières irlandaises est un ancien instituteur. Je n’ai rien contre les instituteurs, mais que sait-il de la finance ? Et le voilà en train de négocier avec les Allemands ».
« Les Allemands, eux, ils savent ce qu’ils font. Ils ne veulent pas financer nos erreurs. Qui pourrait leur en vouloir ? »
De bien des manières, la Grande Correction frappe l’Irlande plus durement que les Etats-Unis. Les Irlandais ont beaucoup trop construit et emprunté… et se sont perdus au pays des rêves.
« Nous sommes des rêveurs, je suppose. Et des conteurs. C’est une histoire de statut, en Irlande. Entrez dans un bar. Cherchez le gars qui a le plus de personnes autour de lui. C’est lui, le grand homme du coin. Pas le docteur. Pas le politicien. Pas le millionnaire ».
« Nous sommes des rêveurs et des conteurs… et nous finissons par croire à nos propres histoires ».
Les Irlandais rêvent grand. La république n’est pas assez grande pour eux. Ils vont donc à l’étranger. Ils ne sont plus que quatre millions sur leur île. Quelque 60 millions de leurs descendants — la diaspora irlandaise — vivent aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Argentine et ailleurs. Votre correspondant est l’un d’entre eux.
Pour la première fois depuis plus d’une décennie, les Irlandais émigrent à nouveau.
« Si vous êtes un jeune intelligent, que faire d’autre ? C’est triste pour les familles. Mais l’Irlande n’a rien à leur offrir. Ils doivent partir. Et généralement, ils ne reviennent pas ».
▪ Nous sommes allé ouvrir un compte à la Bank of Ireland.
« Ils ont dû être contents de vous voir », nous a dit un collègue. « Vous devez être la première personne à ouvrir un compte depuis des années. Le reste d’entre nous sort son argent. Toutes les banques d’Irlande sont insolvables, et tout le monde le sait ».
« En tout cas, il n’y avait pas de file d’attente », avons-nous répondu.
Nous sommes arrivé aux portes de la banque à 10h00 du matin. Nous avons sonné (la banque n’ouvrait pas avant 10h30, mais nous avions rendez-vous). Un homme âgé, d’allure digne, portant pull-over et cravate, a ouvert la lourde porte de chêne.
Nous avons dit pourquoi nous étions là.
« Ah, oui… elle vous attend ».
Devant nous se tenait une jolie femme d’une trentaine d’années. Bien habillée, bien coiffée.
« Est-ce que je perdrai de l’argent si la banque fait faillite ? » avons-nous demandé.
« Ha ha… aucune chance que ça arrive », nous a-t-elle répondu, avec l’air d’intense sincérité qu’on associe généralement aux vendeurs d’aspirateurs et aux fous furieux. « Je suppose qu’on pourrait dire que nous sommes déjà insolvables, techniquement. Mais nous avons un accord avec la Banque centrale européenne. Nous avons une ligne de crédit. Nous ne ferons pas faillite. Et même si cela arrivait, votre argent est protégé par un programme du gouvernement irlandais couvrant les déposants à hauteur de 100 000 euros ».
« Mais le gouvernement irlandais n’est-il pas insolvable lui aussi ? »
« Ha ha… eh bien, je suppose que oui. Techniquement. Mais c’est pareil pour votre gouvernement américain, non ? Enfin, c’est juste techniquement. Le système tout entier ne va pas faire faillite. Nous sommes soutenus par l’Europe. Et l’Europe ne veut pas que l’Irlande fasse faillite.
Elle avait raison sur ce sujet. L’Europe ne veut pas que l’Irlande fasse faillite. Parce que les dettes de l’Irlande sont le crédit des banques allemandes et françaises. Si on laissait l’Irlande faire défaut sur ses dettes, toute l’affaire tomberait en pièces.
L’Irlande ne peut pas emprunter sur le marché libre. Les prêteurs ne sont pas idiots. Les Irlandais empruntent donc aux autorités financières européennes. Les taux bas permettent de maintenir à flot les ménages irlandais. La plupart des prêts immobiliers, en Irlande, sont à taux variables. Si on les laissait varier vers le haut, au niveau du marché, les ménages, les banques et le gouvernement irlandais couleraient tous.
