▪ Eh bien, votre correspondante est redescendue des latitudes nordiques pour se retrouver en plein conflit potentiel entre la Russie et le reste du monde.
Ce qui m’a permis de constater une fois encore, tout au long de la semaine dernière, la vertigineuse capacité des marchés à se voiler la face. Tout juste si les déclarations fracassantes de Vladimir Poutine ont provoqué quelques tremblements parmi les intervenants — dès le lendemain, on aurait dit qu’il ne s’était rien passé.
Notre collègue américain Dave Gonigam nous livre une analyse lucide de la situation — doublée d’une opportunité intéressante pour les investisseurs :
▪ "’80% des problèmes dans le monde sont imputables aux cartographes britanniques’, a lancé un jour Eugene McCarthy — ou une phrase du même acabit, je n’arrive pas à retrouver la citation exacte.
Qui pourrait le contredire ? Dans les années 1920, les Britanniques ont tracé de façon arbitraire des frontières dans le sable pour créer quelque chose appelé ‘Irak’. Trente années plus tôt, ils avaient tracé d’autres frontières de façon arbitraire à travers des montagnes du sud de l’Asie — aujourd’hui les frontières entre l’Afghanistan et le Pakistan.
Ce qui nous occupe aujourd’hui entre dans les 20% qui ne peuvent être imputés aux Britanniques. La pagaille qui agite la Péninsule de Crimée est imputable aux cartographes soviétiques — la Crimée est un territoire russe rattaché à l’Ukraine en 1954.
Des forces armées — sans insigne identifiable sur leurs uniformes — occupent les deux principaux aéroports. Les Russes nient la présence de leurs troupes. Entre temps, des hommes armés se sont emparés de l’immeuble du parlement régional. […]
Vision d’horreur. Pour rappel, la Crimée est la partie la plus russe de l’Ukraine. Bien sûr, si vous lisez The Economist, la division entre un côté ouest catholique de langue ukrainienne et un côté est orthodoxe russophone est imaginaire. ‘La véritable division parmi les Ukrainiens’, peut-on lire dans un éditorial lyrique du numéro de cette semaine, ‘n’est pas entre l’est et l’ouest mais entre l’espoir et le cynisme : entre ceux qui croient qu’un meilleur gouvernement est possible et ceux qui pensent très naturellement que, dans leur pays post-soviétique, un paternalisme corrompu est le mieux qu’on puisse avoir’. La solution ? Plus d’aide occidentale pour mettre en échec les Russkofs, naturellement.
J’adore lire les éditoriaux de The Economist. Ils savent tout sur tout : si les peuples du monde entier se conduisaient simplement selon les souhaits du comité de rédaction de The Economist, nous verrions la fin des guerres, de la pauvreté et même du psoriasis.
‘Nous devons nous attendre à ce que la Crimée déclare bientôt une sorte ‘d’indépendance’ par rapport à l’Ukraine’, observe notre expert des affaires militaires Byron King — faisant éclater par sa vision réaliste la bulle de The Economist.
‘La Russie reconnaîtra rapidement le statut ‘non-Ukrainien’ de la Crimée et arrivera à un compromis : une association étroite avec un Etat ‘souverain’ ou même une incorporation nationale comme partie de la Grande Russie’.
‘Les Occidentaux hurleront mais globalement ce sera une réponse du berger à la bergère si l’on se réfère à la rapidité avec laquelle l’Occident a reconnu le Kosovo lorsqu’il s’est déclaré indépendant de la Serbie en 2008’.
‘La Russie a déclaré au monde que le Kosovo établirait un mauvais précédent pour de futurs différends frontaliers. A présent cet avertissement légaliste est en train d’arriver d’une manière que les Occidentaux n’apprécieront pas’.
‘Entre temps, la Russie maintiendra ses accès maritimes et autres accès militaires à la Mer Noire, ce qui est une nécessité stratégique pour la Russie et qui remonte à plus de 300 ans. L’Ukraine deviendra un Etat beaucoup plus petit — peut-être même sans accès à la mer, cela dépend de quelle portion du ‘littoral nord’ de la Mer Noire s’en ira avec la Crimée. A mon avis, nous devrons racheter nos collections de cartes géographiques dans un futur pas trop lointain’.
‘Les menaces sur notre pays dans le cyberespace augmentent’, prévient le Général Keith Alexander, directeur de la National Security Agency et du Cyber Command. Les militaires, a-t-il déclaré devant le Congrès US, ont besoin de renforcer leur cyberdéfense. ‘Ces attaques sont sur le point d’arriver et nous n’y sommes pas préparés… Nous avons beaucoup d’infrastructures — électriques, notre gouvernement, nos réseaux financiers. Nous devons avoir une architecture de défense pour notre pays, et nous devons nous y mettre rapidement’.
Certes, Alexander pousse à engraisser Cyber Command, comme n’importe quel bureaucrate agissant par intérêt — même sur le point de quitter ses fonctions, sans doute pour un petit job pépère de consultant chez un fournisseur de la NSA.
A mon avis, le Congrès tiendra compte de sa demande — même s’il a augmenté le budget de Cyber Command de 134% cette année, à 447 millions de dollars", conclut Dave.
La cybersécurité reste donc sans le moindre doute un secteur porteur pour les années à venir : surveillez-le de près.
▪ Gardez en tête aussi les avertissements de Simone Wapler, lundi dans sa Stratégie :
"La vie des banques risque à nouveau de ne pas être un long fleuve tranquille. De nombreuses banques russes sont impliquées en Ukraine ; la Société Générale a accru sa participation dans la banque russe Rosbank à l’automne 2013, un mouvement d’ailleurs critiqué à l’époque par les analystes".
"Pour le moment l’Ukraine avoue quatre milliards de dollars de besoin urgent, là, tout de suite ; et 35 milliards d’ici à 2015. Compte tenu des précédents grecs et chypriotes, on peut tabler sur une estimation basse. L’exposition des banques européennes seraient de 23 milliards de dollars selon la Banque des règlements internationaux".
"Autre fait marquant en Ukraine : ‘la Banque centrale ukrainienne a annoncé, ce vendredi 28 février avoir limité à 15 000 hryvnias (1 095 euros) le montant quotidien maximal pouvant être retiré dans les banques du pays’, relate BFMBusiness"…
"Mais noooooon ! Ne vous inquiétez paaaaas !", termine Simone. "Chypre, c’est loin, l’Ukraine, c’est loin, la Grèce, c’est loin : tout cela ne nous arrivera pas. Dormez sur vos deux oreilles (si vous y arrivez)".
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora