▪ L’une des choses qui rend mon métier si passionnant, c’est de savoir que je m’adresse à des lecteurs intelligents… qui ont leurs propres idées… qui n’ont pas peur d’aller plus loin que la pensée unique… et chez qui nos théories iconoclastes trouvent un véritable écho.
J’en ai encore eu la preuve la semaine dernière, avec les nombreuses réponses que j’ai reçues suite à la Chronique du 30 juin, où je vous demandais votre opinion sur les moyens de sortir de la crise.
Je vous livre ci-dessous un petit échantillon des courriers qui nous sont parvenus — j’espère que les auteurs me pardonneront d’avance, car j’ai été obligée d’en couper certains passages, sans quoi cette Chronique se serait transformée en roman.
▪ Commençons sans plus attendre par M.A., qui fait notamment un rapprochement intéressant avec la situation islandaise :
« Vous demandez à vos lecteurs quelle solutions ils voient pour sortir de la crise ? »
« Il y a la solution méchante : dévaluation compétitive de l’euro (puisqu’on veut le garder, ce qui n’est pas idiot ; sinon du franc après retour) et hyper-inflation. Mais dans ce cas si nos exportations deviennent compétitives, saurons-nous avec un régime socialiste d’assistanat à grande échelle en tirer des points de croissances utiles à l’investissement pour retrouver notre autonomie industrielle ? Par contre nos importations deviennent ruineuses. Or nous ne pouvons pas nous passer d’importations actuellement ».
Il y a une deuxième solution, nous dit ensuite M.A. : « […] on ‘déposera le bilan’ bref on fait faillite. Immédiatement le coût du crédit tombe à zéro comme la dette qui est effacée comme ce fut le cas en Islande il y a peu et même avec une croissance atone on peut encore payer retraite, services, fonction publique…. Mais… car il y a un ‘mais’ puisque la France n’est pas l’Islande ; elle est dans l’euro et l’UE avec tous les accords que cela sous-entend. Cette solution entraîne de fait un retrait de l’euro avec en plus une quasi-impossibilité de se financer puisqu’on aura ‘planté’ nos créanciers… Il faudra donc abandonner la loi scélérate de 1973 et dévaluer compétitivement le ‘nouveau’ franc qui servira à relancer la machine France en interne en espérant avancer vite vers une meilleure autonomie qui limiterait nos importations ».
« Par contre hormis les exportations incontournables pour nos partenaires aurions-nous suffisamment de croissance externe ? Pourrions-nous assurer des IDE ? Et enfin quelle serait l’inflation que nos partenaires appliqueraient à nos importations ? Néanmoins je privilégie cette deuxième solution car elle permettra un retour à la croissance d’abord interne, puis externe, avec à la clé possible reprise des remboursements de ‘dette plantée’ comme le fait l’Islande aujourd’hui ».
▪ Un autre lecteur, R.R., s’adresse directement à notre président — une lettre ouverte que je vous livre telle quelle :
« Lettre ouverte au Président de la République
Du dynamisme économique
Comment gérer la France comme une bonne ménagère ? »
« Comment pouvons-nous croire que nous ayons une chance de retrouver un présent et a fortiori un avenir, alors que chaque jour, en dehors des grands discours d’espoir, des constitutions de commissions ou de Grenelles de tout, nous retrouvons la cohorte des mini-mesures de rigueur ou d’efforts qui nous sont demandés depuis 40 ans ».
« Churchill promettait : ‘je n’ai à vous offrir que du sang, de la sueur et des larmes. Tout le monde savait que c’était impossible à faire. Puis un jour quelqu’un est arrivé qui ne le savait pas, et il l’a fait’. Eh bien après une campagne d’espérance, chaque jour nous apporte sa cohorte d’augmentation de tarifs, de prix, de réduction d’avantages, de promesses de réformes de structures sur 5/10/15 ans qui vont nous emporter dans l’Eden. L’euro est trop fort, le pétrole est trop cher, le CO2 est trop abondant, les logements sont insuffisants, les drogues sont trop libres, l’éducation est nulle, la médecine est en décrépitude, etc. mais nous restons les meilleurs !!!!! Il n’y pas de France en faillite, mais une France en décrépitude. Son passif de 1 700 milliards n’est rien par rapport à un actif incommensurable, mais invendable à moins de vendre la Tour Eiffel, le Louvre, la SNCF et le tramway parisien ! »
« Non nous ne sommes pas en faillite, nous sommes ruinés et nous désirons cependant que l’Etat nous paye mieux et que nous conservions tous nos avantages acquis qui nous ont conduit à cette situation. Alors, continuons. Lisez les journaux quotidiens de ces jours-ci et vous aurez le sentiment d’avoir lu les mêmes en 1970, 81, 84, 92, 95, 2002, 2007 ».
» Nos ministres récitent dans les médias des projets de réformes mirifiques qui vont changer les rapports entre l’université et l’entreprise, les parents et les enseignants, les médecins en voie de disparition et les patients, les syndicats et les salariés. Nous avons une équipe formidable mais déjà phagocytée par les habitudes. Je nous admire, nous assumons une tâche impossible car il n’y a aucun esprit de véritable restructuration dans nos programmes, de gauche comme de droite ».
« Alors que faire ? Attendre et disparaître ou tout remettre à zéro. Car dans cinq ans, la situation sera pire. Je pense que vous auriez raison de déclarer l’état d’urgence, c’est bien plus que la faillite ou que la rigueur ; on peut toujours croire au Père Noël. Pour faire 3% de croissance, il y a mieux à faire que déposer un cierge à Sainte Rita, patronne des cas désespérés. Il faut plus qu’une rupture, mais une véritable révolution de nos moeurs et habitudes, de notre pensée ».
