Nous avons identifié cinq catégories de cybermonnaies, puis réparti les cybermonnaies existantes entre ces catégories. Pouvons-nous prévoir comment évoluera la population de chacune ?
Les 280 applications coopératives se situent dans un nombre élevé et croissant de domaines distincts tels que partage de ressources, jeux, réseaux sociaux, etc. et avec plusieurs offres concurrentes dans chaque domaine. Certaines disparaîtront, d’autres naîtront. Leur nombre continuera sans doute à croître, et avec lui le nombre des cybermonnaies associées. Il en va probablement de même pour les 210 systèmes qui offrent des fonctions financières spécialisées. Comme pour tous les autres biens, leur devenir dépendra principalement du jugement que porteront leurs utilisateurs potentiels.
Ce sont les développeurs d’applications qui feront leur choix entre les 370 plateformes, spécialisées ou généralistes. Leur dynamique devrait donc ressembler à celle des systèmes d’exploitation ou des langages de programmation. La logique voudrait que seul un petit nombre survive. On recense quand même plus de 150 offres, parmi lesquelles une petite dizaine de systèmes d’exploitation et une grosse dizaine de langages comptent pour 90% de l’utilisation réelle.
La prolifération actuelle des projets est vraisemblablement due à la nouveauté du domaine, où les technologies ne sont pas stabilisées et où la suprématie naissante d’Ethereum peut encore être remise en cause. On peut penser que certaines plateformes ne trouveront pas assez d’utilisateurs pour justifier leur entretien, et que leurs avantages éventuels seront repris par les survivantes, une évolution favorisée par les pratiques du logiciel libre. Au total, il est probable que l’usage se concentrera sur une dizaine de systèmes coopératifs, tout en laissant persister une grosse centaine de systèmes marginaux plus ou moins innovants.
Avant d’examiner la dernière catégorie, celle des systèmes de paiement généralistes, qui ne relèvent que d’une concurrence strictement monétaire, on peut déjà prévoir que le nombre de systèmes de type applicatif ou plateformes dotés d’une unité de compte propre continuera à se compter en centaines.
Comment l’innovation sera absorbée par les dominants
Mais le grand nombre ne doit pas faire illusion.
Le secteur a connu un boom soudain au printemps 2017. Début mars, on recensait moins de 700 cybermonnaies, que Bitcoin dominait de façon écrasante avec 86% de leur valeur totale, Ethereum étant un modeste second avec 6% chacune des autres comptant pour moins de 1% du total. Pour arriver à 95% de la capitalisation totale, il suffisait de six cybermonnaies (Bitcoin, Ethereum, Ripple, Litecoin, Dash, Monero). Une grande majorité n’était en réalité l’objet d’aucune activité de marché significative. En première analyse, le phénomène des cybermonnaies se résumait à Bitcoin et son quasi-clone Litecoin, avec quelques considérations secondaires sur Ethereum et à la rigueur Ripple.
Le secteur s’est enflammé brusquement à partir de mars. En mars et avril, 140 nouveaux projets ont été lancés, et donc autant de nouvelles monnaies, dont 20 n’existent déjà plus. Dans le même temps, 60 monnaies qui existaient fin février ont été abandonnées.
Entre mars et juillet, la valeur du bitcoin a été multipliée par trois et celle de l’ether par 20, mais presque toutes les autres ont connu une flambée analogue, y compris celles qui étaient en état de léthargie depuis quelquefois des années. A la mi-juillet, Bitcoin ne représentait plus que 48% de la capitalisation totale et Ethereum était passé à 21%. Il fallait totaliser les capitalisations de 60 cybermonnaies pour atteindre 95% du total, au lieu de six début mars, et sept dépassaient 1% du total.
Au début de novembre, Bitcoin est remonté à 62%, Ethereum est redescendu à 14%, et une grosse trentaine de monnaies suffisent pour atteindre 95% de la capitalisation totale, dont en plus de Bitcoin et Ethereum seules Bitcoin Cash, Ripple, Litecoin, Dash, NEO, NEM et Monero représentent chacune plus de 1%. La flambée est retombée. Au passage, Bitcoin a perdu un peu de sa prééminence au profit d’Ethereum. Les deux ont donné naissance à des rejetons (Bitcoin Cash, Bitcoin Gold et Ethereum Classic qui restent dans le peloton de tête), et quelques nouvelles étoiles sont apparues dans les 10 premiers. A part les 30 premières, toutes comptent pour moins de 0,1% chacune. Néanmoins, 160 nouveaux projets ont été lancés en octobre.
On voit donc se dessiner un autre tableau. Au premier plan, probablement solidement installés pour plusieurs années, une dizaine de systèmes et monnaies majeurs susceptibles de bouleversement de la société : Bitcoin, ses principaux rejetons (Litecoin, Bitcoin Cash, Bitcoin Gold) et ses variantes (Dash, Monero, NEO), Ethereum sous ses deux formes, et les outsiders Ripple, NEM et IOTA.
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En fond de tableau, un gros millier de systèmes et de monnaies mineurs dont la grande majorité doit son existence à des utilisations autres que celle de moyen de paiement généraliste. On y trouve très probablement un grand nombre d’arnaques pures et simples, à côté de tentatives honnêtes mais sans originalité et donc sans avenir. La grande majorité est condamnée à rester dans des niches, soit par nature quand il s’agit d’applications particulières, soit par effet réseau pour celles qui ambitionnent un rôle de paiement généraliste.
Néanmoins, un certain nombre de ces systèmes et monnaies secondaires servent de bancs d’essais à des techniques nouvelles qui pourront être incorporées à des systèmes majeurs comme Bitcoin et Ethereum, qui se perfectionneront en absorbant les innovations mises au point par les systèmes secondaires grâce aux pratiques du logiciel libre, les privant ainsi des avantages concurrentiels qui auraient pu leur permettre de sortir de leurs niches originelles.
Restent enfin quelques systèmes originaux, qui reposent sur des principes suffisamment différents pour que leurs technologies ne puissent pas être récupérées par les systèmes majeurs, et qui sont peut-être les embryons de nouvelles familles. Par exemple les systèmes reposant sur les graphes orientés acycliques* au lieu de la chaîne de blocs conventionnelle (IOTA, Byteball). Ce sont peut-être les plus prometteurs, mais aussi les plus risqués.
Peut-on préciser ces pronostics en tirant les leçons des « forks » successifs de Bitcoin en août, puis en novembre, et du nouveau « fork » annoncé en décembre ? C’est ce que nous verrons demain.
*Dans une chaîne de blocs, chaque bloc valide le bloc précédent. Dans un graphe orienté acyclique, chaque enregistrement (qui peut être un bloc ou une simple transaction) valide plusieurs enregistrements antérieurs.