Pour l’instant, l’Europe prête aux autorités irlandaises à des taux bas… si bien qu’elles peuvent empêcher que leurs banques et leurs électeurs fassent faillite. Les banques, à leur tour, sauvent leurs créditeurs de la faillite. Tout le système, en Europe aussi bien qu’aux Etats-Unis et au Japon, dépend d’un flux continu d’argent facile artificiellement bas.
Et tout le monde semble penser que ce flux d’argent bon marché peut se continuer indéfiniment.
Bienvenue dans l’économie politique moderne… Les petits problèmes isolés sont amalgamés en problèmes de plus en plus grands. Le danger ne tarde pas à affecter non plus une banque… ou même une nation… mais le système tout entier.
Nous ne savons pas quand ça cessera. Nous ne savons pas exactement ce qui le fera cesser, non plus. Mais nous sommes certain qu’il y a des profits à faire en misant dessus.
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Les larmes de crocodile de la Banque mondiale
▪ Rien de neuf sous le soleil. La terrifiante inflation des prix, grâce à la monstrueuse inflation de la masse monétaire causée par la Réserve fédérale et sa création d’une Sacrée Quantité d’Argent (SQA) ces dernières décennies, m’a poussé à m’aventurer vers le dangereux précipice qui sépare le fait d’être simplement bizarre et odieux de celui d’être un fou furieux hurlant depuis le toit : « nous sommes tous foutus ! »
Bien entendu, je tonne également : « achetez de l’or et de l’argent ! Achetez de l’or et de l’argent ! Achetez de l’or et de l’argent ! » jusqu’à ce que ma voix s’éraille et que ma gorge me fasse mal — mais ces paroles de sagesse et de salut financier se perdent dans les rugissements de la foule assemblée, qui crie « vas-y, saute ! », et j’essaie de crier assez fort pour leur dire qu’ils se trompent entièrement et que « je n’ai pas la moindre intention de me jeter dans le vide, bande de crétins ! Mais si vous n’achetez pas d’or et d’argent-métal contre l’horrible inflation de prix déchaînée par la Réserve fédérale, alors, de manière assez ironique, c’est VOUS qui allez tout droit à la mort financière ! Hahaha ! Allez au diable, tous autant que vous êtes ! »
J’ai même jeté quelques exemplaires de l’essai A Vale of Dollars, par Joel Bowman, du Daily Reckoning, dans lequel il écrit : « selon des données publiées par la Banque mondiale, les prix de la nourriture ont grimpé de pas moins de 15% entre octobre et janvier. L’indice alimentaire de la Banque mondiale n’est plus qu’à 3% de son record de 2008 ».
Cette révélation a fini par causer des discussions parmi les quelques membres de la foule sachant lire, et les appels à me voir sauter ont commencé à s’affaiblir tandis que les gens commençaient à parler des coûts de l’alimentation et du carburant.
En ce qui me concerne, je me suis tu lorsque M. Bowman a noté que « ce pic des prix a poussé » le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, à sortir, je suppose, de la brume néo-keynésienne qui embrouille son apparente stupidité congénitale pour remarquer que « les prix mondiaux de l’alimentation grimpent à des niveaux dangereux et menacent des dizaines de millions de pauvres ».
Pour commencer, je dois dire que M. Zoellick fait une nouvelle fois preuve d’un manque total et stupéfiant du sens des réalités en estimant — c’est risible — que « des dizaines de millions » de personnes subiront la hausse des prix de l’immobilier, parce que ce chiffre sera en fait 10 fois plus élevé au moins, voire cent fois, ou même (plus probable) des centaines de fois plus élevé que cette estimation ridiculement basse, dans la mesure où tout le monde sur Cette Foutue Planète (CFP) sera, à un degré ou à un autre, affecté par l’inflation des prix de l’alimentation puisqu’il y a très très peu de gens sur la Foutue Planète sus-mentionnée n’étant absolument pas affectés par une montée en flèche des prix de l’alimentation.