« Et les Français attendent plus, vite et mieux. Nous prenons conscience que chaque jour nous sommes en retard d’une décision comme le conducteur de véhicule en péril s’interroge avant de sortir de la route : dois-je freiner ou accélérer ? »
« La politique financière de notre pays fonctionne mal depuis trente ans. L’accroissement systématique du déficit budgétaire annuel semble inéluctable. Les plans de relance ou de mise en place de dotations budgétaires exceptionnelles n’ont que des effets limités. Les Français ne comprennent pas malgré de nombreux discours ».
« Le budget de 2012 présenté par Matignon ne fait apparaître aucune priorité alors que certains sujets sont violement dramatiques : la violence, la drogue, la prison, les handicaps, les jeunes. Le peuple souffre et n’est pas heureux ; il lui faut pouvoir rêver et pouvoir alimenter ses rêves ».
« Pourquoi ne pas repartir à zéro :
Poursuivons l’objectif de 3% de déficit en 2013.
Mais amplifions l’outil financier dynamique, le fonds stratégique d’investissement créé en 2008 qui emprunterait au nom de l’Etat 4 000 milliards d’euros, ce qui permettrait :
– d’effacer notre dette de 1 700 milliards
– de disposer de 2 300 milliards d’euros, consacrés exclusivement à l’investissement et gérés par ce fonds hors Trésor public, fonds qui investirait dans des secteurs à rentabilité certaine (>7%) ».
« Ce fonds ne devrait pas être sous tutelle du ministère de l’Economie et des Finances mais être contrôlé par la Cour des Comptes et géré par la Banque publique d’investissement présidée par un industriel. Donnons-nous des moyens à l’échelle de nos ambitions. Il serait tenu à des obligations des résultats annuels (au moins +7%) dont une partie serait consacrée au remboursement de l’emprunt de 4 000 milliards d’euros ».
« Les 4 000 – 1 700 milliards = 2 300 milliards investis à 7% généreraient 7/100 x 2 300 = 161 milliards par an soit 4 000/161 = 25 ans. Il convient donc d’emprunter sur 30 ans à seule fin d’investir pour relancer notre économie ».
« […] Répétons : autrefois, on définissait des plans d’investissements basés sur les taux d’actualisation de 7%. Un grand emprunt (4 000 milliards d’euros) pour relancer l’économie n’a de sens que si il est grand et qu’il est amortissable en 30 ans. Il doit donc comporter en lui les sources de son remboursement et ne pas venir accroître le niveau de déficit budgétaire qu’ont créé tous nos grands argentiers. Il permet de rembourser les 1 700 milliards de dettes actuelles ; les 2 300 milliards restants devraient être investis sur une base de 7% d’intérêts ; la gestion de ces fonds est à confier à un Fonds spécial d’investissement. La règle de 3% de déficit budgétaire devrait s’appliquer dès 2012 pour nous permettre d’emprunter à taux bas (2%) ».
« C’est un projet qui est basé sur la croyance en la France et à sa dynamique. Il convient de bien l’expliquer notamment au ministère de l’Economie ! Et d’entraîner l’adhésion de tous, ce qui nécessite que tous profitent des résultats espérés et notamment ceux qui souffrent ».
Un tel fonds pourrait être une solution… mais je me demande s’il n’est pas trop tard ; si la crédibilité de la France n’est pas trop entamée… et les créditeurs trop découragés pour souscrire à un tel emprunt. Mais qui sait ?
▪ Nous terminerons avec R.V., qui est le seul à nous avoir écrit sur le sujet de la croissance elle-même et de sa validité en tant que modèle économique. Voici ce qu’il nous dit :
« Votre question touche un point essentiel ».
« Le Japon depuis vingt ans et les Etats-Unis depuis quatre ans au moins (sinon 10 ou douze ans) ont une politique agressive, chacun à sa manière, de recherche de la croissance. Or cette croissance reste très faible au Japon, et nettement en dessous des attentes aux Etats-Unis. La croissance ne peut être que le fruit du travail ou de l’exploitation des ressources énergétiques et minières. Le grand boom d’après-guerre n’était probablement dû qu’en partie au dynamisme des peuples, et en grande partie attribuable à l’exploitation par l’Occident des ressources énergétiques (charbon, pétrole, gaz, …etc.) et minières, avec un quasi-monopole ».
« Aujourd’hui, examinons ces deux paramètres :
– Dynamisme et capacité productive : sérieusement réduite en Occident, du fait du vieillissement de la population, qui est en concurrence avec la main-d’oeuvre à bas coût des pays émergents.
– Ressources : raréfaction, du fait de la nécessité de partager avec ces mêmes pays émergents des ressources en quantité limitées et beaucoup plus chères à extraire.
« Au vu de ces deux paramètres on ne voit pas comment la croissance pourrait être au rendez-vous pour nous sortir de la crise. Il faut clairement trouver un autre modèle économique et social compatible avec une croissance de 0% à 1%, sans oublier le fait que les récessions (croissances négatives) sont aussi nécessaires pour ‘purger’ les mauvais investissements ».
C’est bien notre avis aussi, à la Chronique Agora : impossible de repartir sur des bases saines… tant qu’on n’a pas « fait le ménage » parmi les mauvais investissements et les secteurs pourris. Sans cela, comment espérer renouer avec une vraie croissance, sans bulles spéculatives qui ne soit pas nourrie par de l’argent créé de toutes pièces ?
Mais pour y parvenir, il faudrait laisser M. le Marché faire son travail, et ça… nos autorités ne veulent pas en entendre parler.
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora