▪ Les choses sont devenues bien étranges.
Le monde entier était immobile la semaine dernière, accroché au bord de son fauteuil. Respirant à petits coups.
Les gens observaient. Ils attendaient. Ils attendaient le pronunciamiento qui pouvait signifier des milliers de milliards de dollars de pertes… ou de gains. Ces mots pouvaient — en théorie — faire augmenter le taux de croissance mondial… accélérer des économies et mettre des millions de personnes au travail, leur permettant de gagner l’argent nécessaire pour payer leurs besoins et leurs envies.
A la marge, ces paroles pouvaient faire la différence entre la vie et la mort. De nombreuses personnes, dans ce monde, vivent d’un jour à l’autre, avec à peine assez pour manger. Un ralentissement de l’économie mondiale les heurte de plein fouet, comme la peste au Moyen Age, les faisant basculer dans la famine et la mort.
Et d’où provenaient ces mots si précieux ? De Ben Bernanke, originaire de Dillon, en Caroline du Sud, et désormais à la tête de la Réserve fédérale américaine.
Les gros titres en étaient la preuve :
« Le monde attend des nouvelles de Jackson Hole ».
« Les investisseurs nerveux avant l’annonce de Bernanke ».
« L’économie mondiale repose sur les épaules de Bernanke ».
Qui est cet homme, et quel genre d’épaules a-t-il ? Est-il un grand penseur… un philosophe de renom à qui les habitants de notre planète peuvent faire confiance ? S’agit-il d’un capitaine d’industrie… un homme qui a prouvé qu’il savait mener les hommes et gérer une entreprise profitable ? S’agit-il d’un magicien de l’investissement, comme Warren Buffett, avec des milliards de dollars attestant de sa compréhension du monde de l’argent ? Est-il un puissant politicien ou un homme d’Etat reconnu qui peut au moins faire semblant de résoudre les problèmes mondiaux grâce aux menaces et à la force ?
Rien de tout ça. C’est un homme qui a étudié l’économie et est devenu professeur d’université. Maintenant, c’est un quasi-bureaucrate travaillant à la tête d’une quasi-bureaucratie, dont la principale fonction est de s’assurer que les banquiers fassent des gains.
▪ « On a soit le contrôle, soit l’argent », déclare notre ami John Henry. John a gagné une fortune grâce à une idée simple. Si les entreprises pouvaient abandonner le contrôle de leurs problèmes juridiques, elles pourraient économiser beaucoup d’argent. John prend ces défis juridiques et les traite comme des questions commerciales ; il ne se soucie guère de gagner ou perdre l’affaire, tant que le coût net reste le plus bas possible. Il se rémunère ensuite sur la somme économisée.
« Mais beaucoup d’entreprises ne se soucient pas vraiment d’argent. Elles ne veulent pas abandonner le contrôle. Ou, plus précisément, leur équipe juridique ne veut pas abandonner le contrôle. Elles finissent donc par dépenser plus ».
Le contrôle ou l’argent. Tel est le choix. Une économie fonctionne mieux quand personne n’en a le contrôle. La planification centrale ne fonctionne pas. Quand il y en a un peu, c’est un poids. Quand il y en a beaucoup, c’est fatal.
Les gens n’aiment pas quand les choses sont « hors de contrôle ». C’est bien le problème avec le capitalisme. Il est toujours hors de contrôle — ou du moins il devrait l’être.
Et c’est là le véritable rôle de M. Ben Bernanke… le service qu’il fournit, c’est faire croire aux gens que tout est sous contrôle. Mais l’illusion du contrôle est chère.
Il a injecté 1 200 milliards de dollars dans le système bancaire après l’effondrement de Lehman en 2008. Qu’a-t-il eu en retour ? Environ 80 cents de croissance du PIB pour chaque dollar dépensé. Une proposition perdante — mais peut-être peut-il compenser avec du volume !
Et que peut-il faire maintenant ? Au moins, en 2008, il avait encore des munitions. A présent, sa cartouchière est vide. Il a déjà mis le taux directeur de la Fed à zéro… et s’est engagé à l’y maintenir pendant encore deux ans. Nous savons aussi que le QE1 et le QE2 n’ont pas fonctionné.
Nous avons appris la semaine dernière que l’immobilier américain a baissé au dernier trimestre — ce qui fait 17 trimestres consécutifs de baisse. Les propriétaires ont perdu environ 7 000 milliards de dollars… et continuent de couler. Les nouveaux permis de construire ont atteint un plus bas de 15 ans. Les ventes n’ont jamais été plus basses depuis une génération.
En ce qui concerne le chômage US, les chiffres sont mouvants. La majeure partie des améliorations du taux de chômage provient du fait que les autorités retirent des gens ne trouvant pas d’emploi de la liste de ceux qui cherchent un travail. Mais les licenciements augmentent… et il est désormais évident que la plupart de ces emplois ne reviendront jamais.
La croissance du PIB américain est près de caler. Il est très probable que la récession de 2008-2009 n’a jamais vraiment pris fin.
Et ce pauvre M. Bernanke. Le poids de toutes les illusions du monde sur ses frêles clavicules. Un homme honnête hausserait les épaules.