Et donc, une fois encore, quel crétin ! Même si c’est ce qu’on peut attendre de lui, puisqu’il a allègrement participé à toute cette folie monétaire depuis le début, de manière à être une cause directe de la misère économique mondiale !
Dommage que M. Zoellick n’ait pas anticipé tout ça, comme l’avait fait la Théorie autrichienne des cycles économiques il y a des années de ça en disant quelque chose comme « les masse monétaires mondiales grimpent à des niveaux dangereux et menacent des dizaines de millions de pauvres », même si, même à l’époque, ça aurait été un grossier euphémisme, mais sur la bonne voie, quand même.
▪ Au cas où vous penseriez que j’ai une si mauvaise opinion de M. Zoellick parce que je suis de nature intrinsèquement haineuse, la lettre Daily Bell a demandé à John Perkins, auteur du best-seller Les confessions d’un assassin financier, son opinion sur la Banque mondiale.
A quoi il a répondu : « la Banque mondiale est l’outil d’assassins financiers, cela ne fait aucun doute. C’est l’outil des grandes corporations, du FMI et d’une bonne partie des services de renseignements américains, la CIA et la NSA. En gros, le travail de toutes ces organisations est d’aider ce qui n’étaient que des entreprises américaines — que nous appelons désormais des multinationales — à s’établir dans le reste du monde de manière à pouvoir exploiter les ressources planétaires — naturelles et humaines ».
Et voilà que M. Zoellick verse des larmes de crocodile sur les pauvres qui doivent payer des prix plus élevés après que lui, un éminent banquier, a encouragé et favorisé la création de tout l’excès monétaire permettant de financer la prise de contrôle des « ressources planétaires — naturelles et humaines » qui a fait grimper les prix ? Hahahaha ! Non, vraiment, c’est trop ! Hahahahaha !
M’essuyant les yeux, je note que cette sorte de traîtrise de la part des banques et des banquiers est ce qui, je suppose, a poussé George Bernard Shaw à dire : « il faut choisir entre faire confiance à la stabilité naturelle de l’or et à la stabilité naturelle de l’honnêteté et de l’intelligence des membres du gouvernement. Et, avec tout le respect que je dois à ces messieurs, je vous conseille, tant que dure le système capitaliste, de voter pour l’or ».
Et c’est aussi ce qui me pousse à dire : « achetez de l’or, de l’argent-métal et des actions pétrolières lorsque votre gouvernement stupide permet à la démoniaque Réserve fédérale de continuer à créer des quantités vertigineuses d’argent, semaine après semaine, mois après mois, année après année, décennie après décennie ! »
Et tandis que M. Shaw tout comme moi sommes d’accord pour dire qu’acheter de l’or est LA chose à faire, il n’y a hélas pas de preuve montrant M. Shaw disant : « youpi ! Investir c’est facile » — même si je pense qu’il serait au moins d’accord sur le fait que c’est facile ! Youpi !
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Le soleil se lève… un signal de hausse incontestable pour Wall Street
▪ Nous avions annoncé avant-hier que Wall Street, privé de sa dose quotidienne de LSD, avait brutalement repris contact avec la réalité macro-économique, les turbulences géopolitiques, l’inflation, la perte de crédibilité de Ben Bernanke aux yeux de nombreux élus du Congrès…
Cet état de fait ne pouvait durer plus de 24 heures. Le mot d’ordre ce jeudi fut : « double dose pour tout le monde ».
La moindre rumeur invérifiable, la moindre fausse bonne nouvelle a déclenché des effets psychédéliques. Un délire collectif haussier s’est emparé des marchés américains : ils tutoient de nouveau leur zénith annuel avec un baril qui a bondi de très exactement 15% en 10 jours, passant de 84,5 $ à 102 $.
▪ Des commentateurs parlent de signaux d’apaisement au Maghreb. Pourtant, l’incertitude la plus grande règne sur l’avenir géopolitique du vaste croissant formé par la Tunisie, la Libye et l’Egypte.
La Tunisie est régulièrement secouée par des émeutes et n’a plus de gouvernement.
