D’un côté, le président de la banque centrale américaine a annoncé des mesures en demi-teinte, pour ne pas affoler les marchés. De l’autre, un expert qui a vécu l’inflation des années 1970 de l’intérieur propose des solutions bien plus importantes.
« L’inflation américaine atteint un sommet de 39 ans à 7%, ouvrant la voie à une hausse des taux de la Fed. »
« Powell plaide pour que la Fed freine l’inflation sans faire de mal. »
« Powell assure aux Américains que la Fed s’attaquera à une inflation élevée. »
« L’effondrement du marché intérieur chinois s’aggrave alors que les prix chutent pour le quatrième mois. »
Bloomberg : « Mester [NDLR : présidente de la Fed de Cleveland] dit que le bilan de la Fed se réduira rapidement mais ne perturbera pas les marchés. »
Ah les braves gens !
On peut se saouler, prendre de la came, s’envoyer en l’air et retomber sans se faire mal !
Les notions de « ne pas faire de mal » et « ne pas brusquer les marchés » sont un vœu pieux.
Ne pas réagir trop tard
Il y a un principe établi de longue date selon lequel les banques centrales doivent agir tôt pour étouffer les impulsions inflationnistes, ceci afin de s’assurer qu’une banque centrale ne tombe pas « derrière la courbe », c’est-à-dire qu’elle ne fasse pas trop de mal en faisant chuter tout ce qui lévite.
L’histoire enseigne que pour permettre à l’inflation de prendre pied, la question du temps est déterminante, et pour l’éradiquer aussi. Plus on attend, plus cela fait mal. Comme disait le grand philosophe Schwarzenegger, pour que cela fasse du bien il faut que cela fasse mal, et le plus longtemps possible.
Les forces inflationnistes augmentent de façon exponentielle, elles se démultiplient et s’enracinent au fil du temps. Briser la dynamique de l’inflation – sur les marchés et/ou dans l’économie réelle – et la remettre sous contrôle infligera invariablement des dommages, de la douleur et du chaos sur les marchés. C’est nécessaire pour modifier les comportements et briser la psychologie de l’inflation.
J’ai eu l’honneur de débattre il y a 37 ans avec Henry Kaufman, aux Pays-Bas, lors d’une rencontre organisée par Robeco entre Alvin Toffler, Kaufman et moi. Inutile de dire que j’ai beaucoup plus appris que je n’ai, ce jour-là, enseigné !
Henry Kaufman, était économiste à la Fed avant de devenir une légende de Wall Street dans les années 1970 en tant qu’économiste en chef et responsable de la recherche sur le marché obligataire chez Salomon Brothers. Kaufman, une sommité de Yale, connaît l’inflation.
Kaufman a une expérience directe personnelle non seulement de l’inflation, mais surtout des réactions du personnel de la Fed face à cette inflation. Expérience de l’intérieur, aux plus hauts niveaux.
Avancer à petits pas ne fonctionne pas
Kaufman a été interviewé cette semaine pour un article de Bloomberg :
« ‘Je ne pense pas que cette Réserve fédérale et cette direction aient l’énergie nécessaire pour agir de manière décisive. Ils agiront progressivement. […]
Si vous voulez orienter le marché vers une attitude moins inflationniste, vous devez choquer le marché. Vous ne pouvez pas augmenter les taux d’intérêt petit à petit.
[…]
Plus la Fed met de temps à s’attaquer à un taux d’inflation élevé, plus la psychologie inflationniste est ancrée dans le secteur privé – et plus elle devra choquer le système.’
‘Il est dangereux d’utiliser le mot transitoire’, a soutenu Kaufman. ‘Dès que vous dites transitoire, cela signifie que vous êtes prêt à tolérer une certaine inflation.’ Cela, a-t-il dit, sape le rôle de la Fed dans le maintien de la stabilité économique et financière pour atteindre une ‘croissance non inflationniste raisonnable’.
S’il conseillait Powell, Kaufman a affirmé qu’il exhorterait le président de la Fed à être ‘draconien’, en commençant par une augmentation immédiate de 50 points de base des taux à court terme et en signalant explicitement qu’il y en aurait d’autres à venir. De plus, la banque centrale devrait s’engager par écrit à faire tout ce qui est nécessaire pour empêcher les prix de monter en flèche. »
En clair, ce que dit Kaufman, c’est que le gradualisme indolore, les petits pas de bébé à la Greenspan, cela ne fonctionne pas.
Les marchés sont au contraire endormis, lénifiés, encouragés par la suggestion de Powell selon laquelle l’inflation diminuera probablement d’elle-même d’ici le milieu de l’année, ainsi que par le ton général rassurant de Lael Brainard. Tétanisés par le niveau des marchés financiers qu’elle a elle-même encouragés et gonflés, la Fed s’efforce de ne pas nuire.