Lors de cette campagne présidentielle, on peut raisonnablement estimer que toutes les idées saugrenues des candidats ont été exprimées. Faute d’avoir été riche sur le plan du débat d’idées, cette compétition aura confirmé que nos personnages politiques sont frappés d’une nouvelle lubie. Nombreux sont ceux qui voudraient modifier la Constitution, non pas évidemment pour faire de la France un pays plus libre, mais pour y intégrer des principes souvent grotesques ainsi que de nouveaux droits créance.
La Constitution n’est pas une carte de vœux
Nos politiciens donnent l’impression de penser que la Constitution est une carte de vœux sur laquelle il suffirait d’inscrire ses souhaits pour qu’ils se réalisent. Ce sont les préoccupations écologiques qui semblent donner lieu aux idées les plus ridicules.
Ainsi, Jean-Luc Mélenchon s’imagine que l’inscription de ce qu’il appelle « la règle verte » dans la constitution d’un pays de 66 millions d’habitants résoudrait les problèmes écologiques d’une planète qui compte plus de sept milliards d’individus. Est-il besoin de commenter ?
Benoît Hamon semble confondre la politique et la magie blanche, la Constitution avec un carré magique. Pour le député des Yvelines, il suffirait d’inscrire dans la Constitution ce qu’il appelle « les biens communs », c’est-à-dire « le droit à respirer un air sain, de boire de l’eau bonne… », pour que les Français se retrouvent dans un environnement d’une pureté virginale. Si vous aviez oublié que « le socialisme, c’est magique ! », pour reprendre la formule du bloggeur H16, voilà pour la piqure de rappel.
L’année passée, c’est Eric Ciotti, député et président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes, qui s’était distingué en suggérant que le meilleur moyen pour que la France conserve ses racines chrétiennes serait de le graver dans le marbre de la Constitution.
Le plaisantin a récidivé au mois de février en proposant d’inscrire dans le texte fondateur de la Vème République le délit de consultation de sites promouvant le terrorisme.
Ce genre d’idées saugrenues, qui voudrait qu’une modification de la Constitution s’apparente à la récitation d’une formule magique, n’est pas sans rappeler la manie des « contrats sociaux », creux comme des armoires et sur lesquels personne ne vous demandera jamais votre avis (et encore moins d’apposer votre signature).
Avec son « contrat de renaissance de la démocratie », Manuel Valls est sans aucun doute un sérieux candidat pour la palme d’or dans ce domaine.
Droits naturels et droits créances
Pour ne jamais être en retard d’une proposition clientéliste, l’autre pratique à la mode chez les politiques est de proposer l’adjonction de nouveaux « droits » à la Constitution. « Plus de droits, plus de liberté ? » vous demandez-vous peut-être.
Eh bien non, et ça serait même plutôt le contraire ! Car il faut distinguer entre deux types de droits : les « droits naturels » et les « droits créance ».
Les droits naturels de l’homme existaient avant l’établissement d’une quelconque autorité politique sur les individus. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 correspond d’assez près à ce principe philosophique libéral. Elle rappelle dans son article 1er que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Son article 2 énumère quatre droits : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression, qui sont envisagés comme autant de droits « naturels » et « imprescriptibles de l’homme ». Malgré quelques « grumeaux rousseauistes » (Daniel Tourre), il s’agit de l’un des grands textes libéraux. Le lecteur qui voudra aller plus loin consultera le « Cliché 8 » du livre de Daniel Tourre, Pulp Libéralisme : La tradition libérale pour les débutants.
Les droits individuels qui y sont énoncés n’empiètent pas sur ceux de son voisin, d’autrui. Ces droits naturels sont respectueux de la liberté d’autrui. Les constitutionnalistes les ont appelés les droits « de première génération ».
Avec l’inexorable immixtion de l’Etat dans tous les pans de la société, une seconde génération de droits a vu le jour à partir de la Libération. Ces nouveaux droits n’ont aucune légitimité du point de vue libéral. Et pour cause, ils sont d’inspiration communiste. Ce sont des « droits créance« , des « droits à »plutôt que des « droits de ». Non pas des droits préexistants à l’Etat, mais des droits décrétés par les autorités politiques et qui impliquent que la société vous doit quelque chose : un logement, une première expérience professionnelle salariée si vous êtes un jeune sortant de formation, que sais-je encore… Ces droits créances se reproduisent comme des lapins, et pas que rue de Solférino.
Comme l’explique le bloggeur Guillaume Nicoulaud :
« [Le droit créance] ce n’est pas un droit. C’est une volonté de la société. La nuance est essentielle. […] Recevoir une aide matérielle de l’Etat n’est pas un droit : c’est un dispositif mis en place parce que nous le voulons bien. […] En faire un ‘droit à’ (l’aide publique) revient à anéantir le ‘droit de’ (disposer des fruits de son travail). »
La raison d’être de la Constitution est de reconnaître les droits naturels des hommes et d’organiser le fonctionnement des institutions de l’Etat de manière à garantir ces droits. Elle n’a pas vocation à se transformer en dépotoir à idées saugrenues, ni en inventaire à la Prévert de droits créances.
Alors de grâce, messieurs les politiciens de carrière, merci d’arrêter de vouloir ajouter n’importe quoi dans notre Constitution !