Par extraordinaire, la semaine dernière, nous avons été contacté par notre agence bancaire locale. Depuis qu’elle nous avait refusé un prêt en 1982 (les finances de notre entreprise ayant été jugées « trop fragiles »), nous ne nous parlions plus guère.
Nous payons en cash. Elle s’occupe de ses affaires.
Mais là, pour la première fois, non pas un mais trois conseillers en costume-cravate sont venus nous rendre visite. Affables et intelligents, ils s’inquiétaient de la quantité de liquiditésque nous avons sous la main — et venaient nous proposer, le plus sérieusement du monde, des moyens de « mettre ce cash à contribution ».
Trop de cash ?
« Vous devriez vraiment prendre une partie de ces liquidités et les investir en muni-bonds« , nous ont-ils dit.
« Et si les municipalités ne peuvent rembourser leurs obligations ? » avons-nous demandé.
« Ne vous inquiétez pas. Historiquement, les possibilités de défaut sont extrêmement limitées », nous a répondu l’un d’entre eux.
« Et si les taux d’intérêt grimpent ? Le taux de défauts n’augmenterait-il pas lui aussi ? »
« Ah, peut-être. Mais nous nous concentrons sur des maturités courtes et n’investissons que dans des municipalités solvables. Le risque est très bas ».
« Oh… Et si nous avons besoin de cash ? »
« Pas de problème : nous vous accorderons un crédit ».
Vous me proposez de m’endetter de sorte que je puisse garder mon argent… investi dans la dette d’un autre ? |
« Une seconde, que je comprenne bien. Vous me proposez de m’endetter de sorte que je puisse garder mon argent… investi dans la dette d’un autre ? »
« Euh… eh bien… oui… et nous vous facturerons moins d’intérêts que ce que vous gagnerez grâce aux muni-bonds« .
« Attendez. Vous engrangez des honoraires pour mettre mon argent dans des obligations… vous en empochez d’autres encore pour m’avoir prêté de l’argent… et je m’en sors quand même gagnant ? »
« Oui. Nous essayons simplement de trouver des moyens de répondre aux besoins financiers de nos clients ».
« Ah ».
De pire en pire
Petit à petit, jour après jour, nous relions les points.
D’abord, l’image est difficile à distinguer. Mais petit à petit, après beaucoup d’efforts et de suppositions, deux choses deviennent de plus en plus claires… du moins à nos yeux.
D’abord, personne ne sait rien.
Ensuite, plus personne n’a de véritable argent.
La situation du citoyen moyen ne s’améliore pas. Au contraire : elle est de pire en pire… et le capitalisme de copinage aggrave les choses.
Et voilà encore plus de points à relier !
Que voyons-nous ?
En cas d’urgence…
Nous ne sommes pas certain que les chiffres suivants sont à jour — mais nous doutons qu’ils aient beaucoup changé. De MarketWatch :
« Environ 62% des Américains n’ont pas d’épargne pour les urgences — comme une visite à l’hôpital de 1 000 $ ou des réparations automobiles de 500 $, selon un sondage sur 1 000 adultes effectué par le site de finance personnelle Bankrate.com. […]
Seulement 39% des personnes interrogées ont déclaré avoir des fonds ‘pour les mauvais jours’ pouvant couvrir trois mois de dépenses |
Qui plus est, seulement 39% des personnes interrogées ont déclaré avoir des fonds ‘pour les mauvais jours’ pouvant couvrir trois mois de dépenses, et seulement 48% ont déclaré être en mesure de couvrir une hypothétique dépense urgente d’un montant de 400 $ sans vendre quelque chose ou emprunter de l’argent ».
Les gens ont toujours eu du mal à joindre les deux bouts. Mais à mesure que le système monétaire changeait… il en allait de même pour les finances du ménage moyen : il est devenu plus difficile de progresser financièrement.
Certes, la plupart des gens vivent mieux que dans les années 70. Le progrès technologique et commercial a amélioré la qualité des choses avec lesquelles nous vivons. Il y a plus de choix dans les magasins… les supermarchés… et sur internet.
Quand bien même la vie est plus facile et plus agréable pour la majeure partie des gens, toutefois, peu d’entre eux ont plus d’argent « véritable ».
Ils ont plus de choses. Et plus de crédit. Mais ils sont plus lourdement endettés… plus vulnérables à une crise… et plus dépendants du gouvernement et de l’industrie du crédit.
« La dette, c’est parfaitement raisonnable »
Votre correspondant a récemment abordé le sujet avec une agence de recrutement.
« Je place beaucoup de comptables », nous a dit le recruteur.
Les gens désespérés ne sont pas des candidats idéaux pour le service comptabilité |
« Les employeurs veulent en savoir plus sur les finances des candidats : ils veulent savoir comment ils s’en tirent avec leur propre argent. Ils veulent aussi éviter les gens dont la situation financière est alarmante. Les gens désespérés ne sont pas des candidats idéaux pour le service comptabilité ».
« Les personnes que nous plaçons gagnent 60 000 $ et plus. Généralement, le couple travaille, et ils sont souvent très diplômés, de sorte qu’on a là des revenus substantiels ».
Le recruteur a poursuivi :
« Généralement, ils ont un prêt étudiant, un prêt automobile et un prêt immobilier. Ils ont d’ordinaire aussi une ligne de crédit revolving. On parle là de personnes prudentes, avec un niveau d’études élevé. Ils utilisent le crédit de manière sensée, lorsqu’ils ont besoin de faire un gros achat… ou de payer des études privées ».
« Ce que nous recherchons, c’est un historique propre, sans retards de paiement. Le niveau de dette ne nous dérange pas. Les banques ne leur prêteraient pas si elles pensaient qu’il y a un problème ».
« Qui plus est, tout le monde utilise la dette, de nos jours. C’est parfaitement raisonnable. Avec des taux aussi bas, mieux vaut emprunter qu’utiliser son propre argent. La dette n’est qu’un outil financier ».
La dette n’est-elle vraiment que cela ? Un outil bien pratique ? Nous ne sommes pas de cet avis…
1 commentaire
Cher Bill,
Je lis chacune de vos chroniques avec toujours le même intérêt. Je lis beaucoup sur la crise financière, surtout depuis 2008, et j’ai lu un tas de chroniqueurs. Certains dont je n’avais jamais entendu parler avant, d’autres par des liens avec ceux que je connaissais déjà. J’en ai adopté certains, abandonné d’autres, mais il y en a un que je lis toujours, depuis le début : c’est vous ! Merci de continuer.
Je tenais simplement à vous dire combien je partage votre avis sur tant de choses, mais aussi vos doutes, et combien je me rends compte comme il est impossible d’être sûr d’avoir raison. On sent bien dans son for intérieur que ça ne tourne par rond, que la dette est en train de détruire nos économies, mais que ce n’est que le résultat de la nature humaine, et qu’aujourd’hui se sortir du guêpier va être très compliqué. Alors les autorités interviennent, tant qu’elles peuvent, pour essayer que ça dure. Tant qu’elles peuvent…
J’habite en France, pays que vous connaissez bien puisque je crois savoir que votre femme est Française. Vous savez donc que ce pays est « spécial », et étant moi-même un entrepreneur ici depuis plus de 25 ans, je peux vous dire que je connais nombre de ses travers. Mais pas que : il y a aussi de (très) bons côtés, et ça doit être pour cela que j’y suis toujours (et que vous y êtes souvent…).
La France est un pays « spécial » car chaque jour, si vous suivez l’actualité, écoutez les politiciens, ou simplement ouvrez les yeux autour de vous, vous vous dites : « nous marchons sur la tête ». Tenez, le sujet du moment, « Panama papers » : qu’entendez-vous ? Des réactions incroyables : François Hollande rend hommage aux lanceurs d’alerte, mais refuse d’accueillir Edward Snowden, des journalistes blâment encore et toujours les « paradis fiscaux », sans jamais se demander s’ils ne devraient pas blâmer nos enfers fiscaux, desquels toute personne s’enrichissant souhaite se soustraire. Même des gens comme Cahuzac, membre d’un gouvernement censé soutenir ce système en faisant croire que l’enfer fiscal est juste, cherchent à s’échapper. Pourquoi ? Voilà la bonne question. La devise de la République Française est « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ils sont nombreux ceux qui oublient que le mot « Liberté » est écrit en premier : pas d’égalité ou de fraternité sans la liberté…
Dans votre article, vous décrivez vous aussi combien l’absurde règle nos vies, sans même que nous y prêtions attention : comment est-il possible qu’il soit cohérent de prêter son argent à quelqu’un et d’en emprunter à un autre au même moment ? C’est effectivement absurde, voire « kafkaïen ».
Bon, je n’ai pas trop le temps de m’étendre ce matin (j’aimerais être assis avec vous et discuter des heures durant autour d’un bon repas et de quelques verres de bon vin), mais je voulais partager avec vous un point qui me tient à coeur. Vous dites que vous reliez les points (« connect the dots » passe mieux en Anglais), et c’est finalement le travail de toute une vie. J’ai moi aussi relié certains points, et il y a une chose qui m’apparaît de plus en plus clairement : la très grande difficulté qu’il y aura à changer les choses, car nous ne pouvons que constater combien le face à face est inégal. D’un côté les compères, zombies, et tout le système actuel, certains qu’ils sont (avec raison) que seule la continuation de celui-ci pourra leur apporter leur quiétude. Ceux-là sont soudés, ont un objectif clair, des armes à leur disposition. Qu’ont-ils en face ? Une cohorte très hétéroclite, composée d’opposants de natures très différentes, sans objectif commun si ce n’est de « changer ». Dans cette cohorte, nous pouvons retrouver des gens comme vous, des vrais libéraux, mais d’autres totalement étatistes, à l’opposé de nos idées, mais pourtant tout aussi remontés contre les compères (plus que les zombies d’ailleurs, eux-mêmes en faisant souvent partie). Ils vont même jusqu’à se persuader que les compères sont des « ultra-libéraux » ! [Soit dit en passant, comment peut-on être « ultra » libéral ? On est libéral ou on ne l’est pas, un point c’est tout.] Cette disparité est très dommageable à tout changement possible, et je dois avouer qu’entre les compères et zombies aux manettes actuellement, et les fous furieux prêts à « égorger le bourgeois », je préfère largement les compères actuels. Je pense donc que les compères et les zombies ont encore de beaux jours devant eux !
Je vous souhaite une bonne journée, et attend de vous relire bientôt.
Dimitri