Les cryptomonnaies comme l’or ne sont la dette de personne. Peuvent-ils rentrer en concurrence dans un monde noyé sous les dettes ou sont-ils alliés ?
Les crypto-actifs et l’or sont-ils amis ou ennemis ? Les économistes auteurs des rapports d’Incrementum appartiennent à l’école d’économie dite « autrichienne » dont une des figures de proue est Friedrich A. von Hayek (1899-1992). Ils concluent que l’or, comme le bitcoin, sont deux monnaies « hayekiennes ».
Hayek – contrairement à Keynes – est anti-constructiviste. Pour lui, l' »ordre spontané » qui résulte de l’action humaine autonome (donc des forces du marché et de la concurrence) est plus efficace que n’importe quel projet de société planifié par des dirigeants scientistes. La monnaie ne fait pas exception à la règle.
Pour le prix Nobel d’Economie 1974, « l’histoire du contrôle gouvernemental exercé sur la monnaie est, à l’exception de quelques rares périodes heureuses, une histoire de tromperie et de fraude incessante. »
Le monopole étatique exercé sur la monnaie a des conséquences néfastes pour les citoyens, en particulier lors des périodes de crise économique. Sur le plan de la philosophie politique, cela est proprement inacceptable puisqu’une monnaie saine a autant d’importance qu’une constitution politique pour la protection des libertés civiles contre des incursions despotiques de la part des gouvernements (Ludwig von Mises).
La concurrence étant le meilleur moyen d’inciter les émetteurs de monnaie à proposer une monnaie saine, Hayek se prononce en faveur d’un ordre monétaire incluant des monnaies privées en concurrence les unes avec les autres, mais également en concurrence avec la monnaie émise par le gouvernement.
Hayek a très bien résumé son propos dans cette phrase restée célèbre :
« L’argent est la seule chose que la concurrence ne rendrait pas bon marché, puisque son attractivité repose sur le maintien de sa ‘cherté' ».
A l’époque où l’économiste-philosophe s’intéressait à la question, il considérait que l’idéal serait une monnaie reposant sur l’or ou sur des matières premières. Or, comme l’indiquent Stöferle & Valek (S&V) au sujet des réflexions d’Hayek concernant l’établissement d’un système de monnaies privées en concurrence avec les monnaies étatiques dans les années 1960-1970, « l’abolition volontaire [par les Etats] du monopole de la monnaie aurait été nécessaire pour l’adopter […] – une perspective très irréaliste. »
L’avènement d’internet a passablement changé la donne. Plus de 1 500 crypto-actifs, dont une bonne partie se veulent des crypto-monnaies, ont pu voir le jour au sein de l’économie privée. « La concurrence monétaire telle qu’envisagée par Hayek est devenue possible même en l’absence d’auto-limitation par les gouvernements », comme le relèvent S&V.
Cela explique que « la BCE soupçonne (à juste titre) que le travail théorique de Hayek était le spiritus rector des cryptomonnaies d’aujourd’hui », remarquent-ils.
Les cryptomonnaies, à la différence de l’or, sont de pures monnaies fiat… mais des monnaies « hayekiennes » tout de même !
S&V rappellent qu' »Hayek lui-même pensait que les monnaies liées aux matières premières prévaudraient dans un système de libre concurrence. »
Comment expliquer alors que les cryptos puissent se faire une place au sein d’un tel système où l’or ne devrait avoir que des concurrents de seconde zone ?
La réponse tient en deux notions, qu’Hayek ne pouvait pas percevoir à l’époque où il travaillait sur la question.
La première – et la plus importante – est la décentralisation. En étant émis non pas par une institution unique, mais par un vaste réseau décentralisé de producteurs privés en concurrence les uns avec les autres, Bitcoin dynamite l’objet même de la banque centrale contemporaine.
Or, comme le relèvent S&V :
« La situation telle qu’envisagée par Hayek [au regard des monnaies étatiques fiat comme au regard des monnaies privées basées sur un sous-jacent tangible] comporterait toujours le risque latent qu’une entité centralisée émettrice de monnaie puisse échouer. Dans le cas d’une cryptomonnaie telle que Bitcoin, aucune entité centrale n’existe. »
Par ailleurs, chacune des tentatives voulant porter atteinte au réseau Bitcoin ayant échoué, le slogan « In Code We Trust » est toujours d’actualité.
La seconde notion est le fait que l’offre de bitcoins soit limitée à une quantité définie à l’avance, ce qui garantit son caractère déflationniste. On en revient au slogan « In Code We Trust ».
Comme le notent S&V, les ratios stock-flux respectifs de l’or et du bitcoin font que, « pour certains, cela fait de bitcoin l’actif ultime pour stocker de la valeur, celui qui pourrait même être supérieur à l’or dans le futur. »
Par ailleurs, quoi qu’étant une monnaie fiat, Bitcoin a plusieurs caractéristiques qui le distinguent des monnaies étatiques pour le rendre « similaire à l’or ». Tout d’abord, Bitcoin n’est la dette de personne. Ensuite, sa production passe par le « minage ».Cela explique que d’aucuns s’imaginent que Satoshi Nakamoto se serait inspiré de l’or pour créer Bitcoin, cet « or numérique ».
Au final, « les cryptomonnaies ont le potentiel pour faire émerger un ordre monétaire concurrent » à celui des Etats, estiment les auteurs du rapport. Il leur faudra cependant relever un certain nombre de défis, au premier rang desquels atteindre un cours plus stable.
Sans une diminution drastique de la volatilité, il ne pourra pas y avoir de transition de ce qui ne sont aujourd’hui que de simples actifs spéculatifs vers de véritables monnaies utilisées en tant que moyens d’échanges.
Les cryptomonnaies sont là pour rester
Comme l’expliquent S&V :
« Il y a une raison clé pour laquelle Bitcoin pourrait gagner du terrain sur l’or en ce qui concerne leurs capitalisations boursières respectives. C’est le fait que nos vies deviennent de plus en plus numériques. »
L’émergence des millenials, génération née avec le numérique, en tant qu’épargnants a vocation à considérablement renforcer cette tendance. Ici, deux facteurs entrent en ligne de compte.
Le premier est le fait qu’étant confrontés à des bulles sur l’ensemble des classes d’actifs, les millenials ont enfin l’opportunité de se positionner sur un segment du marché des placements financiers avant que ne le fassent leurs aînés.
Le second est que cette génération pourrait être celle qui préférera détenir de l' »or numérique »plutôt que de l’or sous une forme sonnante et trébuchante. « L’or numérique sous la forme de Bitcoin pourrait être plus réel pour cette génération qu’un véritable bracelet ou bague en or », écrivent S&V.
Et les auteurs de citer Peter Grosskopf, CEO de Sprott Inc. :
« L’or a toujours été critiqué comme étant un produit inefficace, un produit paresseux, un produit qu’il est difficile d’utiliser pour faire des transactions… C’est presque comme si la blockchain avait été inventée pour l’or. Le mariage des deux, je pense que ça va être incroyablement puissant. »
Les cryptomonnaies ne menacent pas l’or, elles lui sont complémentaires
Chez Incrementum, on envisage les crypto-assets non pas comme une classe d’actifs concurrente à l’or, mais comme une classe d’actifs qui lui est complémentaire.
Pour S&V :
« L’avenir ne sera pas nécessairement une lutte acharnée pour la suprématie en tant qu’ultime actif de réserve indépendant. Or et Bitcoin ne peuvent pas se contenter de coexister, ils peuvent être combinés pour obtenir le meilleur des deux mondes. »
C’est ce qui amène les auteurs du rapport à consacrer cinq pages aux initiatives existantes ou en développement qui proposent des crypto-actifs ayant pour sous-jacent le métal jaune. Le lecteur retrouvera des noms d’acteurs traditionnels aussi célèbres que le fonds Sprott, la Royal Canadian Mint, la UK Royal Mint, le CME Group, mais également ceux d’entreprises du nouveau monde.
La « première monnaie organique » – comme l’appelle Nassim Taleb – et les cryptomonnaies dans leur ensemble « sont encore toutes petites par rapport aux classes d’actifs traditionnelles et ont donc beaucoup de potentiel de hausse. Cependant, il semble également clair que l’or occupera toujours une place centrale dans le système financier. […] Alors que l’or est une constante intemporelle, Bitcoin est actuellement un actif en croissance. Les deux offrent des opportunités. »
La question à 21 millions de bitcoins
Bitcoin s’est renforcé au fil des attaques qu’il a subies. Sa création datant de 2009, on ignore cependant « comment Bitcoin se comportera en période de récession ? Et comment le prix de Bitcoin va-t-il réagir lors d’un effondrement des marchés financiers ? »