La Libye s’enfonce dans la guerre civile. Certains expliquaient la hausse de Wall Street jeudi par l’imminence d’une médiation d’Hugo Chavez, un grand ami des Etats-Unis — à moins que ce ne soit de Fidel Castro et du numéro un iranien Ahmadinejad.
L’Egypte est en train de s’effondrer économiquement. La Bourse du Caire, close depuis le 27 janvier, restera fermée sine die, démentant le projet de réouverture prévue ce dimanche.
Rien que de bonnes nouvelles qui détendent l’atmosphère !
▪ Inutile de s’étendre sur le volet géopolitique. Wall Street avait envie de monter et rien ne pouvait empêcher qu’il en soit ainsi. C’était évident depuis le début de la matinée de jeudi en Europe, avec des futures affichant +1% d’entrée de jeu.
Nous avions observé depuis mercredi la propagation de rumeurs évoquant d’excellents chiffres de l’emploi (+200 000 postes au lieu de 36 000 en janvier) à paraître ce vendredi aux Etats-Unis, avec l’anticipation d’un chômage à 9%.
L’hypothèse était certes rendue crédible par l’enquête ADP publiée la veille… mais c’est une motivation à l’achat qui demeure de l’ordre du subjectif. Dans un marché rendu méfiant par la hausse des taux ou la cherté de l’énergie, cela ne peut suffire à déclencher une envolée de 1,7% en moyenne des indices américains.
S’agissant du repli du pétrole, ce prétexte favorisant un regain d’optimisme tenait la route en matinée, avec un fléchissement jusque sur 100,5 $. Cependant, le baril de WTI est remonté en flèche vers 102 $ dans l’après-midi sans que les indices US n’accusent le coup. Dans ces conditions, comment ne pas envisager que la hausse de Wall Street ait été savamment orchestrée depuis 48 heures, histoire de rattraper une mauvaise entame de mois de mars ?
Le Dow Jones a gagné 1,59% (soit près de 200 points à 12 260). Le Nasdaq a engrangé 1,84% à 2 798 points. Le Standard & Poor’s 500 affiche quant à lui un score fleuve de 1,72%, à 1 331 points, avec 90% de ses composantes en hausse. Pour l’ensemble des indices américains, il s’agit de la meilleure performance depuis le 2 décembre 2010.
Rarement les chiffres hebdomadaires de l’emploi n’auront (prétendument) déclenché un tel vent d’euphorie depuis septembre dernier. Les mauvais scores étaient souvent mieux accueillis dans la mesure où ils garantissaient que la Fed mènerait le « QE2 » jusqu’à son terme. La faiblesse du marché de l’emploi était en effet sa principale excuse pour présenter l’inflation comme une menace secondaire, la priorité étant la consolidation de la reprise économique.
Pour la dernière semaine de février, le nombre de nouveaux chômeurs aux Etats-Unis a chuté de 20 000, à 368 000. Il est tombé à son plus bas niveau depuis fin mai 2008, d’après le département du Travail US.
▪ Les spécialistes des marchés obligataires n’ont pas manqué de réagir également — mais avec beaucoup moins d’enthousiasme que Wall Street — à la progression vers 59,7 d’un indice ISM des directeurs d’achat en février « meilleur que prévu ».
Le rendement des T-Bonds à 30 ans s’est tendu vers 4,65% ; le 10 ans affichait 3,57%. Les taux longs ne sont pas loin de franchir des seuils techniques décisifs comme 3,65% sur le 10 ans et 4,75% sur le 30 ans.
▪ Malgré cette hausse de sa rémunération, le dollar a lourdement rechuté et inscrit un nouveau plancher annuel de 1,3960 face à l’euro. La monnaie unique s’est envolée de 1% vers 14h20, en réaction à une réponse de J.-C. Trichet faite à un journaliste. Il a affirmé « qu’une hausse de taux lors de la prochaine réunion de début avril est possible mais non certaine… ce qui ne constituerait pas l’amorce d’un cycle de renchérissement du loyer de l’argent ».
Le patron de la BCE tempère ce balisage d’un resserrement limité de la politique monétaire par une nécessaire prise en compte de la situation géopolitique et des difficultés de certains pays très endettés en Europe. Comme on pouvait s’y attendre, l’Irlande va bénéficier d’une ristourne sur le taux du prêt qui vient de lui être consenti.
Les Etats-Unis sont eux condamnés à une fuite en avant concernant leur politique de taux artificiellement bas. La facture du service de la dette s’alourdit semaine après semaine — Ben Bernanke qualifie le financement des muni-bonds de « défi effrayant ».
Le Congrès US a voté mercredi une extension des déficits… afin que les fonctionnaires ne soient pas massivement mis au chômage technique au cours des prochaines semaines.
La conjoncture américaine vous paraît-elle meilleure aujourd’hui qu’il y a 15 jours ?
Si vous répondez oui : achetez des actions (peu importe la hausse des taux longs, au contraire, c’est un signe de bonne santé économique).
Si vous répondez non… achetez encore plus d’actions, car la hausse de la veille est seule garante de celle du lendemain : si Wall Street arrête de pédaler, le vélo tombe.
Wall Street a donc grimpé tous azimuts: Caterpillar, Bank of America, Boeing, Pfizer, AMEX, Alcoa, Home Depot, IBM ou Apple ont engrangé de 2% à 3,5%. Micron Techno a flambé de 4,5%, Flextronics de 5%.
Aucun secteur de la cote n’a été oublié, à part peut-être les valeurs pétrolières. Chevron et Exxon ont largement sous-performé avec des scores de 0,7% et 0,85% respectivement.
Dans un tel contexte, le seul fait que le soleil se lève le matin suffit à doper Wall Street !
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Pourquoi le FMI est nul et ignore la prochaine crise
▪ Quand tout le monde pense la même chose, personne ne pense
Le FMI n’a pas vu venir la crise du crédit subprime. Pourquoi de grands cerveaux au service d’une organisation dotée de grands moyens n’ont-ils pas tiré la sonnette d’alarme à temps ?
Pas plus tard qu’en juillet 2007, les services du FMI estimaient que « l’expansion mondiale reste[rait] forte » et revoyaient à la hausse les perspectives de croissance tout en attirant l’attention sur les vulnérabilités croissantes de certains marchés émergents. Les turbulences du marché financier du début 2007 ont été vues comme « ne justifiant pas une révision fondamentale des perspectives mondiales » (mars 2007).
Pourquoi ?
La réponse est contenue dans un rapport de 67 pages qui autopsie cet échec. Comme j’ai lu ces 67 pages, je ne vais pas tout de suite vous donner la réponse. Il n’y a aucune raison, cher lecteur, pour que vous accédiez à la Vérité sans Peine. C’est très malsain.
Sachez donc que ce rapport a été rédigé par le Bureau indépendant d’évaluation du Fonds monétaire international, BIE pour les intimes. C’est un peu ce que sont les « boeufs-carottes » à la police nationale, la Cour des comptes au gouvernement français. Son titre est : Evaluation de l’action du FMI au cours de la période qui a précédé la crise financière et économique mondiale – La surveillance du FMI en 2004-07.
Toutes les réponses se trouvent concentrées dans la partie IV du rapport : « Comment expliquer l’absence d’un avertissement clair du FMI ».
▪ Le FMI est nul car il pratique la pensée unique
En fait, le rapport ne le dit pas exactement comme je le dis. Il parle de faiblesses analytiques. « Ces faiblesses sont globalement de deux types : pensée doctrinaire et autres postulats intellectuels ; méthodes d’analyse/connaissances incomplètes ».
Une « pensée doctrinaire… dominante au sein des services du FMI… était que la discipline et l’autorégulation du marché suffiraient à écarter tout problème majeur des institutions financières ».
Alors là, cher lecteur, du fond de ma tanière tapissée des coupures de presse annonçant la faillite prochaine des pays riches de dettes, je suffoque d’indignation.
Supposons. Vous êtes employé d’une honorable et digne OSG (organisation supra gouvernementale) de surveillance financière (rien à voir avec le FMI). Les études et mémoires internes s’amoncèlent sur votre bureau pour conclure qu’il n’y a rien à surveiller vu que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Vous croyez à ces épais rapports. Ils vous ont hypnotisé et vous avez parfois eu la paupière lourde en les lisant. Vous ignorez tout des bulles qui se sont succédé durant l’histoire financière. Bulles dont l’existence même prouve que l’efficience des marchés est une foutaise (bullshit, en bon américain). Jusque-là, rien de mal, il est permis d’être naïf, ignare et employé d’une OSG…
Mais, si vous êtes vraiment honnête, vous demandez votre mutation à un endroit où vous pourriez être utile, travailler vraiment, non ? Vous gaspilleriez, vous, l’argent de l’Internationale des Contribuables sans remord aucun ?
A moins que vous n’ayez l’idée de voir un peu si à l’extérieur on pense comme à l’intérieur. Mais ça, explique notre rapport, ce n’est pas possible à cause du « biais de confirmation, propension cognitive bien connue à ne tenir compte que des informations qui corroborent un postulat et à ignorer les données qui l’infirment ».
▪ Le FMI est nul parce que c’est un grand machin autiste
« Les services du FMI ont tendance à ne pas échanger les informations et à ne pas se concerter entre collègues au-delà de l’unité à laquelle ils appartiennent ». Pas terrible, ça. Le FMI doit manquer de machines à café.
« Les rapports ont rarement fait référence à des travaux d’analystes extérieurs signalant les risques croissants des marchés financiers ». Pas génial non plus. Mais ça peut s’arranger, le FMI peut s’abonner à MoneyWeek en versions anglaise et française. On peut en mettre une pile au pied des machines à café.
Le FMI est nul parce que le franc-parler y est puni
« Les membres du personnel ont indiqué que les incitations conduisent à s’aligner sur l’opinion dominante au FMI… L’affirmation d’opinions dissidentes peut nuire à une carrière (…). L’expression d’opinions conformes n’est jamais pénalisée, même si elles se révèlent erronées par la suite ».
Eh oui, mieux vaut se tromper avec tout le monde que d’avoir raison tout seul. C’est plus confortable de jouer « the trend is your friend » que de vouloir être contrarien.
▪ Le FMI est nul parce qu’il y a des guerres de chefaillons
« Les luttes de préséance, étroitement liées à la question du cloisonnement et du cadre incitatif, ont été signalées comme un obstacle majeur à la coopération et à la collaboration entre les services ». Selon un cadre chevronné, « le FMI fonctionne comme un ensemble de petites chefferies/clans ».
▪ Le FMI est nul car c’est un béni-oui-oui à la botte des grands pays
« Il est impossible de faire usage de franc-parler face aux autorités » étant donné que « les gouvernements sont les actionnaires de l’entreprise ».
En clair, le FMI est soumis à des pressions politiques. Pas les Etats-Unis, non : les services et la direction du FMI ont indiqué ne pas recevoir de pressions directes en vue de modifier les messages issus des missions ». Mais plutôt d’autres pays avancés pour lesquels « il est arrivé que des autorités adoptent des méthodes insistantes, exerçant des pressions explicites pour atténuer des messages critiques ». Selon les termes d’un membre du personnel affecté à un grand pays, il était « difficile de faire un constat critique, même lorsque celui-ci était étayé par une analyse en bonne et due forme (…) les réunions de fin de mission se résumant essentiellement à des séances de négociation sur des questions de formulation ».
Le FMI semble donc mal parti pour nous alerter de la prochaine crise, celle de la dette souveraine et de la faillite de gros Etats. Il lui manque toujours les cadres capables de fournir « l’impulsion intellectuelle nécessaire pour effectuer du travail de haute qualité ».
Bien inquiétant tout ça…
[Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières Simone Wapler est passionnée par les investissements « tangibles » et c’est ce qu’elle met chaque semaine au service des abonnés de L’Investisseur Or & Matières. Elle est rédactrice en chef du magazine MoneyWeek, et analyse chaque mois le secteur aurifère dans la lettre d’investissement Vos Finances.]
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