Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor US actuel, est allé « tirer les oreilles » de la Fed le mois dernier. Pas sûr que Janet Yellen, qui lui succédera peut-être, suive la même ligne de rigueur (si on peut appeler ça comme ça…).
Il se trame quelque chose à Washington depuis que le Congrès US a accordé à la Réserve fédérale, il y a plus d’un siècle (et bien que ce soit contraire à la Constitution), le pouvoir de contrôler la quantité de monnaie en circulation. Depuis lors, des tensions ont toujours existé, mais la situation actuelle représente une excellente opportunité d’en observer le déroulement.
Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor US, a adressé le 19 novembre une lettre au président de la Fed, Jerome Powell, lui demandant de mettre fin, au 31 décembre, à cinq programmes de rachat d’actifs, y compris les programmes de rachat d’obligations d’entreprises et d’obligations municipales, conformément à ce qui avait été prévu par le Congrès.
Il a également fait la demande suivante :
« Ainsi, je demande à la Réserve fédérale de restituer au département du Trésor les fonds inutilisés. Cela permettra au Congrès de se réapproprier 455 Mds$, dont 429 Mds$ de réserves apportés par le Trésor à la Fed qui devaient permettre l’ouverture de nouvelles lignes de crédits et 26 Mds$ de prêts directs du Trésor qui sont restés inutilisés. »
« Rien n’est plus permanent qu’une solution temporaire »
Nous avons déjà exprimé nos inquiétudes concernant le risque que ces programmes « temporaires » de rachat d’actifs ne prennent jamais fin.
Prenez par exemple le cas du programme de rachat d’obligations d’entreprises mis en place par la BCE il y a quatre ans, ou du programme de rachat d’actions de la Banque du Japon qui se poursuit depuis plus de dix ans.
Ces programmes semblent tous deux n’avoir aucune fin en vue, alors que seules quelques-unes des mesures appliquées actuellement par la Fed, telles que le Paycheck Protection Program (Programme de protection des salaires), seront prolongées pour une durée limitée à 90 jours.
Pour une fois, nous pouvons reconnaître que le secrétaire au Trésor a le mérite de vouloir mettre fin à la plupart de ces programmes ; après tous, ces mesures temporaires n’ayant pas de date d’expiration prédéfinie, elles auraient aussi bien pu devenir permanentes.
Il a réitéré une nouvelle fois sa position :
« Bien que certains secteurs de l’économie soient encore gravement touchés par la crise et ont besoin d’un soutien budgétaire supplémentaire, l’environnement financier a résisté et l’utilisation de ces lignes de crédit est restée limitée. »
Le lendemain, le président de la Fed, Jerome Powell, a adressé une réponse à Mnuchin dans laquelle il reconnaît la légitimité de son autorité en tant que secrétaire au Trésor :
« La loi CARES attribue au secrétaire au Trésor le pouvoir exclusif d’allouer des fonds pour permettre à la Réserve fédérale de réaliser des prêts d’urgence… Vous avez indiqué que compte tenu des limites de votre autorité dans le cadre de la loi CARES, il ne serait pas possible de continuer de consentir de nouveaux prêts ou d’acheter de nouveaux actifs après le 31 décembre 2020 et vous avez donc demandé que nous restituions les fonds excédentaires au Trésor. »
Jusqu’ici tout va bien…
… Et puis on est arrivé à l’incident, comme le rapporte ABC News :
« La Fed a fait part publiquement de son désaccord par le biais d’un communiqué, ce qu’elle fait rarement, affirmant qu’elle ‘préférerait que l’ensemble des financements d’urgence mis en place pendant la pandémie de coronavirus soient maintenus pour continuer de jouer leur rôle essentiel de filet de sécurité pour notre économie qui est encore vulnérable et sous tension’. »
Cela ne vous surprendra peut-être pas. Powell a récemment fait diverses déclarations dans lesquelles il suggère au Congrès US de renforcer les mesures de relance budgétaire. Les commentaires du président de la Fed ne représentent normalement guère plus que des « suggestions » puisque la Fed n’a pas de contrôle sur les dépenses du Trésor.
Cependant, ce communiqué semble être un peu plus qu’un simple commentaire tel que ceux généralement partagés à l’occasion d’une séance de questions-réponses avec les journalistes.
Bien sûr, la question est alors de savoir ce que cela implique pour l’avenir de ces programmes temporaires de rachat d’actifs.
C’est là que Janet Yellen fait son entrée, la présidente de la Fed de 2014 à 2018, et qui a précédé Jerome Powell. Elle pourrait bientôt remplacer Mnuchin au poste de secrétaire au Trésor si sa candidature est acceptée par le Congrès.
Si elle devient la première femme à occuper le poste, elle aura alors le choix entre maintenir les directives actuelles de Mnuchin visant à mettre fin aux mesures de soutien temporaires, ou accepter la demande de Powell.
Une monnaie saine ? Pas de sitôt !
Le temps nous le dira. Pour le moment, il semble que les choses se présentent mal pour les partisans d’un retour à une monnaie saine. Pas plus tard que le mois dernier, Janet Yellen a en effet annoncé sur Bloomberg Television :
« ‘La pandémie affecte encore gravement l’économie, nous devons donc maintenir un soutien budgétaire extraordinaire, mais même ultérieurement, je pense qu’il sera nécessaire de continuer’, a-t-elle déclaré, avant d’ajouter : ‘Nous pouvons nous permettre d’accroître davantage la dette’, car les taux d’intérêt resteront probablement faibles ‘pour de nombreuses années encore’. »
D’après la Constitution américaine, le Congrès dispose du pouvoir de contrôler la quantité de monnaie en circulation dans le pays. Au tournant du siècle dernier, ils ont pratiquement externalisé ce rôle à la Réserve fédérale.
Au cours des dernières décennies et des crises qui les ont marquées, la Réserve fédérale est parvenue à utiliser les pouvoirs qui lui ont été accordés par le Congrès pour acquérir toujours plus d’actifs – ce qui s’est accompagné d’une augmentation vertigineuse de la quantité de monnaie en circulation et de l’offre de crédit.
Il devient chaque jour plus difficile de distinguer la ligne de démarcation entre le Trésor et la Fed, de savoir qui dirige qui et qui contrôle quoi ; le fait de placer l’ancienne responsable de la politique monétaire aux commandes de la politique budgétaire ne fait rien pour clarifier cette distinction.
Article de Robert Aro traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.